Recherche de contacts

Recherche de contacts

Texte gagnant du concours d’essais de l’AÉÉMUM

par Leonardo Lamanuzzi 

Au cours des derniers mois, la mission d’aplatir la courbe est devenue célèbre grâce aux mains claquantes de Dr Horacio Arruda. La quarantaine – d’ampleur sans précédent à l’échelle mondiale et expédiée par l’arrivée furtive du COVID-19—a été inaugurée brusquement par nos autorités politiques. L’admonition était claire : on aplatit la courbe via la quarantaine pour sauver des vies en évitant le débordement de notre système de s­­anté. Face à un pic brutal de cas sérieux, une situation déchirante de milliers de morts imprévus aurait été inévitable. Comme on l’a vu à Bergame (Italie), le premier épicentre du coronavirus documenté de manière transparente, il frappe fort et il frappe vite. Dès qu’on est infecté, aucun frein n’existe, et nous nous retrouvons, nous et nos proches, véritablement à la merci étouffante du virus. 

Jusqu’à présent, notre approche a été prudente et s’est centralisée sur la patience. Toutefois, elle a coûté très cher. Des analyses récemment publiées par le Directeur parlementaire du budget canadien prédisent que le déficit fédéral serait 252 G$ en 2020-21, comparé à $25G en 2019-20 [1]. Soyons clairs : l’aplatissement de la courbe est essentiel malgré ses coûts; ça sauve des vies. Mais une fois qu’on a aplati la courbe, qu’est-ce qu’on fait après? Notre monde est paralysé et, présentement, on semble être un peu trop patients, bercés par l’effet hypnotisant de notre vulnérabilité et de notre confiance dans le gouvernement. Sans doute, la quarantaine fonctionne bien, mais c’est un outil médiéval. En revanche, nous devrions poser la question suivante : comment moderniser nos armes contre ce virus? 

Tout d’abord, la recherche des contacts (contact-tracing en anglais) devrait être un joyau de la couronne parmi les options épidémiologiques. Elle consiste à identifier, informer et surveiller les personnes susceptibles d'avoir été en contact avec une personne chez qui une maladie infectieuse, telle que la COVID-19, a été diagnostiquée.  La prochaine étape consiste à retrouver toute personne ayant eu un contact prolongé avec une personne infectée au cours des 14 derniers jours, afin de l'informer qu'elle a pu être infectée et de prendre des mesures de quarantaine et de surveillance des symptômes. Afin d’amener un programme de recherche des contacts efficace, le succès repose sur deux facteurs : la capacité de naviguer ces données massives et la compliance des individus face à la collecte d’informations sur leurs déplacements.

L’analyse des informations massives est facilitée par des algorithmes qui peuvent être miniaturisés dans une application (app) toujours dans nos poches. De nombreux pays comme la Chine, la Corée du Sud et Singapour les utilisent déjà [2] et l’Australie et la Nouvelle-Zélande commencent à dévoiler leurs propres applications [3]. Au Canada, l’Alberta a récemment dévoilé sa propre app [4]. La plupart de ces applications s'appuient de plus en plus sur la technologie Bluetooth pour localiser d'autres téléphones à proximité qui utilisent la même application. Bien évidemment, cette réalité soulève des inquiétudes quant à la protection de la vie privée. C’est tout à fait compréhensible : la menace d’un État orwellien effraie les gens. Des solutions existent toutefois, comme l’anonymisation des informations. Les données peuvent être associées avec un numéro de compte, donc pas de nom, genre ou adresse. Dans le fond, si notre gouvernement est responsable de notre sécurité, comment n’est-il pas obligé d’utiliser toutes les ressources à sa disposition pour empêcher la mort? La situation est accentuée par le fait que ces morts se déroulent sur notre territoire en temps de paix. 

Source : https://www.nbcnews.com/think/opinion/coronavirus-fears-show-how-model-minority-asian-americans-become-yellow-ncna1151671

Source : https://www.nbcnews.com/think/opinion/coronavirus-fears-show-how-model-minority-asian-americans-become-yellow-ncna1151671

Si nous nous opposons à cette solution un peu envahissante – une réaction tout à fait normale – il n’y a pas de problèmes. C’est l’avantage de notre démocratie : nous avons tous nos croyances et nous pouvons les exprimer sans crainte de persécution. Mais, on doit être honnête : en refusant de sacrifier un morceau de notre vie privée aux autorités médicales, est-ce qu’on supplante les droits des immunosupprimés et des ainés à la vie? Plus profondément, la vie privée existe-t-elle encore? Qu'on le veuille ou non, notre monde est devenu systématiquement informatisé. Cependant, nous sommes complices de cette réalité car nous profitons d’innombrables services gratuits comme Facebook, Amazon et Google en échange de l’accès à nos informations. D’abord, le refus de consentir à la diffusion de nos mouvements lors d’une pandémie doit être bien examiné. Si on ne m’oblige pas à partager mes données, est-ce que je banalise subliminalement votre droit à la vie?

Récemment, notre Premier ministre Justin Trudeau a déclaré que la recherche des contacts est un outil important, mais qu’on devrait le faire tout en respectant la vie privée des citoyens. Cependant, vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. En effet, il est prouvé que si on est incapable de surveiller un certain pourcentage de la population, la qualité de la recherche des contacts souffre énormément. Des chercheurs du Big Data Institute de l'Université d'Oxford affirment qu’un programme de recherche de contacts par application ne fonctionnera que si environ 60 % d'une population serait partante [5]. Donc, sans le consentement universel d’une population (et c’est le cas en Alberta où l'abonnement est facultatif), il est impossible de garantir l’efficacité du programme et d’assurer aux gens qui consentent à la collecte de leurs données que leur sacrifice est assez significatif pour être justifié. Donc, l’obstacle n’est pas la technologie, mais la méfiance des individus envers cette technologie, et par extension, le gouvernement. Pourtant, s'il y avait un temps pour permettre un recul temporaire de la vie privée totale, ne serait-ce pas maintenant? 

Tout d’abord, nous nous trouvons à un désavantage tactique, car nous chassons un vaccin – notre sauveur messianique sous forme d’anticorps – à la merci du temps. Selon l'Organisation mondiale de la santé, plus de 100 vaccins sont en cours de développement dans le monde entier [6]. Cependant, les vaccins ne sont pas des solutions à court terme. Les essais cliniques contre le coronavirus (comme celui récent de Moderna [7]) sont un motif d'optimisme, mais aucun résultat n’est garanti et les essais cliniques peuvent durer des mois, voire des années. Entre-temps, de nouveaux cas sont diagnostiqués tous les jours, et les cas quotidiens aux soins intensifs sont imprévisibles. Sans doute, pour limiter la létalité du virus, le vent dans les voiles nécessaire pour naviguer ces eaux inconnues demeurent la recherche des contacts.

Face à cette pandémie et aux crises futures, des systèmes d'alerte précoces devraient être élargis pour faciliter une réponse plus efficace et rapide. La Covid-19 n’est pas la première pandémie et ne sera certainement pas la dernière. Pour être bien préparé, un nouveau type d’engagement politique est nécessaire au nom de la défense biologique. Les autorités épidémiologiques doivent avoir la capacité de passer outre les rouages de la bureaucratie.  En particulier, la malléabilité de notre droit à la vie privée dans des situations de crises devrait être discutée de manière transparente à l’échelle nationale. Afin de repérer des solutions sécuritaires et pragmatiques, l'ouverture d'esprit au compromis est nécessaire pour faire place à l’innovation. Par exemple, pour maintenir l’appui du public, l’anonymisation d’information est primordiale. Sans accès aux données complètes d’une population entière, on se tire une balle dans le pied. Combien de morts en vain pourraient être sauvées? 

Finalement, on doit faire face à la réalité: les menaces biologiques ne sont pas toujours des accidents. Serions-nous mieux équipées pour la prochaine crise qu’elle soit naturelle ou intentionnelle? Le bioterrorisme est un enjeu sinistre qui plane dans notre monde; avec des capacités de génie génétique, les micro-organismes peuvent être militarisés. Clairement, un virus peut avoir un impact aussi néfaste qu’une arme de destruction massive. Face à cette guerre moderne, on a besoin d’outils modernes. Grâce à la recherche des contacts et aux progrès dans l'apprentissage automatique (machine-learningen anglais), des données massives sur les mouvements d’une population peuvent être analysées de manière rapide et efficace.

Les soucis vis-à-vis de la vie privée peuvent être soulagés par la transparence de notre démocratie et la confiance dans nos institutions épidémiologiques. C’est optimiste, mais quand nous nous trouvons entre la vie et la mort, on n’a pas le choix : des solutions exceptionnelles doivent être sérieusement envisagées.

Références 

[1] https://theconversation.com/paying-for-the-pandemic-why-the-governments-massive-coronavirus-spending-may-not-lead-to-higher-taxes-137862

[2] https://www.cbc.ca/news/canada/coronavirus-covid-19-contact-tracing-app-1.5558512

[3] https://www.theguardian.com/australia-news/2020/may/07/covid-safe-app-downloads-ios-android-iphone-australian-government-covidsafe-tracking-how-to-download-install-works-working-problems-issues-battery-australia-coronavirus-contact-tracing

[4] https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/covid-19-tracing-tracking-application-1.5555353

[5] https://www.research.ox.ac.uk/Article/2020-04-16-digital-contact-tracing-can-slow-or-even-stop-coronavirus-transmission-and-ease-us-out-of-lockdown

[6] https://www.cnn.com/2020/05/07/health/us-coronavirus-thursday/index.html

[7] https://thehill.com/policy/healthcare/496548-moderna-says-phase-3-coronavirus-vaccine-trial-could-start-early-summer

*Des anglicismes furent conservés dans ce texte pour des raisons de style.

Source de l’image de couverture : https://nouvelles.umontreal.ca/article/2020/06/04/la-recherche-de-contacts-pour-sauver-des-vies/