Malgré la route ardue

Malgré la route ardue

Par M.K

On était en début juin, et je n’en pouvais plus. Après des semaines constituées uniquement de va-et-vient entre mon lit et mon fidèle portable, les études avaient enfin terminé, mais le confinement, non. Je ne me souviens plus si les mesures s’étaient assoupies, mais moi je m’autorisais à sortir pour courir seulement. Pas question que j’aille m’infecter alors qu’on était en pleine pente descendante! De toute façon, j’habite loin de mes amis et je n’ai pas, au grand dam de mon cercle social, de permis. Les soirées Zoom étaient donc devenus de mise! En famille, on vivait aussi selon des règles strictes de confinement 

Mais quelque chose me chicotait. Je ne pouvais m’en défaire. On était en pleine crise sanitaire et moi, jeune étudiante en médecine dans la force de l’âge, binge watchais Unorthodox et Bojack au lieu de porter de l’aide. Je venais juste de finir la prémed, je ne sais pas quels soins j’avais l’intention de prodiguer. Armée de mes connaissances sur l’éthique de la médecine et l’habilité sans pareille d’identifier des follicules thyroïdiens sur des coupes histologiques, je faisais certainement trembler le virus. N’empêche, dans ces temps de mobilisation généralisée centrée autour de notre domaine d’étude, on est plusieurs à avoir l’impression de devoir faire quelque chose. 

Par malchance, même si on n’était pas au pic de nouveaux cas, on était au summum du stress de ma mère. Non, c’est injuste que je formule cela de même, mais cette phrase fait plus poétique. En vrai, ma mère, avec raison, voulait éviter qu’on prenne le risque de les infecter avec ce nouveau virus en travaillant dans une institution rouge. Elle ne s’y opposait pas directement, mais elle n’encourageait pas cette délusion comme elle le fait avec les autres idées que ma famille sait très bien que je ne vais pas réaliser: 

Apprendre le violon, -ah wowwww! 

Courir un demi-marathon, - après le Covid, facile!

Travailler dans une résidence pour personnes âgées, - euh, trouve-toi une bonne place qui a assez d’équipement, on ne sait jamais maintenant

 Ma sœur jumelle, qui voulait aussi faire quelque chose de productif l’été, et moi prenions ces commentaires comme une désapprobation.  On ne voulait pas être un stress supplémentaire alors que notre mère était déjà un peu anxieuse par son travail en présentiel. Pour la soulager, ma sœur a même proposé qu’on dorme dans une tente dans la cour arrière, le temps qu’on soit en contact avec des malades. De toute l’avalanche d’informations à intégrer pendant la pandémie, c’est cette proposition qui a confus mon père le plus. Peut-être savait-il qu’il était absurde de prendre toute cette peine alors qu’on avait déjà un sous-sol isolé?

Mon occasion s’est finalement présentée un peu par accident. En lisant LaPresse, comme je le faisais tous les matins. Qu’est-ce qu’il avait d’autre à faire? Je suis tombée sur un article à propos d’un couvent montréalais. Elle expliquait que leurs sœurs, autrefois éducatrices pour la plupart, manquaient de mains d’œuvre par les temps de Covid. Sans trop penser, j’ai écrit à la docteure mentionnée dans l’article pour lui demander si on pouvait y travailler en temps qu’aide de service et elle me répondit rapidement, enthousiaste à l’idée. Je lui en suis reconnaissante, il y a une partie de moi qui s’attendait à ce que cette requête un peu unique soit refusée. À peine une semaine plus tard, ma sœur et moi déménagions au sein de la communauté pour 2 mois.  

En arrivant, nous rencontrions la récréologue, une femme qu’on devinait souriante malgré le masque. On s’était à peine installer qu’elle nous invitait à passer sur la chaîne de télévision de la maison qui rivalisait pour l’attention des sœurs avec une diffusion en direct de leur chapelle, vide ces derniers mois. Ma première parution à la T.V me rendait nerveuse, alors j’ai laissé ma sœur prendre le devant. En soirée, déjà on nous a demandé de venir en aide à une préposée, que je surnomme X., sur l’étage des sœurs avec des troubles de cognition. Ce premier jour surtout, et en vérité pendant tout notre séjour, on offrait davantage un rôle de support à la préposée. C’est dans ces circonstances que je commençais à parler pour une première fois à une des sœurs. Elle avait passé 90 ans et était en bonne forme. Elle m’a raconté qu’elles étaient trois filles à rentrer chez les sœurs, et qu’une d’elle avait maintenant 102 ans (!). Elle venait d’une paroisse tout près de chez moi. Sa maison familiale longeait le bord de l’eau. Au fil de mon séjour, j’ai rencontré plusieurs sœurs avec des historiques apparentés. Des enfants studieux de familles nombreuses et travaillant de la terre pour la plupart. Ce sont des femmes avec une longue vie d’introspection et d’enseignement. Avec des témoignages significatifs d’une époque passée, d’un Québec différent qu’il ne l’est aujourd’hui. 

Bientôt, le soleil se coucha, et la plupart des sœurs se mirent au lit. Le long corridor était vide et sombre.  Une sœur en isolement jaune avait besoin d’aide pour se préparer au lit et X. débuta le long processus d’habillage du PPI. Dans un silence de…couvent, une forte voix retentit : « MERCI! COMME VOUS ÊTES BRAVE! LA ROUTE EST LONGUE ET ARDUE, MAIS LE SEIGNEUR VOUS EN REVAUDRA! MERCI! » C’était la sœur d’en face, avec des problèmes d’audition, s’avançant dans son fauteuil roulant vers la préposée pour l’aider à enfiler sa blouse. Le costume d’astronaute l’avait impressionnée, les mesures qu’on avait prises pour freiner l’avancée du virus avait chamboulé sa vie, mais la présence soutenue de la préposée lui assurait que ça allait bien aller. 

S’il y a une chose que je me souviens des deux mois à la Maison-mère, c’est justement ça. L’effet transformateur, en dépit d’une pandémie dévastatrice, du personnel soignant. Celles qui bougeaient des montagnes pour préserver un sentiment de normalité dans la tourmente. Celles qui, dans les ailes Covid, travaillaient dans le chaud interminable de juillet pendant des shifts de 12 heures, pour autant attentives aux besoins des patientes. Celles qui, au printemps, se retrouvaient à l’étage sans aide, alors que le personnel était ravagé par des cas. Je repense, entre autres, à mes discussions dans le poste des infirmières à la fin d’un shift de soir, et je ne peux m’empêcher de sourire. Je ne pense pas que mon aide a été indispensable, et il est arrivé un peu plus tard que nécessaire, mais j’ai adoré mon temps avec ces femmes dévouées et attentionnées. J’espère les avoir soutenues et, par le fait même, aidé les sœurs et les laïques qui nous ont chaleureusement accueillies chez eux. Toutes ces personnes seront, pour moi, le modèle à suivre dans mon futur travail en santé. Pendant le mois de juillet et d’août, les aides de service de l’institution ont porté une main plus bienveillante qu’utilitariste, mais je pense que cela était de mise dans ces temps d’isolation. Personnellement, je sais que j’en avais beaucoup besoin.

Photo de couverture : Le clocher du couvent des Sœurs du Saint-Rosaire surplombe la ville de Rimouski. (Photo Alexandre D'Astous - Journal Le Soir)