Deux avenirs
Par Lucas Beaulieu
Supposons que vous êtes brillant. Chose sans doute vraie… Rajoutons que vous êtes charmant, fort, fiable, doué — et j’en passe — parmi d’autres indéniables vérités… Supposons que tout vous est donné, que tout vous vient aisément… Que faites-vous ?
Ou peut-être rien de cela ne vous décrit. Peut-être vous estimez-vous sans valeur. Chose sans doute douteuse… Maintenons tout de même cette réflexion : que faire ? Car que vous soyez ou non un Adonis ou une Vénus, que vous labouriez ou non 23 heures par jour, que la particularité de votre parole vous érige ou vous accable, toujours vous reste-t-il des choix — toujours vous reste-t-il la liberté.
Et non peu ! Comment ? Permettez-moi de me livrer à la voyance : je devine (par pure divination) que vous vivez au Canada. Vous êtes aussi fort probablement jeune. Enfin, votre avenir vous promet sûrement une carrière en médecine. En vertu des trois formes de richesse que confèrent ces attributs — civique, temporelle et financière, respectivement — vous jouirez d’une incroyable liberté. C’est une chance peu répandue : qui sait combien ne l’ayant point reportent leurs rêves à la merci des « si » ? Si seulement je vivais dans un « meilleur » pays… Si seulement j’étais plus jeune… Et si seulement me le permettait mon salaire…
Alors que faites-vous ? Comment profitez-vous de cette liberté, les chanceux ? La question est d’une étendue sans pareil, donc en bons penseurs, simplifions.
Que faire de sa vie ? Les répondants se répartissent ainsi : ceux qui doutent et ceux qui savent. D’un côté, la broussaille. De l’autre, le chemin tout tracé. À ceux sachant déjà comment se dénouera leur destin, je lève mon chapeau. Se décider sur ce point si résolument ne s’accomplit pas sans courage ! Mais la suite de ce propos ne vous concerne que peu.
De la part de ceux qui doutent, je réclame, au contraire, l’attention. Votre liberté est promise, reste à la saisir pleinement. Pour vous orienter, voici deux repères — deux visions de l’avenir sur lesquelles calquer sa vie — dans lesquels j’aimerais que vous vous projetiez…
D’une part, un avenir « petit » : les petits rêves, les petits risques, la petite carrière et la famille. Un dévouement au bonheur domestique et aux proches avant tout. Dans cet idéal, tout désir de reconnaissance est marqué par sa modestie. Plutôt que de chercher à aider le plus grand nombre, à pondre le plus de projets ou à côtoyer les sphères les plus éminentes de la société, on se contente d’être aimé par ceux qui nous tiennent à cœur. On savoure les petits plaisirs.
D’autre part, un avenir « grand » : les grands rêves, les grands risques, la belle carrière et les sacrifices. Dans cet idéal, la reconnaissance ne se limite pas à un cercle de connaissances : on s’offre au public, au monde, à une cause plus grande que soi. On s’attribue un potentiel imposant, dont s’impose la réalisation absolue. On exerce des efforts extrêmes pour se hisser aux plus hauts sommets. Parfois on en déboule, souvent on s’y perd — proches et plaisirs immolés sur l’autel de sa montée… Mais, des fois, le pic est atteint. Alors on brille. Alors, selon certains, toute perte est pardonnée.
Parmi ces deux avenirs, lequel vous interpelle ?
Bien sûr, les aspects de l’un n’excluent pas totalement ceux de l’autre. Ils sont ainsi mieux conçus comme constituant les pôles d’un spectre. Mais encore, vers quel pôle tendez-vous plus ? L’avenir « petit » ou l’avenir « grand » ?
Pourquoi se poser la question ? En situant ses ambitions sur ce spectre, on trace une silhouette de ses plans à long terme. Avec une idée plus concrète de ses objectifs, il est naturellement plus facile d’orienter ses actions. C’est en agissant, au final, qu’on profite de sa liberté. Ainsi, c’est en répondant à la question — en se faisant une idée de son avenir — qu’on jouit au plus de cette chance qu’est d’être si libre. Ce, bien sûr, en se laissant un peu de lousse… Une idée trop fixe du futur limite toute spontanéité, donc tout élan de liberté porté à l’improviste.
Ou peut-être l’avenir ne se catégorise pas… Peut-être supposer sa forme souille la beauté de son mystère ? Peut-être… mais alors qu’y aurait-il à écrire ?