Le médecin et pianiste Mathieu Gaudet s’attaque à l’intégrale de Schubert
par Edmond Sauvé
« Ça ne marche pas ton affaire, va falloir que tu choisisses entre la médecine et la musique! »
C’est la phrase que prononce le patron de l’externe Mathieu Gaudet lorsqu’il apprend que l’étudiant consacre plusieurs heures par jour au clavier, tout en suivant l’exigeant parcours de l’apprenti médecin.
Le jeune homme s’est fixé un défi titanesque : jouer, par cœur, les 24 préludes de Rachmaninov. Il y parvient au terme de son doctorat à la Faculté de musique de l’UdeM en 2007. Et la médecine? Il décroche son doctorat de premier cycle trois ans plus tard!
« En fait, j’ai longtemps hésité entre la carrière de musicien et celle de médecin, révèle-t-il au cours d’un entretien téléphonique le 3 novembre 2020. Je crois qu’en réalité je n’ai jamais pu me résoudre à abandonner la musique… »
À la mi-vingtaine, rien n’indiquait que Mathieu Gaudet allait poursuivre une carrière en médecine. Diplômé du conservatoire de musique de Rimouski, il avait continué ses études dans de prestigieuses écoles de musique à Toronto (Glenn Gould School du Conservatoire royal) et à Baltimore (Université Johns-Hopkins). Pourtant, à vingt-sept ans, il se retrouve sur les bancs d’école afin de devenir médecin. Le Dr. Gaudet attribue cette décision à son intérêt pour les sciences, sa facilité innée à emmagasiner les connaissances… et son désir de fonder une famille. « Je jugeais la vie de pianiste de concert trop instable en raison des incessants voyages qu’elle implique », commente-t-il.
L’avenir lui donna raison. Il est aujourd’hui établi à Sutton en compagnie de sa femme et de ses trois enfants. Il occupe un poste d’urgentologue à l’hôpital Brome-Missisquoi-Perkins de Cowansville. « Ceux qui pensaient que les études en médecine me pousseraient à renoncer à ma passion pour la musique se sont trompés. Elle n’a jamais cessé de se renforcer. »
Tout en apprivoisant les concepts théoriques de la discipline d’Hippocrate, Mathieu Gaudet débute un doctorat en interprétation à l’Université de Montréal auprès de Paul Stewart. Il se consacre aux 24 préludes du compositeur russe Sergueï Rachmaninov qu’il jouera par cœur à la fin de son doctorat. Sa technique impressionne le critique musical deLa Presse, Claude Gingras : « Gaudet possède la force technique, le souffle, l’expressivité et le sens de la grande ligne et du détail que requiert la musique de Rachmaninov ».
Le 19 novembre 1828, le compositeur autrichien Franz Schubert décède à 31 ans, laissant derrière lui un héritage musical empreint d’une grande sensibilité et d’une étonnante maturité.
L’âme mélancolique et nostalgique du musicien, qui caractérise le romantisme, est une source d’inspiration pour nombre de ses interprètes. Le Dr Mathieu Gaudet n’en fait pas exception.
Intégrale de Schubert
Les préludes de Rachmaninov offrent un contraste frappant avec le projet qui l’anime en ce moment : enregistrer l’intégrale des œuvres pour piano de Schubert incluant les 20 sonates et œuvres majeures. Après le défi technique du compositeur russe, Gaudet apprivoise maintenant la sensibilité dans les compositions plus intimes de Schubert. En raison de ses obligations familiales et professionnelles, il avoue qu’il serait difficile pour lui d’enregistrer des œuvres virtuoses comme il le faisait naguère, pratiquant cinq à six heures par jour. Quand il ne peut pas pratiquer le jour, il le fait la nuit…
Son interprétation de Schubert, enregistrée sur étiquette Analekta, est acclamée par la critique. Cela lui vaut une nomination au gala de l’ADISQ dans la catégorie « Album de l’année - classique /soliste et petit ensemble ».
Mathieu Gaudet explique qu’il a des affinités avec le compositeur autrichien. « Je me sens très proche de lui en termes de personnalité et d’âme », dit-il de Schubert pour qui il a eu un « coup de foudre » dès un jeune âge. En l’écoutant, il a « un sourire avec une larme à l’œil » ajoute-t-il poétiquement.
Même si le parcours en médecine est dense, le pianiste et clinicien pense que la médecine n’empêche pas les pratiques artistiques. Dr. Gaudet, qui a complété sa résidence en médecine familiale à Verdun, a côtoyé principalement des patrons de type « vivre et laisser-vivre ». Même au pire des études médicales, les concerts ne nuisaient pas à sa rigueur et son éthique de travail. Certains professeurs l’ont même encouragé à persévérer dans sa double vie.
Commencer une intégrale et évoluer comme médecin
Pour enregistrer l’intégrale de l’œuvre pianistique de Schubert, Mathieu Gaudet a pris le temps d’explorer non seulement le côté lyrique du compositeur, mais aussi son « ton de voix et la couleur de ses sentiments ».
Il voit des similitudes entre l’expérience de concert et le travail à l’urgence. En concert comme à l’hôpital, « il faut rester dans le moment présent et faire abstraction des doutes et des peurs en faisant confiance à nos capacités, tout en respectant nos limites », dit-il.
La relation avec l’autre, qu’il a travaillée autant avec le sarrau blanc que devant son clavier, est centrale dans les deux métiers. « En médecine, les patients se présentent pour se faire soigner, rassurer, toucher… C’est un peu la même chose pour le public d’une salle de concert ».
Mathieu Gaudet tient à encourager les étudiants en médecine à poursuivre leurs passions. « Ultimement, après avoir conclu de longues études, ce qui va faire de nous de bons médecins, c’est d’entretenir une familiarité et une sensibilité avec l’être humain. Un bon moyen d’y parvenir est de faire de l’art, de connecter avec quelque chose de plus grand que nous… »
Les trois premiers albums de son intégrale de Schubert sont disponibles sur les plateformes Apple Music et Spotify.