Guerre civile et aide humanitaire: un défi de taille au Mozambique

Guerre civile et aide humanitaire: un défi de taille au Mozambique

par Émile Brouillard, rédacteur pour Amis de Médecins Sans frontières

Alors que tous les yeux sont rivés sur la guerre qui fait rage en Ukraine, d'autres conflits armés ailleurs sur le globe ne doivent pas être oubliés. Loin d'être mutuellement exclusives, les nouvelles zones de guerre ne mettent pas sur pause les plus anciennes, et le sort des soldats et civils qui y perdent la vie méritent aussi un peu de notre attention.

Le conflit armé au Mozambique fait assurément partie de la catégorie des conflits qui devraient être davantage mis en lumière. La province du Cabo Delgado est le théâtre de violents affrontements depuis bientôt cinq ans et peu semblent en parler. 

La mission de Médecins Sans Frontières poursuit ses efforts humanitaires malgré les difficultés rencontrées. Les membres sont confrontés à un problème qui dépasse la simple dispensation de soins en zone de conflit. 


Manque de ressources

Au-delà de la nécessité de soigner les blessés lors des fréquents affrontements entre les forces armées et les insurgés dans le nord du pays, les représentants de MSF sont confrontés à un flagrant manque de ressources qui ne se limite pas qu’au matériel médical. Eau, nourriture et autres articles de première nécessité peuvent se faire rares par endroit. La chaîne d’approvisionnement humanitaire peine souvent à se rendre dans les zones géographiquement éloignées ou dans les territoires coincés par les différentes manœuvres d’attaque, de contre-attaque et d’occupation des forces armées (4). De plus, dans quelques régions, MSF est le seul organisme humanitaire international à avoir une mission active. Les membres déployés dans ces zones ne peuvent donc pas compter sur des efforts collaboratifs entre différentes organisations, ce qui rend la distribution de fournitures de base d’autant plus difficile. 

Heureusement, MSF fait preuve de résilience et d’ingéniosité afin de maintenir son efficacité malgré le fait que les membres doivent souvent agir avec urgence. En effet, plus de 2000 kits contenant des articles essentiels (tentes, jerricans, filets à moustiques, eau, nourriture, etc.) sont toujours prêts à être distribués dans les entrepôts opérés par MSF. Pour preuve, 701 de ces kits ont été distribués à l’arrivée de près de 1000 familles dans la région de Ntele après de violents affrontements (1,3,4).

Il ne faut pas minimiser le fait qu’environ 351 000 consultations médicales ont été faites par les 655 membres actifs déployés au Mozambique (7). Ce n’est pas peu dire que MSF travaille d’arrache-pied pour subvenir aux besoins de la population touchée par la guerre dans la province de Cabo Delgado et les territoires adjacents.


Mouvement de masse

La problématique humanitaire n’est pas seulement limitée au fait qu’il faut distribuer beaucoup de ressources à beaucoup de gens. L’instabilité du conflit, notamment caractérisée par le déplacement des zones de combats vers le sud du pays et par des attaques-surprises, entraîne une migration de la population. À vrai dire, il est rapporté que près d’un million de personnes ont dû fuir depuis le début du conflit dont 80 000 entre juin et août (1,2). Ces gens doivent être logés, nourris et soignés. Donc, la demande humanitaire s’accentue et dépasse le fait unique de soigner des blessés. Il s’agit pour certains de la deuxième ou troisième migration forcée (4). Ainsi, ils ont souvent tout laissé derrière et il ne leur reste rien. Le défi est donc d’accueillir beaucoup de gens, et ce, rapidement. 

MSF doit aussi être prêt à aider les civils à retourner dans certaines villes libérées par la coalition armée formée du Mozambique et du Rwanda. L’aide se concentrera alors autour de la dispensation des soins critiques et de la distribution de biens essentiels à l’aide de cliniques mobiles. Les efforts doivent toutefois être synchronisés avec ceux du gouvernement qui tente de rétablir le réseau d’aqueducs et d’électricité ainsi que de rouvrir le port (exemple pris sur la ville de Mocìmboa). Les civils commencent à revenir, mais il n’y a que peu d'activités dans ces villes qui portent encore les cicatrices de la destruction (8).

Image. Une tente de MSF à Capo Delgado. Photo prise par Amanda Furtado Bergman (MSF) (https://img.msf.org/AssetLink/0wb8as03e41stp0i48qm5qs8fg08c05o.jpg)

Santé mentale et aspect social

De plus en plus de témoignages de personnes fuyant les zones de conflits commencent à être recueillis à mesure que les réfugiés entrent en contact avec le personnel d’aide humanitaire. C’est ainsi que près de 3500 consultations personnelles pour du soutien en santé mentale ont été faites auprès des civils (et environ 64 000 participants à des activités de groupe). En écoutant les témoignages des rescapés et des intervenants, comme Tatiane, il est possible de mieux saisir l’impact psychologique de la violence sur les gens (2). La situation est d’autant plus difficile, considérant le fait que beaucoup d’énergie est consacrée aux besoins de première nécessité et que l’évolution du conflit est très imprévisible. C’est pourquoi MSF redouble d’ardeur afin que les besoins en santé mentale de la population touchée par le conflit soient tout de même pris en compte (2).

Par ailleurs, il est rapporté par l’ONU qu’environ 1,1 million de personnes souffrent d’insécurité alimentaire. Cette problématique est d’autant plus inquiétante, considérant le fait qu’elle est associée à une augmentation de la violence envers les femmes, à des abus sexuels et à une diminution du taux de scolarité des enfants. Il est possible de rajouter à ceci une augmentation du taux de mariage d’enfants dans certains villages comme le rapporte l’OCHA. L’ONU souligne que plusieurs organismes humanitaires craignent l’impact de la guerre en Ukraine sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire et des répercussions que ce conflit aura sur la situation au Mozambique (5).

De plus en plus de témoignages commencent à être relayés par des survivants et par des membres d’organismes communautaires et ce sont des histoires qui choquent. Certains mentionnent avoir dû fuir au beau milieu de la nuit pour ensuite marcher plus de 40 kilomètres jusqu’à la ville la plus proche alors que d’autres racontent avoir pris sous leur aile des enfants orphelins (1,2). Il est aussi mention de gens sans nouvelles de leurs proches. D’autres rapportent même avoir été témoins de crimes de guerre (6).


Conclusion

Au-delà d’être une simple mission de dispensation de soins, la mission de MSF se doit aussi d’être une mission axée sur l’humain, sur la personne. Cette dynamique diffère de celle dans laquelle le patient cherche uniquement à se faire soigner. Ainsi, non seulement les médecins, mais tout le personnel des organismes doivent user de compétences qui ne font pas nécessairement partie de leur formation professionnelle. Cette réalité nous rappelle en effet que le rôle d’un organisme, comme MSF, en zone de conflit ne se résume pas qu’à soigner des blessures.

Il est de notre rôle d’appuyer les initiatives humanitaires. S’il est possible de s’impliquer directement, c’est pour le mieux. Cependant, là n’est pas la seule façon d’aider la cause. Le fait de s’informer, de lire, de s’intéresser et de discuter avec d’autres de ces sujets permet de les mettre en lumière. C’est donc dans un esprit d’effort communautaire et de solidarité sociale que s'inscrivent ces gestes. En se mobilisant tout ensemble, il est possible de faire une différence.

PS Sur une note plus personnelle, je vous invite à consulter différents témoignages qui renferment des détails, parfois choquants, que je n’ai pu aborder dans cet article. Ils livrent une version crue, mais réaliste, de la situation au Mozambique, où l’ampleur de la crise humanitaire, du conflit armé et des crimes de guerre augmente malheureusement.


Sources

1. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 11 août 2022. Mozambique: Tens of thousands of people displaced by conflict in need of essential items in Cabo Delgado [cité le 24 octobre 2022]; [environ 2 écrans]. Disponible: https://www.msf.org/mozambique-tens-thousands-people-displaced-conflict-need-essential-items-cabo-delgado

2. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 5 octobre 2022. Mozambique: vivre dans la peur après 5 ans de conflit dans le Capo Delgado [cité le 24 octobre 2022]; [environ 4 écrans]. Disponible: https://www.medecinssansfrontieres.ca/article/mozambique-vivre-dans-la-peur-apr%C3%A8s-cinq-ans-de-conflit-dans-le-cabo-delgado

3. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 11 juillet 2022. Three new developments in the Capo Delgado crisis [cité le 24 octobre 2022]; [environ 7 écrans]. Disponible: https://www.msf.org/mozambique-three-new-developments-cabo-delgado-crisis

4. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 16 avril 2021. Fear and loss for people feeling violence in Capo Delgado [cité le 24 octobre 2022]; [environ 6 écrans]. Disponible: https://www.msf.org/people-lose-family-livelihoods-cabo-delgado-mozambique

5. Organisation des Nations unies, New York (ÉUA), ONU; 22 juillet 2022. Mozambique: 1,5 million de personnes ont besoin d’aide humanitaire dans le nord du pays (OCHA) [cité le 24 octobre 2022]; [environ 4 écrans]. Disponible: https://news.un.org/fr/story/2022/07/1124262

6. Amnesty International, Londres (RU), Amnesty International; 2 mars 2021.Mozambique. Des civils sont victimes des crimes de guerre imputables à un groupe armé, aux forces gouvernementales et à une société militaire privée Nouveau rapport [cité le 24 octobre 2022]; [environ 4 écrans]. Disponible: 

https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/03/mozambique-civilians-killed-as-war-crimes-committed-by-armed-group-government-forces-and-private-military-contractors-new-report/

7. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 2021. MSF Mozambique [cité le 24 octobre 2022]; [environ 4 écrans]. Disponible: https://www.msf.org/mozambique

8. Médecins Sans Frontières, Paris (FRA), MSF; 8 avril 2022. Adapting healthcare in Mocìmboa da Praia as people flee or return home [cité le 24 octobre 2022]; [environ 2 écrans]. Disponible: https://www.msf.org/adapting-healthcare-people-cabo-delgado-flee-or-return-mozambique