Le Pouls

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People's Business : réflexion sur la médecine au-delà de la science

Par Alec Gazeryan et Philippe Harris

Ce court texte propose une réflexion sur l’individu au-delà du scientifique… parce qu’après tout, la médecine est littéralement un « people’s business ».

Durant les années de la préclinique, nos discussions en APP (apprentissage par problème) nous amènent semaine après semaine à explorer toutes les facettes du corps humain. Physiopathologie par-ci, mécanismes par-là, cascades hormonales, enzymatiques, etc., tout y passe pour tenter d’expliquer la complexité insondable du corps humain. Comme pour résoudre un problème complexe en le divisant en plus petits.

Cette théorie établit la base physiopathologique sur laquelle nous construisons notre compréhension de la normalité et de l’anormalité, nous outillant ainsi pour une pratique clinique de la médecine. Malgré tout le temps que nous avons consacré à bâtir notre expertise, nous réalisons que ce que nous avons appris est insuffisant. Insuffisant pour traiter adéquatement les pathologies étudiées, insuffisant pour couvrir l’entièreté des dites pathologies d’un système. Combien de fois nous a-t-on dit que certaines informations « dépassent les objectifs » ? Cependant, ces mêmes concepts ne dépasseront pas nécessairement la réalité clinique et celle des patients. Oui, nous construirons sur les fondements appris, mais la science évolue si vite que l’obsolescence de ces fondements surviendra peut-être plus tôt que prévu. Néanmoins, nous restons confiants, car au courant des prochaines années, notre étude se poursuivra, et notre expertise se précisera vers un domaine plus restreint. Nous apprendrons, oublierons et réapprendrons. 

Que nous restera-t-il alors ? Une méthode, une technique pour trouver l’information requise, une posture de professionnel rigoureux. L’école n’est donc pas une période finie, mais bien une introduction à une méthode d’apprentissage. Dans notre cas, dans le cadre de notre profession et pour assurer la qualité des soins offerts à nos patients, cette période d’apprentissage devra s’échelonner sur l’entièreté de notre carrière. 

Nous ne pourrons jamais tout connaître, mais notre véritable apprentissage réside dans notre capacité à nous éduquer nous-mêmes. En effet, l’épreuve véritable de notre expertise médicale surviendra lorsque nous serons confrontés à des cas inédits, des situations qui ne figurent dans aucun manuel. C’est à ce moment que notre capacité à penser de manière critique et à innover sera mise à l’épreuve. 

Dans cette perspective, rappelons-nous que la médecine n’est pas seulement une profession, mais une vocation profondément humaine. Réduire une maladie à une altération génomique ou à une étape enzymatique défectueuse est la quintessence de la médecine moderne et est primordiale pour le développement médico-pharmaceutique, mais qu’en est-il pour le patient ? Pour être de bons médecins, nous devons cultiver aussi (certains diront surtout), la relation humaine. Sortir de notre tête de scientifique de temps en temps pour trouver un équilibre de vie : prendre soin d’autrui, mais prendre aussi soin de nous.

C’est bien connu, l’empathie, si essentielle à la pratique médicale, diminue plus les années passent. Alors, comment l’apprendre ? Comment la préserver ? Comment la cultiver ? C’est une question qui a assurément fait l’objet de nombreuses discussions. Au sein de la faculté, il est visible que l’une des stratégies employées sont les cours et les ateliers annexes. Ces ateliers, même s’ils n’occupent qu’un après-midi chaque deux voire trois semaines, sont souvent perçus par nos collègues comme un fardeau qui s’ajoute à un horaire déjà chargé d’étudiants en médecine. 

L’empathie et la compassion s’entretiennent aussi en gardant les pieds sur Terre. En réalisant que la valeur attribuée à une profession n’est qu’une construction sociale. Mais surtout en reconnaissant que les patients que nous rencontrons ne sont pas si loin de nous. Où serons-nous dans 10 ans ? Dans 20 ans ? Pourrions-nous nous-même être à leur place... être patients ?

Durant cette pause estivale, cultivons des moments en famille et entre amis, et prenons le temps d'apprécier la beauté du monde qui nous entoure. Apprenons à nous connaître nous-mêmes, à identifier nos passions et à nourrir notre âme. En développant notre humanité, nous deviendrons des médecins plus complets et aptes à prodiguer des soins, non seulement efficaces, mais aussi empreints de compassion et de sincérité.

Car la médecine, bien qu’imparfaite, constitue le plus parfait mélange de science et d’humanisme. C’est une science des gens, une affaire de personnes, un people’s business.