Soulager celui qui se prépare doucement à partir

Soulager celui qui se prépare doucement à partir

par Flavie Roy

Mon premier contact avec les soins palliatifs cette année aura été au cœur d’un milieu de vie ébranlé par la pandémie de la COVID-19. Les CHSLD les plus touchés, en l’espace de quelques semaines, sont vite devenus des « milieux de mort » où les résidents tombaient comme des mouches après avoir été strictement confinés à leur petite chambre vide. Comme d’autres, j’ai voulu participer à l’effort collectif pour nos aînés. Je me croyais, en tant qu’étudiante en médecine, un peu mieux préparée que la moyenne pour faire face à la nudité, aux liquides corporels et à la mort. J’avais peut-être tort, peu de choses nous préparent réellement aux scènes intenses et intimes que sont celles d’accompagner des mourants en fin de vie. Encore moins à ces fins de vie en pleine pandémie, dénaturées, loin des familles et habillées d’EPI. 

J’ai travaillé avec des préposés extraordinaires : des immigrants aux diplômes non reconnus, des pères et mères de famille travaillants, des militaires attentionnés et des bénévoles dévoués. Leur histoire unique et leur grande humanité m’auront beaucoup touchée. Chacun ayant eu à cœur d’offrir un peu de confort et de réconfort à l’autre dans un environnement parfois hostile. Ces rencontres m’ont rassurée quant aux soins que devaient recevoir ma grand-mère quelques étages plus bas en zone froide. Certains soirs alors, j’étais contente de voir la douceur des gestes qui étaient posés malgré le manque de personnel. Pendant cette période, plus de 50 employés avaient été infectés et manquaient alors à l’appel...

 J’ai aussi travaillé avec une nouvelle préposée, engagée à la hâte pour répondre au besoin criant de renforts. Son approche, quant à elle, me mettait parfois mal à l’aise : elle gavait les résidents à toute vitesse et les tournait rudement, alors qu’ils gémissaient. Elle se dépêchait. «Si on ne travaille pas assez vite, on n’aura pas le temps de voir tout le monde», me disait-elle. Elle n’avait pas complètement tort. Avant l’arrivée des militaires, les résidents avaient passé quelques semaines à frôler l’inacceptable, déshydratés, par manque de bras pour leur tendre un verre d’eau. 

Chapeau aux ergothérapeutes, physiothérapeutes et employés administratifs de la résidence qui restaient tard le soir pour s’improviser préposé et alimenter les résidents. Chapeau aux jeunes courageux qui sortaient du secondaire et qui ont pris ces emplois d’été là. Chapeau aux anciens préposés qui continuaient de rentrer travailler, semaine après semaine, dans des conditions de plus en plus difficiles, alors que leurs collègues étaient presque tous tombés malades. 

Cependant, même si plusieurs ont répondu « présent » dans la tempête et malgré tous les efforts du monde, on ne peut cacher que le maximum de chacun n’aura pas toujours été suffisant. Pour me conforter, je me disais souvent que la résidence dans laquelle je me trouvais s’en tirait un peu mieux que celles des pires témoignages faisant la une des nouvelles à ce moment-là, mais ça ne m’empêchait pas de me demander si j’aurais accepté d’être étendue dans ces lits-là et de finir ma vie comme ça. 

À travers la crise sans précédent, les corridors sombres, les couches à changer, les râles et les mourants, il y a quand même eu ces beaux moments. Je me souviens notamment, de ma dernière nuit en zone rouge et des paroles touchantes de cette petite dame de 101 ans. Elle avait, contrairement à d’autres, la « COVID tranquille », qui n’avait l’air de rien. Isolée depuis de nombreux jours, elle était juste heureuse d’enfin apercevoir quelqu’un passer devant sa porte de chambre. Elle était ravie de pouvoir me parler. Dans la vieillesse et dans le confinement, certains ont la chance de pouvoir garder leurs plus doux souvenirs en mémoire. J’ai eu le loisir, ce soir-là, qu’elle me partage un peu de sa sagesse, qu’elle me parle de son grand amour, son Marcel : «On s’est bien entendu Marcel et moi. Ma mère ne le trouvait pas assez chic, mais il était tellement bon. Il était tellement gentil. Il faisait juste me regarder et il m’aimait. Il y a des gens qui se regardent et qui s’haïssent, qui ne peuvent pas se sentir. Nous autres, on se regardait et on s’aimait tellement.» «Tu la trouves belle ma peinture? Prends-la. Apporte-la chez toi. Quand je vais mourir, ça va se perdre, les peintures, ça ne dit pas quelque chose à tout le monde.»

 Ces soirées-là, la visière de mon EPI retenait aussi quelques larmes qui auraient voulu glisser le long de mes joues. 

Puis, la première vague de la COVID-19 a fini par passer et l’externat des étudiants en médecine a recommencé. J’ai alors dû quitter mon poste d’aide de service en CHSLD pour poursuivre mes études. 

Entre deux vagues, au cours de mon stage de soins palliatifs en médecine, j’ai pu découvrir une tout autre réalité. J’ai rencontré des gens paisibles et sereins, vivant leurs derniers mois dans une belle maison de soins palliatifs ensoleillée, veillés par une petite équipe qui les suivait de près. Un départ toujours précédé par les visites familiales et lorsque le temps le permettait, un tout dernier au revoir. 

Un départ préparé et soulagé au mieux. 

Un départ que j’aurais souhaité à tous ... 

Et quand je repense à ma grand-mère, toujours en CHSLD,  j’espère que nous serons prêts à amortir les ressauts, lorsque la deuxième vague frappera notre système de soins encore chancelant.