La thérapie psychédélique : le miracle négligé [TEXTE COUP DE COEUR]

La thérapie psychédélique : le miracle négligé [TEXTE COUP DE COEUR]

par Joseph Abou Jaoude

Certains médias parlaient de défauts chromosomiques; d’autres, de malformations congénitales. Cependant, tous faisaient consensus sur une réalité certaine : le LSD, la psilocybine et tous les psychédéliques étaient très dangereux et avaient des effets néfastes à long terme sur le corps humain. Pourtant, aucune de ces affirmations n’était fondée sur la science… En réalité, depuis les années 50 déjà, des études scientifiques avaient présenté les psychédéliques comme inoffensifs dans un contexte clinique. En fait, bien au contraire, des études présentaient plutôt les effets thérapeutiques de ces drogues sur des troubles psychologiques très répandus tels que la dépression et l’addiction (1). 

Alors, pourquoi ces recherches ont-elles été arrêtées? Pourquoi est-ce que tout ce qu’on entend sur ces drogues est dérogatoire et négatif? En réalité, la cause de ces phénomènes est davantage sociopolitique que scientifique, et un plus grand financement devrait être attribué aux recherches sur la thérapie psychédélique compte tenu de son potentiel clinique. Ainsi, la cause de l’infamie injustifiée de cette classe de drogues sera révélée, suivie des avantages de la thérapie psychédélique, et enfin, de la réelle nature des psychédéliques.

Pourquoi cette classe de drogues est-elle si mal vue? Pourquoi la recherche sur cette classe de drogues est-elle devenue illégale?

Pendant les années 60, un mouvement de contre-culture s’est formé aux États-Unis. Les membres de ce courant avaient comme objectif de lutter contre les institutions établies et contre la guerre au Vietnam. Afin de s’évader des actes de violence et d’injustice, les militants utilisaient des psychédéliques, surtout le LSD. Ipso facto, les psychédéliques sont devenus associés à la musique rock et au mouvement de contre-culture  américain.

Le mouvement de contre-culture américain (Quinn, 2019)

Naturellement, le monde adulte et plus conservateur n’aimait pas ce mouvement de révolte et le démonisait. Éventuellement, les psychédéliques, considérés comme une partie du courant de rébellion, se sont également vus diabolisés. De plus, les médias de l’époque ont répandu un sentiment de mépris envers les drogues hallucinogènes à travers les masses. Une infamie s’est donc installée sur ces substances, sans que cette réputation ne soit basée sur la science. 

De surcroît, le gouvernement américain de l’époque, se sentant menacé par les manifestations des militants, a décidé de leur asséner un coup. Ainsi, les psychédéliques ont été placés dans la catégorie des drogues les plus dangereuses n’ayant aucune utilité médicale. Puis, en 1970, les États-Unis, accompagnés de 34 pays de l’ONU, ont décidé d’interdire l’utilisation des drogues psychédéliques, mais aussi d’interdire toute recherche effectuée sur ce sujet. Éventuellement, 184 pays se sont joints à ces nouvelles mesures antidrogues. Depuis, les dangers des psychédéliques ont été exacerbés par les médias. Par conséquent, même jusqu’en 2016, lors d’un sondage effectué aux États-Unis, des répondants estimaient qu’essayer du LSD était aussi nocif que de prendre 4 à 5 verres d’alcool quotidiennement…

Ronald Reagan, chef du gouvernement américain de l’époque (Wikipédia, 2021)

Bien évidemment, aucune preuve scientifique ne justifie ces dangers. Bien au contraire, dans les années 50 - avant le début de la crise sociale américaine -, des études avaient préalablement révélé que les psychédéliques, plus particulièrement le LSD et la psilocybine, permettaient de traiter adéquatement la dépression et la dépendance, sans aucune conséquence à long terme liée à la consommation des psychédéliques. En plus, aucun traitement testé n’a jamais été aussi efficace que les psychédéliques pour traiter l’addiction à la nicotine. Malheureusement, aucune recherche n’a pu être faite pour plus de 30 ans à cause de la crise sociale aux États-Unis, et cette avenue de traitement si prometteuse a cessé d’être explorée (1). 

De nos jours, les psychédéliques sont encore illégaux dans la majorité des pays du monde, rendant leur étude ardue. Ce statut injustifié rend la sensibilisation et le militantisme d’autant plus importants. En effet, peut-être que si la mauvaise réputation de ces drogues était corrigée, les lois seraient également rectifiées, et la recherche sur des traitements révolutionnaires, accélérée.

La thérapie psychédélique, c’est quoi?

Il s’agit d’un suivi psychiatrique ou psychologique accompagné de l’administration d’une dose de psychédélique au début du traitement. Les substances les plus étudiées sont le LSD et la psilocybine.

LSD

Les études du LSD sont axées sur le traitement de la dépendance à l’alcool et à d’autres substances addictives. Celles-ci présentent des résultats très prometteurs.

Illustration de différentes drogues qui peuvent occasionner une dépendance (The District, 2021)

En effet, lorsqu’on compare un suivi psychiatrique sans dose de LSD avec un suivi psychiatrique accompagné d’une dose de LSD, le groupe ayant bénéficié d’une dose de LSD présente en moyenne deux fois plus de patients guéris de leur dépendance à l’alcool. Cet effet a même été maintenu et mesuré 12 mois après la dose initiale dans une des études (2). 

De plus, lorsqu’il est question d’abstinence complète de l’alcool, il y a en moyenne deux fois plus de patients dans le groupe traité au LSD qui ont atteint et maintenu cet objectif après 3 mois. D’autres études utilisant la même méthode ont observé qu’en moyenne, 42% plus de patients ayant consommé une dose de LSD avaient maintenu l’abstinence après une période plus longue, soit 6 mois (3).

Par ailleurs, dans une étude sur l’effet du LSD sur la dépendance à l'héroïne, une amélioration de la condition et un taux de rechute drastiquement diminué ont été observés 3 mois, 6 mois, 9 mois et 12 mois après l’administration d’une seule dose de LSD (2). 

En somme, un traitement basé sur une seule dose de LSD a eu un effet remarquable et durable sur les patients. Certains chercheurs désirent aujourd’hui explorer l’effet d’un traitement prolongé avec plusieurs doses de LSD et l’établissement d’une thérapie standardisée, mais l’état politique des psychédéliques freine de telles recherches (1).

Psilocybine

Les études sur la psilocybine, soit le champignon magique, sont davantage axées sur le traitement de la dépression et l’anxiété de patients souffrant de maladies potentiellement mortelles.

Illustration artistique des troubles mentaux (Weber, 2017)

La dépression et l’anxiété sont des symptômes courants chez des personnes atteintes de cancer par exemple. En effet, ces dernières, face à une mort potentielle imminente, éprouvent souvent de la détresse, de la colère, une baisse d’estime de soi, de l’isolement social et du désespoir. Ces symptômes sont même présents chez des survivants du cancer, puisqu’ils ne savent pas si une métastase refera surface dans les prochains mois. 

En ce moment, aucun traitement pharmacologique ne présente de résultats satisfaisants pour aider ces patients. Néanmoins, de bons résultats ont été observés pour des personnes qui ont utilisé la psilocybine dans les quelques recherches effectuées. En effet, l’impact de cette substance sur le patient semble beaucoup plus profond que celui des drogues traditionnelles : l’expérience hallucinogène a généralement une signification spirituelle qui change positivement ses comportements et sa perception de soi et du monde. 

Ainsi, les témoignages de patients mentionnent entre autres un soulagement de l’anxiété, une réconciliation avec la mort, un détachement émotif du cancer, des visions religieuses, une reconnexion avec la vie et une confiance en soi accrue (4). En moyenne, l’amélioration de l’état des patients traités par la psilocybine et par un traitement psychologique versus seulement un traitement psychologique est comparable à l’amélioration entre un traitement psychologique et aucun traitement. De plus, ces effets sont maintenus sur une durée de six mois après l’administration d’une seule dose. Ainsi, les patients éprouvent un soulagement remarquable quant à leur anxiété et leur dépression de manière durable (5).

Pour finir, l’étude des effets de la psilocybine dans un contexte clinique est encore à ses premiers soubresauts. Seulement des effets positifs ont été démontrés pour le traitement de la dépression et de l’anxiété, mais les chercheurs pensent que la psilocybine pourrait traiter d’autres pathologies, telles que le trouble obsessionnel compulsif, l’alcoolisme, la dépendance à la nicotine, les maux de tête répétés et l’autisme (4). Bien sûr, davantage de fonds seraient nécessaires pour explorer l’ampleur du potentiel du champignon magique, et ne pas l’exploiter à cause de la politique serait dommage.

Maintenant que la thérapie psychédélique a été étayée, que sont véritablement les psychédéliques?

Il est important de réaliser que seuls les produits offerts dans des contextes cliniques et médicaux sont fiables. Il faut savoir que toute substance obtenue illégalement présente un risque accru d’impureté. En effet, les drogues sont souvent mélangées à d’autres substances illicites très nocives et dans des doses très peu précises. Ainsi, les effets des concoctions vendues clandestinement sont imprévisibles et souvent très dangereux, voire létaux. Les descriptions ci-dessous ne s’appliquent donc qu’aux psychédéliques provenant directement de laboratoires réputés et ne sont aucunement compatibles avec les produits dangereux vendus illégalement. Toute consommation de drogues illégales sans prescription est donc dangereuse et fortement déconseillée.

Les psychédéliques sont une classe de drogues hallucinogènes. Plusieurs composés chimiques sont englobés dans cette catégorie, et les plus connus sont le LSD, la psilocybine et l’ayahuasca. Bien que ces produits présentent tous des structures moléculaires complexes et uniques, ils comportent tous une partie qui est très similaire à la structure de la sérotonine. Ainsi, ils vont tous emprunter les voies neuronales de ce neurotransmetteur et stimuler le cerveau, et ce, surtout dans le cortex préfrontal. Cette stimulation va entraîner plusieurs effets à court terme : 

  • Perception d’images, de sons et de sensations qui ne sont pas réels,

  • Émotions fortes,

  • Perte de la notion du temps et de l’espace,

  • Parfois, la perte du concept de soi.

La structure de sérotonine au sein des molécules psychédéliques (Le cerveau, en bref, Netflix, 2019)

Les effets sont très variables selon la personnalité de la personne qui en fait usage, son humeur, ses attentes et son entourage. En effet, afin d’éviter un mauvais voyage, les laboratoires doivent bien évaluer et contrôler ces variables. Si ces préparations sont faites adéquatement, le potentiel thérapeutique des drogues peut être bien exploité.

En outre, à part les effets négatifs observés chez les femmes enceintes et chez les personnes génétiquement prédisposées à la schizophrénie et la psychose, aucune étude crédible ne suggère des effets néfastes sur la santé des patients : les psychédéliques ne sont pas addictifs, et aucune autre conséquence biologique n’a été prouvée. De ce fait, si une analyse du patient est faite et qu’il n’est pas particulièrement vulnérable à la psychose et à la schizophrénie, la thérapie psychédélique peut être effectuée sans danger (6-7).

Par ailleurs, une bonne représentation des réels effets des psychédéliques est présentée dans l’épisode Psychedelic Experience de la série Mind Field, où l’hôte de l’émission, Michael “Vsauce’’ Stevens, participe à une étude du Imperial College London sur l’ayahuasca - un psychédélique utilisé en Amérique du Sud par des autochtones lors de rites culturels -, et va même jusqu’à en consommer afin de décrire les effets de la drogue en direct. Cet acte courageux permet de mieux visualiser les effets de ces drogues et d’éliminer les préjugés et les mythes sur les psychédéliques (8).

L’affiche de l’épisode Psychedelic Experience (Vsauce, 2017)

En somme, en vertu de la qualité douteuse des produits vendus clandestinement, de la nécessité d’une préparation avant la consommation et d’un risque accru de conséquences à long terme chez une partie de la population, l’utilisation récréative de ces drogues peut présenter un réel danger. Toutefois, dans un contexte cliniquement contrôlé, l’utilisation des drogues pour la majorité de la population peut être faite de manière sécuritaire. La thérapie psychédélique est donc sécuritaire.

Conclusion

Tout compte fait, même de nos jours, une grande infamie est encore associée aux psychédéliques. C’est pourquoi la majorité des pays interdisent encore l’utilisation et la recherche sur ces substances. Pourtant, elles ne présentent aucun risque considérable dans un contexte clinique pour la majorité de la population, soit l’ensemble des personnes qui ne sont pas prédisposées à la schizophrénie et à la psychose. Bien au contraire, la thérapie psychédélique présente un énorme potentiel de traitement pour une panoplie de conditions telles que l’anxiété, la dépression et la dépendance. Ainsi, la réputation injustifiée de ces substances ralentit le développement de thérapies standardisées efficaces qui pourraient sauver un grand nombre de vies. Par ailleurs, un exemple prodigieux des résultats potentiels du traitement  psychédélique est présenté dans l’épisode Les psychédéliques de la série documentaire Le cerveau, en bref. Assurément, le témoignage d’Octavian Mihai (1), un patient ayant subi un traitement de psilocybine qui a guéri sa dépression développée à la suite du traitement d’un cancer, pourra davantage justifier la nécessité d’approfondir la recherche sur la thérapie psychédélique et d’accélérer le développement de traitements psychédéliques standardisés.

Références

  1. Le cerveau, en bref. Les psychédéliques [En ligne]. Netflix; 2019

  2. Teri S Krebs and Pal-Orjan Johansen. Lysergic acid diethylamide (LSD) for alcoholism : meta-analysis of randomized controlled trials. Psycopharm. 2012; 26(7). doi: 10.1177/0269881112439253 

  3. Albert Garci-Romeu et al. Cessation and reduction in alcohol consumption and misuse after psychedelic use. Psychopharm. 2019; 33(9). doi: https://doi.org/10.1177/0269881119845793

  4. Ana Sofia Vargas et al. Psilocybin as a New Approach to Treat Depression and Anxiety in the Context of Life-Threatening Diseases-A systemic Review and Meta-Analysis of Clinical Trials. Biomedicines. 2020; 8(331). doi:10.3390/biomedicines8090331

  5. Simon B. Goldberg et al. The experimental effects of psilocybin on symptoms of anxiety and depression : A meta-analysis. Psychiatry Research. 2020; 284(2020). doi: 10.1016/j.psychres.2020.112749

  6. Nora D. Volkow. How Do Hallucinogens (LSD, Psilocybin, Peyote, DMT, and Ayahuasca) Affect the Brain and Body? [En ligne]. National Institutes of Health; 2015. https://www.drugabuse.gov/publications/research-reports/hallucinogens-dissociative-drugs/how-do-hallucinogens-lsd-psilocybin-peyote-dmt-ayahuasca-affect-brain-body

  7. [Auteur inconnu]. Psychedelics [En ligne] Alcohol and Drug Foundation; 2021. https://adf.org.au/drug-facts/psychedelics/

  8. Vsauce, Mind Field S2 - The Psychedelic Experience (Episode 2)  [En ligne]. Youtube Originals; 2017. Vidéo : 33 min. https://www.youtube.com/watch?v=U3lWVLuc6CE&t=1650s