La pandémie des marginalisés

La pandémie des marginalisés

par Sarah Allard-Puscas

L’un des principaux déterminants sociaux de la santé est l’accès aux services de santé d’une personne ou d’une population. Cet accès est indubitablement tributaire du soutien que la société est capable de conférer. À cela se rajoute également l’environnement physique dans lequel ces individus évoluent, en passant par la possibilité de gagner un revenu dans des conditions de travail favorables [1]. Ces facteurs déterminent la place de chacun dans la société et sont en lien direct avec le degré de discrimination auquel les personnes sont assujetties. Médecins du Monde, un mouvement international présent au Canada a pour mission de contribuer à l’éradication de l’iniquité en santé à laquelle les personnes exclues et vulnérables font face. Pourtant, cet organisme est limité dans l’étendue des soins qu’il peut prodiguer, car il ne peut offrir ni le dépistage ni la vaccination contre la COVID-19.

L’accès aux soins de santé de la tranche de population que Médecins du Monde suit est affecté de façon considérable par la présente pandémie. Il a fallu réinventer la façon de soigner et de protéger les personnes en situation de vulnérabilité et de marginalité. Certains services, tels que la Clinique mobile et la Clinique pour les personnes migrantes à statut précaire, ont dû réduire leurs horaires de façon considérable, rejoignant ainsi moins de monde. L’équipe de navigateurs autochtones ne peut plus accompagner les personnes dans les hôpitaux, mais reste disponible par téléphone pour la communauté autochtone [2]. La pandémie de la COVID-19 n’épargne personne et ceux que le système de santé ne réussit pas à rejoindre en sont les victimes principales. Nous avons tous une responsabilité sociale et nous devrions tous jouer un rôle afin de limiter les répercussions de cette pandémie. Si la santé publique est une préoccupation de premier plan ces jours-ci, alors les intervenants qui œuvrent au sein de Médecins du Monde devraient être en mesure d’effectuer des tests de dépistage et d’offrir la vaccination gratuite à sa clientèle. 

Toutefois, cela n’est pas le cas. Les infirmières, les médecins et les autres bénévoles offrent uniquement des activités de prévention et de promotion contre la COVID-19, ou bien ils orientent les personnes en situation d’itinérance et les personnes migrantes en situation précaire vers les instances publiques du système de santé. Par contre, les itinérants se heurtent à de multiples obstacles, car ils peuvent avoir des problèmes de consommation de stupéfiants, présenter divers troubles de santé mentale et de ne pas bénéficier d’un filet social. Toutes ces personnes, n’ayant pas un domicile stable, n’ont pas en leur possession des cartes d’identité personnelle ou l’occasion de s'inscrire à un programme de vaccination. De plus, la stigmatisation, tributaire de leur apparence physique et vestimentaire, fait en sorte qu’ils ne se présenteront pas dans les centres de dépistage et de vaccination conventionnels. Même si la vaccination des sans-abri a débuté dans certains grands centres urbains, on tarde à l'implémenter à l’échelle nationale [3]. Selon les statistiques du Secrétariat national du Canada, il y a 150,000 personnes sans-abri sur le territoire canadien, mais ce chiffre est largement sous-estimé selon Médecins du Monde, qui avance plutôt le chiffre ahurissant de 300,000 personnes. Ce chiffre représente un pourcentage considérable par rapport à la population totale de presque 38 millions de Canadiens [4].

À cela se rajoutent les migrants à statut précaire qui font eux aussi partie de ces oubliés, ignorés et abandonnés par le système de santé du Canada. Ce sont des personnes qui possèdent un statut migratoire qui n’est ni permanent ni garanti.  Ils partagent tous un trajet migratoire difficile et courent davantage la malchance de vivre dans des logements inadéquats, d’occuper des emplois précaires et de connaître ainsi la pauvreté et la misère [5]. Eux aussi se trouvent face à une montagne d’obstacles concernant la possibilité de se prévaloir du dépistage et de la vaccination anti-COVID. D’habitude, ils doivent débourser les frais des soins de santé, car ils ne sont couverts par aucun palier gouvernemental [6], mais la plupart d’eux ont perdu leurs emplois, qui étaient précaires au départ, à cause de la pandémie. Cependant, même si la vaccination anti-COVID est gratuite ils n’iront pas se faire vacciner par crainte d’être dénoncés par les services de santé aux agents de l’immigration. De plus, la méconnaissance du système et les barrières linguistiques et culturelles s’ajoutent à l’ensemble des obstacles mentionnés précédemment. Le seul pont de confiance, en matière de santé, est très souvent établi uniquement avec Médecins du Monde ou d’autres organismes communautaires ayant une vocation similaire. Ainsi, la manière de se prévaloir du vaccin anti-COVID serait à travers ces organismes qu’ils connaissent bien et auxquels ils font confiance.

Autant les personnes en situation d’itinérance que les migrants qui désirent rester sur le sol canadien sont bouleversés par le cheminement dans leurs vies. Ils ne possèdent plus l’aptitude, la confiance et surtout le pouvoir et le vouloir de se rendre vers les services de santé. Ainsi, les services de santé devraient se rendre vers eux, et cela sera possible uniquement lorsque les changements de mentalité feront en sorte que des organismes tels que Médecins du Monde seraient outillés à faire le dépistage et la vaccination. Les multiples changements d’accessibilité dus à la pandémie chez Médecins du Monde, qui empêchent son fonctionnement optimal, devraient être compensés par la possibilité d’offrir les services de dépistage et de vaccination anti-COVID. Redonnons à ces oubliés de notre société la confiance nécessaire afin de pouvoir changer leur destinée, aidons-les à surmonter les nouveaux défis engendrés par la pandémie, supportons-les à briser le cercle vicieux de la marginalisation et de l’isolement. Offrons-leur une chance égale au reste de la population canadienne dans la lutte contre la pandémie de la COVD-19. Offrons-leur le choix. Un appel à l’action s’impose.

Références :

  [1] Gouvernement du Canada [En ligne]. Ottawa (ON) : Le gouvernement; 2012. Déterminants sociaux de la santé et inégalités en santé 

[modifié le 7 novembre 2020; cité le 22 mars 2020]; Disponible :  https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/promotion-sante/sante-population/est-determine-sante.html

  [2]Medecin du Monde [En ligne].Montréal(Qc); 2020.Rapport Annuel 2019-2020.[ cité le 22 mars 2020]; Disponible : https://www.medecinsdumonde.ca/wp-content/uploads/2020/11/MdM-RA-19-20-FR-150DPI-1.pdf

  [3] La Presse [En ligne].Montréal(Qc); 2021. Des groupes réclament une vaccination rapide pour les sans-abri.[ cité le 22 mars 2020]; Disponible : https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-02-03/des-groupes-reclament-une-vaccination-rapide-pour-les-sans-abri.php

  [4] Gouvernement du Canada [En ligne]. Ottawa (ON) : Le gouvernement; 2016. 

Disponible Population and Dwelling Count Highlight Tables, 2016 Census [modifié le 7 février 2018; cité le 22 mars 2020]; Disponible : https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/hlt-fst/pd-pl/Comprehensive.cfm

   [5] Nicole Ives et al., « Transnational Elements of Newcomer Women’s Housing Insecurity : Remittances and Social Networks », Transnational Social Review : A Social Work Journal, 2014, 4 : 2-3, p. 152-153. 

  [6] Medecin du Monde [En ligne].Montréal(Qc); 2019. Vulnérabilisation et marginalisation des enfants de familles migrantes à statut précaire – Les effets des barrières systémiques entravant l’accès aux soins de santé.[ cité le 22 mars 2020]; Disponible : https://www.medecinsdumonde.ca/wp-content/uploads/2020/11/20191219_CommisionSpe%CC%81ciale_DroitsDesEnfants_Me%CC%81decinsDuMonde_Me%CC%81moire.pdf

Image de couverture: Getty Images [gettyimages.ca]