Empreintes

par E1A (externe 1 anonyme)

Ma première note dans un dossier médical. Un moment à la fois banal et sacré. Dans une salle de réunion, par une journée ensoleillée. La lumière inondait intensément toute la pièce.

Je revenais au poste après plusieurs rencontres avec des patients hospitalisés, dont un que j’avais questionné, accompagnée du patron. C’était la première fois que je devais préalablement courir derrière plusieurs soignants pour savoir qui était parti avec le dossier voulu, et qu’après avoir trouvé le Saint Graal je devais m’asseoir dans un coin et mieux connaître mon patient en absorbant ce que les onglets multicolores avaient à me livrer. Tout d’un coup, la médecine devenait plus réelle : il n’était plus seulement question de connecter des bulles de Cmaps sur un écran, mais d’avoir un impact concret en utilisant ces connaissances. J’avais l’impression d’entrer dans un monde parallèle, avec un langage distinct, celui d’abréviations dont je peine parfois à deviner la signification, comme pour en rajouter à des calligraphies, disons, artistiques, en coups de pinceau. Je songe à m’acheter une Enigma de poche.

En tout cas, de retour au poste, le patron me demande d’écrire une note au dossier. J’ai presque sursauté. Je savais que ce moment arriverait, mais c’était une transition rapide pour moi dans la cour des grands, dès le premier jour, moi qui ai zoomé pendant des mois. Je demande si je peux faire un brouillon dans mon cahier avant, il répond que ce n’est pas nécessaire. Je me suis beaucoup appliquée pour avoir la calligraphie la plus belle possible, parce que moi aussi j’écris en coups de pinceau si c’est trop rapide. J’ai relu plusieurs fois ma note, écrite dans la même section que celles des VRaiS MéDEcInS, avant de la faire corriger par le patron, qui la trouvait adéquate. 

Ma première empreinte dans un dossier médical. Preuve de mon court passage dans une hospitalisation, témoin du début d’un parcours où j’aurai de plus en plus de responsabilités vis-à-vis des patients, encore avec supervision pendant un certain temps bien sûr. Après avoir brisé cette première glace et après plusieurs semaines, écrire des notes me vient plus naturellement maintenant — bien entendu, il y a beaucoup de place à l’amélioration. Je pense publier un article de recherche sur la comparaison des quelques marques de stylos que j’ai essayées, en quête d’une ergonomie optimale; on finit par avoir un stylo préféré, paisiblement endormi dans une poche de scrubs lorsque non utilisé.

De nature sensible et empathique, jamais l’histoire racontée par un patient ne m’a laissée indifférente. Entrevue après entrevue, je stocke en moi leurs mots, leurs émotions, leurs difficultés, leurs inquiétudes, les pensées qui les gardent résilients, et renforce les scripts liés à leurs diagnostics. Leur parler me fait grandir, me donne une fenêtre sur la condition humaine dans toute son authenticité et sa vulnérabilité. J’ai été particulièrement touchée par un patient qui m’a dit ne jamais s’être senti aussi bien écouté, un dimanche à 23h (no worries, c’est moi qui ai choisi de rester tard à la garde, les cas étaient intéressants).

Jour après jour, chacun d’eux laisse en moi une petite empreinte. C’est ce qui me marque le plus dans la transition du préclinique à l’externat, ces éléments de la relation thérapeutique qui deviennent plus concrets et qui sont marqués par l’échange, où le patient reçoit soins et prise en charge, qu’on doit documenter avec minutie, et où l’on reçoit un précieux apprentissage sur l’art de la médecine et sur la vie dans sa globalité.