Quand le doute surgit
par Mila Derosiaux
Les exemples de dilemmes moraux sont nombreux dans la littérature. Chimène est déchirée entre son amour pour Rodrigue et son désir de vengeance contre l’assassin de son père. Antigone est taraudée entre l’action juste légalement et celle juste moralement. De façon plus littérale, L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert L. Stevenson personnifie la personnalité “bonne” contre la personnalité “mal” d’une même personne.
En ce moment, je me sens comme ces célèbres personnages d’œuvres classiques : je suis déchirée entre ce qu’on me dit et le doute. Un instant, je défends corps et âme les mesures prises par le gouvernement concernant la Covid, au nom du personnel soignant. De l’autre, je vais à l’encontre des idées établies et de mon futur groupe d’appartenance, et je tempête contre les mesures ridicules qui bafouent nos libertés. Je n’ai aucune idée de laquelle de ces deux perceptions est la plus réaliste, la plus véridique. Mais ce qui me frustre le plus, c’est que la plupart des gens ne semblent même pas avoir cette réflexion. Ils prennent pour acquis tout ce qu’on leur raconte et ne remettent rien en question : « si le gouvernement le dit, c’est que c’est vrai. » Vraiment?
Quand j’entends tout ce qui se passe et les mesures draconiennes mises en place par le gouvernement, je commence forcément par penser que tout cela est justifié. Pourquoi le gouvernement mettrait à risque toute l’économie du pays pour rien? Devant l’inconnu de cette maladie parfois mortelle, je crains pour la santé de ma famille et de mes amis.
D’abord, je pense aux plus vulnérables, et je veux les protéger évidement. Dans son humanité, l’Homme s’associe aux familles des victimes et s’imagine ce qui se passerait si ça devait lui arriver à lui aussi de perdre un être cher. Je pense à mes grands-parents en France, que je n’ai pas revu depuis un certain temps et je me dis : s’ils attrapent la maladie, je ne les reverrai peut-être jamais. J’ai tellement peur pour eux, que je suis prête à tout pour les protéger.
Tous les matins, en prenant mon petit déjeuner, je regarde le Journal de Montréal de la veille. Le décompte des morts me donne des sueurs froides. Surtout durant la première vague quand je voyais les cercueils s’aligner dans les églises dans une Italie croulant sous les décès. Et puis, même si le nombre de morts ne semble pas énorme, mieux vaudrait qu’il n’y ait pas de morts du tout. Ce sont des êtres humains. Personne de mérite de mourir autrement que de vieillesse. En plus, ça pourrait être quelqu’un que je connais! Alors, à quoi bon l’économie quand des vies humaines sont en jeu. Une vie n’a pas de prix.
On parle beaucoup du risque de la maladie en tant que telle, au moment où on l’attrape, mais il ne faut pas oublier que l’on n’y connait encore rien. Nous ne savons pas s’il y a des effets secondaires qui vont ruiner la vie de certaines personnes. Personnellement, je me demande si la Covid-19 ne serait pas une maladie chronique. En effet, depuis que ma famille et moi l’avons eue, nous avons remarqué des symptômes persistants chez trois d’entre nous. Ma sœur a développé une sorte de Syndrome de Reynaud, deux de ses orteils de chaque pied deviennent complétement blancs et froids une fois de temps en temps, sans raison apparente. Ma mère constate des problèmes gastriques beaucoup plus fréquents qu’auparavant. Quant à moi, je suis plus souvent nauséeuse et légèrement plus dyspnéique qu’avant, et environ une fois par mois, je me sens malade pendant quelques jours (je me sens fiévreuse, démotivée, nauséeuse et j’ai de légers maux de ventre). Bref, que des choses qui ne nous étaient jamais arrivés auparavant. Pour nous, cela reste assez bénin, ça ne nous empêche pas de vivre comme avant. Mais j’ai vu de nombreux témoignages de jeunes qui ne peuvent plus faire de sport à cause de dyspnée à l’effort, alors qu’ils étaient très actifs auparavant…
Finalement, ce qui me convainc le plus du bien fondé des mesures prises, c’est le risque de surcharge des hôpitaux. En tant que future professionnelle de la santé, c’est un enjeu qui me touche particulièrement. Je vois le manque de personnel et le stress des médecins, infirmières et préposés. J’imagine aussi les choix déchirants qui devront être fait par les professionnels de la santé, lorsqu’il n’y aura plus assez de lits et de respirateurs. Comment choisir éthiquement qui doit vivre entre M. A et Mme B? Je pense que c’est vraiment l’enjeu le plus important de cette pandémie. D’ailleurs, j’entends au Journal que les hospitalisations décollent, que les hôpitaux sont débordés…
Cependant, un jour, en discutant avec une de mes professeures, j’apprends qu’il n’y avait que 8 cas fin septembre à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, qui était pourtant LA zone chaude durant la première vague. Et là, tout s’écroule. Mon avis se retourne, je me trouve déchirée de nouveau.
Les informations qu’on nous donne ne me semblent pas toujours véridiques. C’est très difficile de savoir qui croire. Je pense devoir croire les médias car pourquoi nous mentiraient-ils? J’essaye de plus utiliser mon esprit critique et aller chercher l’information à la source.
D’abord, je trouve que donner le nombre de cas n’est vraiment pas très pertinent quand on sait que beaucoup de gens ne vont pas se faire tester par choix (pour ne pas être obligé de rester chez eux et ainsi perdre leur revenu salarial) ou par obligation (parce qu’ils n’ont jamais eu de rendez-vous après avoir appelé le numéro covid et qu’ils ne peuvent pas se déplacer, ou ils sont trop malades pour attendre au centre sans-rendez-vous). De plus, il y a un immense décalage dans les nombres puisque les résultats sortent plusieurs jours après le test (jusqu’à 9 jours dans mon cas, quand je n’étais déjà plus malade). Enfin, de tous ces cas journaliers, il n’y aura probablement pas plus que 1 ou 2 morts. D’ailleurs, je remarque qu’on ne nous donne pas le nombre de décès. Pourquoi? Parce que si on annonce à la population qu’il n’y a pas plus que 10 morts par jour sur 8 millions d’habitants, la « maladie mortelle » ne l’est plus tant, et ça devient difficile de la convaincre de respecter les consignes de santé publique…
J’ajouterai même à cela que la situation apocalyptique qu’on nous présente dans les médias n’est peut-être pas si alarmante. En début d’été, j’ai travaillé dans une résidence pour personnes âgées, en zone rouge. Sur tout l’étage (plus d’une trentaine de résidents), il n’y avait qu’une seule personne au fond de son lit. Le reste se baladait, riait, mangeait, regardait la télé, galopait. Une personne sur 30, dans la population à risque, était en train de mourir. Je reconnais que je ne parle là que d’un échantillon peut-être non représentatif. Cependant, je me questionne tout de même sur la réalité : je connais une femme de 85 ans avec un cancer qui a survécu à la Covid et ce n’est pas un cas à part. À ce propos, je ne connais personne qui est mort de la Covid, et pourtant je connais du monde qui l’a eu. Ah si, l’ami de l’amie d’une connaissance qui vit en France. Et vous?
Le plus ridicule, c’est qu’il suffit de regarder les grandes épidémies des derniers siècles. Ça n’a rien à voir en termes de propagation et de pertes humaines, et pourtant la mondialisation n’existait pas à ce moment-là. Choléra au Québec, 1832, décès de 10% de la population. Typhus au Canada, 1847, durée de 8 mois, 20 000 morts pour 3 millions d’habitants. Variole à Montréal, 1885, durée d’un an : 20 000 cas pour 150 000 habitants, 3 164 morts. Grippe espagnole en 1919, durée de 1 an, 2,5 à 5% de la population décimée (50-100 millions de morts) [1]. 690 000 décès lié au Sida en 2019 [2]. À titre comparatif, en date du 16 octobre 2020, il y a 1,1 millions de morts de la Covid-19 dans le monde [3], soit 0,014% de la population.
Je ne sais donc pas où s’arrête la vérité dans ce qu’on nous raconte, mais je pense qu’il est justifié d’avoir un esprit critique.
Dans cette situation qui a requis la mise en place d’un plan d’urgence rapidement, je m’inquiète beaucoup de l’avenir (et de l’état actuel) de notre état de droit, un état supposément démocratique. Que des mesures extrêmes soient prise sur le coup, pour essayer de calmer les choses quand on ne connait rien à la maladie et qu’on ne veut pas prendre de chance, je le comprends. Mais maintenant, ça fait plus de 8 mois que ça dure. On a mis en place des règles, des lois de façon tout à fait autoritaire et anticonstitutionnelle. Le gouvernement prive de liberté ses citoyens sans rien demander à personne. On peut le justifier par la situation « sans précédent » dans laquelle nous nous trouvons, comme en guerre, et la nécessité de se protéger mais où est la limite? Je ne trouve pas cela normal de mettre des contraventions de 50 000$ minimum aux gens qui ne respectent pas les consignes. Ce n’est pas ce que j’appelle une amende, surtout quand elle est donnée à un étudiant : il n’a même pas encore commencé sa vie d’adulte qu’il est déjà ruiné.
Ce qui est inquiétant c’est aussi la réaction des gens. Leur peur me fait peur. Je vois des gens qui sont prêts à dénoncer leurs voisins s’ils se rassemblent. Ou des gens qui renient leurs amis et les accusent des pires horreurs, comme d’avoir apporté le virus à Montréal par exemple. C’est exactement ce qui est arrivé à ma troupe de théâtre en mars et qui l’a rongée de l’intérieur. L’article [4] qui a été écrit à ce sujet en est d’ailleurs responsable et illustre parfaitement l’idée de fake news que j’élaborais précédemment. D’abord, le texte est écrit de façon extrêmement dramatique, il est important de le noter, alors qu’aucune des contaminations n’a mené à un décès, pas même une hospitalisation. D’ailleurs, la photo qui illustre le texte n’a aucun rapport pour cette même raison. Dans la première version de l’article, il était aussi diffamatoire envers les voyageurs de la troupe. Or, rien ne prouvait qu’ils étaient responsables de l’introduction du virus, et pourtant on les accusait. À cause de cela, comme tous ceux qui nous connaissent ont pu nous reconnaitre dans ce texte, pourtant anonymé, certains d’entre nous se sont vus accusés crûment d’inconséquence (et pas loin, de crime contre l’humanité), par certains de leurs proches.
Ces mesures m’inquiètent aussi sur le plan de la liberté d’expression. Je discutais avec une amie qui me faisait remarquer que dès que l’on entend un médecin qui donne un avis qui diverge de la santé publique, ce qui est déjà très rare, il est rarement réinterrogé par les médias…
Ce qui me fait rire dans toute cette histoire, c’est le port du masque. Une très bonne idée en soi, car c’est sans doute le seul moyen de protéger la population tout en continuant à la faire vivre à peu près normalement. Sauf qu’on comprend bien qu’il y a beaucoup d’enjeux politiques derrière : bizarrement, tant qu’on n’avait pas assez de masques pour la population, ils n’étaient pas obligatoires. C’est sans parler du fait qu’en vrai, personne ne sait porter le masque correctement. J’adore l’affiche de la STM des « 18 façons inutiles de porter le couvre-visage », elle représente bien l’ampleur du problème. Le souci, c’est qu’en le portant mal, c’est pire que mieux puisque les gens pensent être protégés et donc font moins attention.
Il va sans dire qu’en plus de ça, c’est une catastrophe écologique puisque les masques de procédure sont très difficiles à recycler (ils associent plusieurs matières comme le papier, le tissu et le plastique) [5] et qu’en plus de ne pas savoir le porter, beaucoup de gens ne savent pas le jeter non plus.
De plus, je crois que porter le masque n’est pas innocent. Si rien n’est encore prouvé, on se questionne sur les dangers de toujours avoir la bouche et le nez couvert : ne serions-nous pas en train de nous auto-intoxiquer? Ma mère est migraineuse, elle fait en moyenne une migraine toutes les semaines. Comme elle est professeure, elle doit porter le masque toute la journée devant ses élèves. Depuis septembre, elle fait désormais des migraines 5 jours par semaine, une incidence qui a diminuée de 5 fois lors de la dernière semaine de relâche. Coïncidence? Je ne pense pas.
J’ai déjà parlé du fait que les masques n’étaient pas obligatoires le temps qu’il n’y en avait pas suffisamment de disponible : ce n’est pas la seule contradiction.
D’abord, on ferme tous les restaurants, les bars, les clubs et les cinémas, mais pas les centres d’achats et les magasins. Qu’est-ce qui justifie qu’ils restent ouverts et pas les autres? L’achat de vêtements ne me semble pas être une activité de première nécessité (surtout en cette période où l’on ne sort presque plus…). Si nous faisions les choses pour de vrai, à fond, une bonne fois pour toute, ce serait un effort plus dur sur le moment mais sans doute plus court-terme.
En plus, je me demande qui a décidé que la culture était moins importante que le sport : en septembre, les salles de gym sont restées ouvertes quand les salles de spectacles avaient fermé. Ça n’a aucun sens. C’est comme fermer les bibliothèques : non seulement nous n’avons plus de lieu pour travailler quand nous voulons nous changer un peu de notre chambre mais en plus, ça devrait être un service essentiel de pouvoir lire quand on est confiné et de pouvoir accéder à des ordinateurs pour ceux qui n’en ont pas!
L’incohérence a aussi lieu dans les actions individuelles. Les enfants n’ont pas le droit de se partager d’objets en classe mais ils ont pu passer de maison en maison pour Halloween. Les écoles restent ouvertes, ou du moins un jour sur deux pour les plus grands, mais les universités, les bars et les restaurants non. Pourtant, il est beaucoup plus facile de faire respecter la distanciation et les consignes de santé publique à des adultes dans des lieux publiques comme ceux-ci. À ce propos, des études françaises ont démontré que si le confinement était plutôt efficace pour limiter la propagation du virus, la non-fermeture des écoles limite grandement cette efficacité [6].
On peut justifier ces actions en les qualifiant de compromis pour aider la population à tenir. Cependant, c’est alors une grande injustice à l’échelle individuelle! Au final, ceux qui souffrent le plus de ces mesures d’isolement, ce sont les étudiants montréalais. On fait des compromis pour tout le monde, sauf pour eux. Les adultes peuvent retourner au travail, les enfants ont l’école et Halloween, les enfants plus âgés ont cours en présentiel au moins un jour sur deux et peuvent voir leurs amis. Cependant, les étudiants ont seulement cours en virtuel, plus de bars, ni de clubs, ni de restaurants, ni même la possibilité de se voir dans les parcs. Ils n’ont plus aucune sortie possible et ne peuvent plus voir autre chose que leur écran [7]. Alors que nous sommes à la fleur de l’âge : « les années universitaires seront les plus belles de votre vie! », c’est raté…
Parlons maintenant des conséquences de la Covid (ou plutôt des mesures prises) auxquelles on ne pense pas assez.
D’abord, toutes les ressources étant mobilisées sur l’effort Covid, on est en train d’oublier les autres malades. Il y a un véritable enjeu de dépistage des cancers et autres maladies graves. En effet, les gens veulent se rendre dans les hôpitaux le moins possible, ils sont donc moins susceptibles de consulter si quelque chose leur semble bizarre. De plus, les consultations en médecine familiale se font en télémédecine. Il n’y a donc plus de check-up régulier, et tout le monde n’est pas capable d’identifier sur lui-même une masse inhabituelle ou un signe louche. De plus, les salles d’opération et autres outils et personnel spécialisé sont réquisitionnés pour faire face à une potentielle vague d’hospitalisation. Du coup, le reste de la file d’attente est sur pause… Ce qui peut avoir des conséquences graves : par exemple, une personne âgée qui a besoin de se faire rectifier une prothèse de la hanche ne peut pas le faire dans un délai raisonnable, souffrant le martyre elle est alors obligée d’utiliser ses économies pour aller dans le privé se faire opérer [8]. C’est aussi inquiétant pour les patients en attente d’une chirurgie des yeux : la liste d’attente est 6 fois plus longue que l’année dernière pour le traitement de la cataracte par exemple. C’est pourtant la principale cause de déficience visuelle chez les adultes âgés! C’est affreux car ils deviennent aveugles peu à peu, sans pouvoir rien y faire. Cela a des impacts sur la vie de tous les jours : en plus du stress constant de la perte progressive de la vue, ces déficiences rendent toutes les actions de la vie quotidienne plus difficiles (lire, écrire, conduire et travailler) [9]. Ce ne sont que deux exemples des conséquences du retard que nous sommes en train d’accumuler (comme si les listes d’attentes n’étaient pas déjà assez longues!).
De plus, on remarque une augmentation très importante des cas d’intoxication aux gels hydro-alcooliques chez les 5 ans et moins. Le méthanol, présent dans la plupart de ces produits, est toxique quand il est ingéré, et peut même être létal [10].
Enfin, on constatait une augmentation de 15% des violences conjugales au mois de mars [11]. Non seulement cela touche les femmes, qui ont plus de difficultés à signaler les abus, mais aussi les enfants qui vivent ces violences par procuration et vivent dans un milieu dangereux.
Nous avons abordé la santé physique, entamons à présent un autre aspect : la santé mentale. J’ai l’impression que ce n’est que depuis la nuit d’horreur à Québec qu’on en parle vraiment, et qu’on le lie à la crise surtout. Les spécialistes prévoient une augmentation importante des problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression, dans les années post-Covid, comme après toute crise mondiale. Mais on a déjà pu constater une augmentation après le confinement en France [12]. Cela touche toutes les classes d’âge.
Pensons d’abord aux enfants qui ne voit plus que des masques : plus de sourires, plus de grimaces. Ils sont entourés d’une foule d’adultes, déjà effrayants en temps normal, mais là… Ils ne peuvent plus jouer avec leurs amis, on les stresse en leur parlant de contamination et de morts chaque jour. On leur rabâche sans cesse les consignes d’hygiène et de distanciation. Les enfants sont exposés trop vite aux problèmes d’adultes de nos jours, mais là c’est carrément un vieillissement accéléré. La résilience c’est bien, mais ça demande une part de compréhension de la part de l’enfant. Sauf que je ne vois pas comment on peut leur expliquer une maladie que nous même ne comprenons pas. En tout cas, tout ça ne crée pas un milieu propice au développement sein de l’enfant.
De plus, on déplorait déjà la place trop importante des écrans dans la vie des jeunes, qui ne devraient pas y être confrontés avant 2 ans, et pas plus de 2 heures par jour pour les plus de 5 ans [13]. L’enfermement et l’isolement des amis ne peut qu’augmenter ce temps. Or, cela a des conséquences très importantes sur la santé des jeunes : augmentation du risque d’obésité et du manque de sommeil, diminution de l’activité physique et de la performance scolaire [14].
Cela touche aussi directement les adolescents et jeunes adultes, dont la plupart des cours sont à distance via des écrans toute la journée. Ceci pose problème pour les liens sociaux essentiels à cette période de la vie. En effet, les amis jouent un rôle déterminant à l’adolescence. Ils sont un soutien affectif essentiel durant cette période de transformation pas évidente pour tout le monde. C’est aussi un groupe dans lequel le jeune peut expérimenter pour découvrir peu à peu sa personnalité et sa sexualité, ainsi que développer son autonomie et son indépendance par rapport à ses parents. En leur enlevant ça, je ne sais pas quel genre de génération nous sommes en train de créer. Le jeune adulte, quant à lui, est à un moment crucial pour le développement de l’intimité. Or cela implique, entre autres, le départ de la maison familial, faire des rencontres et l’établissement de relations amicales et amoureuses profondes. Les mesures prises retardent ces étapes. Si ces jeunes ne réussissent pas à développer une intimité satisfaisante, ils risquent de s’isoler [15]. Va sans dire, que même sans aller chercher des théories psychologiques, c’est juste déprimant. Certains diront que ça ne sert à rien de s’inquiéter puisque ça ne durera qu’un temps et que le développement aura largement le temps d’être rattrapé, mais qui est capable de dire quand tout cela finira? Quand tout reviendra à la normal? Pas avant septembre 2021 en tout cas, d’après les consignes universitaires pour l’hiver 2021…
Enfin, il faut parler des personnes âgées. Comme c’est la population à risque, on les isole. C’est une bonne idée en soit (surtout si ça permet de libérer les autres…), sauf que les relations sociales sont essentielles aussi à cet âge-là. On sait d’ailleurs qu’elles participent au bien-être et à la santé des personnes âgés. Il ne faut pas oublier non plus que les petits-enfants peuvent être très importants pour leurs grands-parents, et ne pas les voir peut les affecter énormément (dépression). Le manque de contacts sociaux crée de la solitude qui peut accélérer le déclin physique et cognitif, et ensuite la mort.
Les mesures prises contre la Covid grignotent peu à peu toutes les choses pour lesquelles la vie vaut la peine d’être vécue. Les pigments de couleurs qui se déposent dans nos journées, qui évitent que notre existence ne se résume à un métro-boulot-dodo infini, à une séquence d’actions uniquement utiles. Pas seulement manger, boire, travailler et dormir. Mais danser, rire, sortir, socialiser, avoir du plaisir et de la peine, manger indien un soir et italien le lendemain, goûter de nouvelles saveurs, essayer de nouvelles activités, faire du sport, découvrir le monde : autant de choses qui ne nous maintiennent pas biologiquement en vie, mais qui nous font vivre.
L’avenir nous dira si le taux de suicide et de consommation de substances aura augmenté durant ces mois de confinement, mais je suis prête à le parier. En tout cas, ce confinement ne fait qu’exacerber les problèmes de santé mentale.
Enfin, je pense que l’on est en train de sacrifier toute une génération pour peut-être en sauver une autre.
Les mesures prises concernant les écoles et cégeps augmentent le décrochage scolaire. Les adolescents qui laissent tomber leurs études maintenant parce que c’est trop dur de rester concentrer et de se motiver quand on est seul derrière son écran, vont subir les conséquences de cette décision probablement jusqu’à la fin de leur vie. Ceux qui ne décrochent pas peuvent aussi subir les répercussions des études à distance : même les meilleurs élèves ont plus de mal à se concentrer et ont tendance à faire autre chose pendant les cours. De plus, les plateformes d’examen n’étant pas vraiment sécurisées, il est très facile pour certaines personnes de passer leurs cours sans rien apprendre. Cela va créer de grandes failles dans leurs connaissances, qui étant prises pour acquis, ne seront pas revues dans la suite de leur parcours. On peut aussi parler des programmes qui requièrent une pratique concrète, comme la médecine. Nous pouvons moins pratiquer l’examen physique, je sens que je serai moins compétente que mes prédécesseurs. En tout cas, dans mon opinion, ce nouveau format d’études va aboutir à une baisse des compétences à tous les niveaux et dans la plupart des sphères.
L’aspect économique de cette crise sanitaire est sans doute l’une des choses qui m’inquiètent le plus… Sans parler des reculs des marchés dû au ralentissement de certains secteurs et au télétravail, nous sommes en train de créer une dette sans précédent. On décide de fermer les restaurants? Qu’à cela ne tienne, on va mettre des millions sur la table pour les soutenir. On veut que les gens restent chez eux? C’est parti pour une prestation d’urgence pour les travailleurs aux faibles revenus (ceux qui va les décourager de retourner travailler, il faut le dire, mais tant mieux pour eux). C’est super! Comme ça tout le monde est content puisqu’on met en place des mesures sanitaires tout en soutenant ceux qui en souffrent. Tout le monde est content sauf moi, on dirait, parce que je vois les montants qui s’accumulent et le pourcentage de taxes et d’impôts que je vais devoir payer à mon arrivée sur le marché du travail… Il faut rappeler que ces mesures sont mises en place pour protéger une minorité de personne à risques, qui pour la plupart, ne participent pas vraiment à l’économie car ils sont à la retraite et ne seront même plus là quand il s’agira de payer la dette. Et qui sera là? Nous, les enfants, les adolescents et les étudiants d’aujourd’hui. Non seulement on nous prive de libertés sans nous demander notre avis, mais en plus, cela va nous suivre toute notre vie parce que les conséquences des gestes de nos gouvernements maintenant vont avoir des répercussions économiques pendant des lustres.
J’ai déjà parlé du fait que les jeunes vont être traumatisés : il ne peut pas y avoir de retour complet à la normale. Ce qui est arrivé est trop gros, a eu trop d’impacts et de signification tant scientifique et médicale, qu’économique et politique, pour qu’on recommence à vivre comme avant quand on aura un vaccin ou une autre solution à la crise. Comme la Seconde Guerre mondiale à chambouler le monde, la crise de la Covid ne laissera rien ni personne indemne.
Bref, j’ai 19 ans et j’ai peur. J’ai peur pour mes proches et mes amis. J’ai peur que ceux que j’aime subissent des conséquences graves de la Covid. J’ai peur que les hôpitaux soient débordés et ne puissent pas remplir leur rôle de soins.
Mais j’ai aussi peur pour ma génération. J’ai peur pour les plus jeunes. J’ai peur pour mes futurs enfants et pour ma future carrière de médecin. J’ai peur de nos gouvernements et de ce qu’ils sont capables de mettre en place pour soi-disant assurer notre sécurité.
J’ai peur de voir qu’il y a des gens qui sont prêts à accuser et à dénoncer leur famille, leurs amis, leurs voisins. Moi ça me rappelle la délation des juifs et la Seconde guerre mondiale.
J’ai peur car j’ai considéré écrire ce texte anonymement de peur de perdre des amis, de me faire réprimander par ma faculté ou encore d’être considérée comme une mauvaise future médecin.
Cependant, je comprends que les gouvernements soient obligés de mettre en place des mesures. C’est leur place au pouvoir qui est en jeu : si le nombre de morts est trop important, si ça se passe mal pendant leur mandat (là, ils sont mal, quel que soit ce qu’ils font), à la prochaine élection ils vont être remplacés, parce que les gens ne seront pas contents de leur gestion (les gens ne sont jamais contents). C’est comme lors des manifestations des gilets jaunes en France : le président Macron a voulu mettre en place des taxes sur l’essence pour satisfaire les exigences écologiques d’une partie de la population, sauf que l’autre partie n’était pas d’accord. Nos gouvernements n’osent pas prendre de risques, ils veulent juste se maintenir au pouvoir. Ce n’est pas comme ça qu’on va changer le monde… Tiens, c’est drôle, ça me rappelle un autre sujet d’actualité… Je me demande ce que Greta pense de tout ça, on ne la médiatise plus autant ces derniers temps…
Il y a pourtant bien des gouvernements qui s’affranchissent de l’opinion publique : la Suède n’a pas mis en place de mesures sanitaires, et il y a quasiment autant de cas de Covid-19 par million habitants là-bas (100 cas) qu’au Québec (109 cas)… Pas la même culture, d’accord, mais moi, ça me pose question [16].
En conclusion, je ne tiens pas ici à vous convaincre de quoi que ce soit. À porter des accusations infondées sur les acteurs de la crise. Je suis ouverte au débat puisque c’en est un gros qui a lieu dans ma propre tête. Cependant, je tiens à parler ouvertement, pour une fois, de ces éléments qui valent la peine d’être abordés pour avoir une vision plus mitigée de la situation actuelle. Tout n’est pas rose, tout n’est pas noir, le virus est l’ennemi de tout le monde, mais peut-être que nous ne le combattons pas avec les bonnes armes ou sous le bon angle d’attaque.
Au final, j’ai juste peur, mais pas que de la Covid.
Références citées :
1. Statistiques de « De la Peste à la COVID-19 : épidémies et quarantaines | L'Histoire nous le dira #94 »
(https://youtu.be/fGNwClQa5V8) entre autres.
2. Statistique : https://www.sidaction.org/donnees-epidemiologiques-vihsida-monde-2019 (consulté le 2 novembre 2020).
3. https://www.journaldemontreal.com/2020/10/16/covid-19-plus-de-400-000-cas-de-contaminations-en-24h-dans-le-monde-un-record (consulté le 29 octobre 2020).
4. Notre histoire a été racontée dans l’article suivant : https://www.ledevoir.com/culture/575894/quand-la-comedie-vire-a-la-tragedie
5. https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-05-19/les-masques-jetables-autre-source-de-pollution-previent-greenpeace (consulté le 2 novembre 2020)
6. Étude présentée dans la vidéo du youtubeur Hugo Décrypte https://youtu.be/qTmHg5WM8o8.
7. Très bon témoignage dans l’article « Les étudiants souffrent en silence derrière leur écran » de Simon Atchison (https://www.journaldemontreal.com/2020/10/16/les-etudiants-souffrent-en-silence-derriere-leur-ecran)
8. Histoire véridique, témoignage d’une connaissance : 30000 dollars pour l’opération dans le privé!
9. Reportage de dans le Télé Journal de Montréal de 18h du vendredi 23 octobre 2020 (https://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-18h/site/episodes/488958/episode-du-23-octobre-2020 à 34min34)
10. Reportage de dans le Télé Journal de Montréal de 18h du vendredi 23 octobre 2020 (https://ici.radio-canada.ca/tele/le-telejournal-18h/site/episodes/488958/episode-du-23-octobre-2020 à 31min33)
11. Statistique issue de https://www.tvanouvelles.ca/2020/03/26/une-augmentation-de-la-violence-conjugale-redoutee
12. Information tirée de https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-08-05/covid-19-l-impact-sur-la-sante-mentale-se-ferait-sentir-pendant-des-annees.php et https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/24/la-sante-mentale-eprouvee-par-l-epidemie-de-covid-19_6057201_4355770.html (consulté le 3 novembre)
13.D’après le Dr Marie-Anne Sergerie dans son article : https://cyberdependance.ca/2016/10/02/quel-est-le-temps-dutilisation-recommande-chez-les-enfants/ (consulté le 1 novembre)
14. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/publications/vie-saine/temps-ecran-ya-personne-parfait.html (consulté le 1 novembre)
15. Toutes ses informations sont issues du livre Psychologie du développement humain de D. E. Papalia et G. Martorell, 9e édition. Ces théories du développement ont été élaborées par Erikson.
16. Information issue du Télé-journal de Montréal du 26 octobre 2020, sur Ici Radio-Canada.