Un autre visage de la médecine humanitaire

Un autre visage de la médecine humanitaire

par Émile Brouillard

Pour la rédaction de cet article, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Dre Chantal Raymond, obstétricienne-gynécologue à Drummondville. Nous avons discuté de son expérience d’aide humanitaire, qui diffère de celle à laquelle nous sommes habituellement exposés. Elle s’est principalement impliquée dans l’enseignement aux professionnels de la santé, notamment dans le cadre de missions au Burundi et en Haïti. 

Il existe plusieurs similitudes entre son implication et celle de Médecins sans frontières qui déploie des agents de promotion de la santé dans plusieurs pays. Toutes deux sont motivées par un désir d’apporter des changements bénéfiques pour la population à l’aide de moyens éducatifs. Son témoignage nous rappelle à quel point la pratique médicale telle que nous la connaissons au Québec peut être aux antipodes de celle vécue ailleurs.


Parlez-nous de votre expérience ?

« Je suis allée au Burundi dans le cadre d’une mission chapeautée par la SOGC (Société des obstétriciens et gynécologues du Canada), le gouvernement du Canada, le programme GESTA (Gestion du travail et de l’accouchement) et l’AMIE (Aide internationale à l’enfance). Nous avions 20 étudiants qui faisaient de l’obstétrique dans les villages proches du centre de formation. C’était des infirmières, des sages-femmes et des médecins. Il était question ici de former les formateurs. Nous leur donnions un cours intensif et ils devaient nous l’enseigner  par la suite dans le cadre de leur évaluation. »


Quels sont les enjeux de la pratique médicale dans ces  pays ?

« Il y a une forte mortalité néonatale et maternelle dans ces pays lorsque se produisent des urgences obstétricales. C’est ce sur quoi portait notre formation. Il ne s’agissait pas ici de leur apprendre à faire des suivis de grossesse, mais bien comment réagir quand le bébé ou la mère ne va pas bien. Là-bas, il y a un manque de ressources, mais aussi un manque de mise à jour des connaissances. Pour certains patients, le seul fait de se rendre à l’hôpital est un enjeu parce qu’ils habitent loin et qu’ils n’ont pas nécessairement l’argent pour payer le médecin et le matériel médical. Il y a aussi une surutilisation des antibiotiques. »


En quoi consistait le programme d’enseignement ?

« C’était très varié. On leur apprenait à gérer les saignements, les accouchements en siège et la réanimation. On devait aussi faire de l’enseignement pour le traitement des infections suite à un avortement parce que plusieurs patientes de ces milieux tentent de se faire avorter elles-mêmes. Ils ont aussi dû apprendre à traiter adéquatement d’autres infections. On a aussi pris du temps pour parler de la contraception et du fait d’espacer les grossesses. Enfin, on leur a montré comment tenir des dossiers patients et comment recueillir et analyser leurs données de mortalité. Ce fut parfois choquant de voir qu’ils ne savaient pas comment réanimer un bébé ou qu’ils ne donnaient pas d’oxygène lors d’une détresse respiratoire, mais c’est pourquoi nous sentions que notre travail était important. »


Quelles sont les compétences requises pour faire de la formation à l’étranger ?

« Il faut avoir un intérêt pour l’enseignement, c’est certain. Ici, nous sommes habitués à apprendre avec des cas cliniques, des simulations, des démonstrations et des ateliers avec des mannequins. Là-bas, ce n’est pas le cas. C’est seulement de la théorie. Il faut donc apprendre à s’adapter à la réalité de gens qui n’ont jamais fait l’expérience de cette méthode d’enseignement. On combine alors théorie et enseignement pour rendre le tout accessible pour eux. »


Quels sont les défis que vous avez dû affronter ?

« Le fait de ne pas être sur le terrain, à l’hôpital directement, c’est difficile. On ne peut pas les superviser directement dans leurs interventions ni opérer avec eux pour faire du mentorat. Aussi, nous n’avons pas la possibilité d’avoir une vision globale de l’impact de notre intervention. Nous avons essayé de mettre en place un groupe Whatsapp dans lequel nous pouvions répondre à leurs questions, leur envoyer des articles scientifiques de référence, les aider avec des cas complexes et faire des discussions de cas, mais la participation n’était pas toujours optimale. »


Quelles sont les difficultés auxquelles les femmes du Burundi et d’Haïti sont confrontées en matière de soins de santé ?

« Il est certain qu’il y a un enjeu quant aux droits des femmes. Ce n’est pas la même réalité qu’au Québec. Il y a aussi un enjeu avec la violence conjugale subie par les femmes. Pour la contraception et l’avortement, l’accès y est difficile parce que ce ne sont pas des choses qui sont socialement acceptées. Même les professionnels de la santé vont souvent s’opposer à un avortement, peu importe les circonstances. Il faut être conscient de ces difficultés pour essayer d’améliorer la situation des femmes. »


Comment faut-il adapter les cours aux différences culturelles ?

« Dans notre cas, il y a eu une adaptation à faire quant à la façon d’aborder la matière enseignée. Par exemple, à l’habitude, il n’y a pas souvent des hommes à la salle d’accouchement. Il faut respecter leurs pratiques, mais aussi leur proposer des façons de faire qui peuvent améliorer la santé des femmes. C’est un travail d’équipe. Comme mentionné précédemment, l’avortement est un sujet sensible. Il a donc fallu savoir aborder le sujet habilement pour leur enseigner la façon de faire tout en sachant que plusieurs refuseraient d’en faire un même dans des situations extrêmes. Il y avait aussi le fait qu’il n’est pas toujours accepté que la femme change de position durant l’accouchement; elle pouvait recevoir une punition physique. Nous avons discuté avec eux pour les sensibiliser au fait que ce peut être bénéfique pour la mère de bouger durant le travail. Par contre, dans notre cas, nous mettions l’accent sur les urgences, donc les différences culturelles sont un peu moins présentes quand il faut agir rapidement. Ça nous a permis de mieux coopérer. »


Enfin, pourquoi avez-vous choisi de vous impliquer dans cette mission ?

« Par intérêt personnel. J’ai vu une annonce disant qu’ils cherchaient des gens et je me suis inscrite! »

Ce témoignage met en lumière un aspect de l’aide humanitaire qui permet d’avoir un impact à plus long terme sur la santé des populations. Il nous rappelle aussi que notre réalité peut être très différente de celle dans d’autres pays et qu’il faut en être conscient.

Sources pour approfondir le sujet 

André B. Lalonde, François Beaudoin, John Smith. Le programme GESTA International : Un outil de mobilisation et de renforcement de la capacité visant à réduire la mortalité et la morbidité maternelles et néonatales à l’échelle mondiale. JOGC. 2006; 28(11); 1006-1008. doi: https://doi.org/10.1016/S1701-2163(16)32299-X 

La Société des obstétriciens et gynécologues du Canada [En ligne]. Ottawa (CA). Santé mondiale des femmes [cité le 14 mars 2023]; environ 4 écrans. Disponible: https://www.sogc.org/fr/fr/content/about/sante-mondiale-des-femmes.aspx 

Anita Kalay, Chantal Raymond, Veronique Mareschal, et al. Knowledge and Skills Retention of Health Professionals in Burundi Following an ALARM International Program Training. SOGC [En ligne]. 2016-2020. [cité le 14 mars 2023]: [environ 1 p.] Disponible: ://www.sogc.org/common/Uploaded%20files/Burundi-project-ACSC-FINAL-04-06-2018%20(002).pdf

Anita Kalay, Chantal Raymond, Veronique Mareschal, et al. Knowledge and Skills Retention of Health Professionals in Burundi Following an ALARM International Program Training. SOGC [En ligne]. 2016-2020. [cité le 14 mars 2023]: [environ 1 p.] Disponible: ://www.sogc.org/common/Uploaded%20files/Burundi-project-ACSC-FINAL-04-06-2018%20(002).pdf