Je pense
C’est redondant, vous direz, en médecine, de parler d’anxiété de performance. Je suis d’accord. Même que je roule les yeux (un peu) à chaque fois que je vois un texte sur ça.
Je croyais être immunisée : 2e carrière, plus vieille que mes collègues, et pourtant je suis happée de plein fouet. C’est moi ou c’est le système? Comment être bienveillante quand on l’est peu avec nous (je généralise) ? Comment prendre parole pour soi quand ça pourrait nous coûter cher (j’exagère) ? Comment avoir confiance qu’on est indulgent envers nous quand on assiste à l’impatience et aux reproches envers les patients et les collègues (dans leur dos) ? Comment peut-on ne pas craquer quand ça craque de partout (ça, je suis sûre de pas exagérer) ?
Je me trouve sans réponse. Dans mon lit. 3h du matin. Mon bébé dort dans la pièce d’à côté. Je suis chanceuse d’avoir un bébé. Je suis chanceuse d’être en médecine. Je suis chanceuse d’être blanche, en sécurité, dans mon lit, à côté de mon chum qui ronfle (un peu). Je suis chanceuse d’être en santé. Je suis chanceuse. Pourquoi je ne dors pas ?
Est-ce 12 ou 3 secondes que les médecins écoutent leur patients avant de les interrompre ? Je ne sais plus. Hier, je ne savais pas non plus quoi faire avec une dyspnée aiguë lorsqu’on m’a quizzée devant le patient visiblement en détresse lors de ma première journée en stage en médecine d’urgence (public d’infirmières en prime). D’expérience, je pense que c’est 3 secondes. Je regarderai sur UpToDate tantôt. Je vais me l’écrire sur un petit papier et le relire. Ce soir. Demain matin. En pleine nuit. On verra. Mais je vais lire. Pour mon LMCC. Pour mon patient. Pour m’assurer que je suis digne, aimée, protégée, écoutée. Je m’écarte, je pense. Où réside ma valeur déjà ?
Je pense vraiment que c’est 3 secondes. Parce qu’à chaque fois que je vois un patient, il me raconte son histoire pendant longtemps. Et je pense que c’est à cause de toutes les fois où il s’est fait interrompre. Il compense, dit le plus de choses possible pour être certain d’avoir été un peu plus écouté cette fois. Je le comprends, ça fait du bien de se sentir écouté. C’est pas simplement un effet placebo, je pense.
On me l’a reproché. Ils sont trop longs, mes questionnaires, mes notes. On ne veut pas que je fasse du débit, et pourtant... Mais ce que mes patrons ne savent pas, c’est que je ne questionne pas beaucoup. Peut être qu’ils me le reprocheraient aussi (lire: “me feraient le commentaire constructif”). Je ne le leur dis pas. Top secret. C’est mon plaisir coupable. M’asseoir tranquillement et laisser le patient parler, l’écouter honnêtement. Mon stétho dans le cou, pour pouvoir noter “B1-B2 normal”. Je sais pas trop comment un B1-B2 peut ne pas être normal. Dans le sens que, si je l’entend, c’est qu’il est normal, non ? Voilà. C’est un peu la honte, de ne pas savoir ça. Je lirai à ce sujet demain. Je mettrai mes notes à jour. Surtout, ne pas trop poser de questions aux patrons. On pourrait me démasquer. Je devrais le savoir. Pour mon LMCC, surtout. Qui arrive. Les entrevues aussi. C’est après demain, ça arrive. C’est bientôt fini (pas vraiment).
Ca me fait du bien à moi, je pense, d’écouter sans interrompre. Ça me sort de mes problèmes de privilégiée et j’aime (lire: “mon ego aime”) penser que je leur fait du bien aussi, que je suis un peu meilleure que beaucoup de médecins pour écouter. Attendez. Ça veut peut-être dire que c’est moi qui est au mauvais endroit, pas sur mon X, pas dans la bonne profession, si j’écoute trop. Peut être que c’est MOI le problème, pas les médecins qui font leur job de médecins-qui-écoutent-pas-beaucoup-mais-qui-sauvent-des-vies-et-essaient-juste-d’avoir-le-bon-DDX-pour-donner-le-bon-traitement-dans-un-système-plein-à-craquer-qui-manque-de-ressources. Je suis pas sarcastique ni quérulente (j’ai appris ce mot d’un patron, mais je viens de le googler et ça ne veux pas tout à fait dire ce qu’il m’avait expliqué, j’ai sûrement mal compris) et je n’essaie pas de me victimiser, je me le demande réellement.
Il me faut une meilleure routine de sommeil. Éteindre mon cell 2h avant le dodo. Surtout pas dans le lit, le cell. Pas de café trop tard. Pas manger avant de se coucher. Pièce sombre. Fraîche. Silencieuse (après avoir cogné dans le mur pour que mon voisin qui fait son trip de MDMA baisse le son) et surtout, on se lève si on ne s’endort pas après 30 min. On fait quelque chose de plate. Pas d’écran. On lit ou on fait des sudoku. On médite. Demain soir, je ferai une meilleure routine de sommeil. Je vais méditer en endormant ma bobine d’amour, sa respiration chaude dans mon cou, ses petits ongles-lame-de-rasoir qui me grattent le bras, ses petits spasmes de jambes quand elle s’endort. Ça me ramènera dans le moment présent. Comme à chaque fois que je respire son odeur derrière ses oreilles. Comme quand on me montrait son placenta alors qu’elle pleurait sur moi, il y a quelques mois. Demain soir, je vais dormir. Après-demain, je lirai.
Il faut que je sorte aussi, voir un peu la lumière du jour. Demain, j’ai pris congé, c’est dans mon 20-35% d’absence, je suis correcte, j’ai motivé au moins une semaine d’avance. J’ai dit que c’était pour des raisons familiales, c’est correct, pensez-vous ? Je vais sortir avec bobine (c’est pas son vrai nom, quoique je l’appelle comme ça tellement souvent qu’elle risque de penser que ce l’est avant de comprendre le principe du surnom). Après-demain, je prendrai 30 minutes pour manger, pas 45 minutes (un autre commentaire constructif que j’ai reçu, mais pas écrit dans mon évaluation – je suis chanceuse). Mais demain je prendrai toute la journée pour manger et respirer un peu. Peut-être prendre une douche aussi.
C’est tout, je pense.
Ça a commencé très poétique mon affaire, ça finit comme ça.
Merci pour votre écoute. De m’avoir lu. Ça m’a fait du bien, je pense.
E12982017 (Externe 2)