Je comprends

par Pharel Njessi

Moi : « Je ne comprends pas ! »

Mme T. (ébahie, me regardant sans rien dire) : « … »

Moi : « Non, je ne comprends pas ! Je n’ai jamais eu d’hémorroïdes donc je ne peux pas comprendre ce que ça fait d’en avoir. Par contre, J’IMAGINE, à partir de ce que vous me dites, que ça vous fait très mal. »

Mme T. : « Oui, ça me fait très mal »

Moi : « Parfait. Donc depuis quand exactement ça vous fait mal ? »

* * *

J’ai une fois fait une blague (un peu déplacée) avant de me faire reprendre par un résident. La blague consistait en un questionnement sur la capacité des urologues femmes à « comprendre » les symptômes de leurs patients. Le résident m’a repris en disant : « S’il fallait qu’on comprenne exactement le problème de chaque patient, presque personne ne pratiquerait la médecine. Je traite des patients avec des AVC, mais je n’ai jamais eu d’AVC ». J’ai envie de dire « He missed the point of my joke », mais en réalité, « I missed an opportunity to shut up ». En effet, c’est moi qui me suis mal exprimé. En rétrospective, je réalise que ce que je voulais vraiment dire, c’est qu’on ne comprend pas. Oui, en tant que médecin, on ne comprend pas tout, et je trouve que le verbe « comprendre » est utilisé de façon exagérée dans le domaine médical. Je suis convaincu que la majorité d’entre nous n’avons jamais eu de colique néphrétique. De quel droit est-ce qu’on peut se targuer de « comprendre » ce qu’un patient décrit comme la « pire douleur de sa vie » alors qu’on n’a jamais vécu d’expérience similaire ?

Je suis conscient qu’en disant « Je comprends », la majorité d’entre nous le voit comme une manière de dire « Je vous écoute. Je comprends ce que vous me dites ». Et c’est tout à fait adéquat. Je le dis moi aussi de façon inconsciente. Ici, je ne cherche pas à faire le « woke » et à vous taper sur les doigts. Bien au contraire. Je cherche plutôt à vous donner un outil supplémentaire afin de mieux approcher certains patients tangentiels. Dans le cas de Mme T., elle n’arrêtait pas de me répéter à quel point elle avait mal, de sorte que cela nuisait à mon questionnaire. Ce que j’ai réalisé en la questionnant, c’est que parfois, le fait de « comprendre » le patient n’est pas suffisant pour lui faire sentir qu’on l’écoute et qu’on ne minimise pas sa douleur. En effet, dans certains cas, on peut démontrer notre d’empathie en faisant preuve de franchise et en admettant qu’on ne comprend pas.

Maintenant, la question sera probablement : que faire dans la même situation mais avec un problème qu’on a nous-même déjà vécu ? Eh ben, pour être honnête, ça ne m’est jamais arrivé. À priori, je me dis que j’utiliserai la même méthode, c’est-à-dire la franchise. Dans un tel cas, j’expliquerais au patient que j’ai déjà été dans la même situation et qu’en affirmant « Je comprends », c’est parce que je comprends réellement à quoi ressemble sa condition (voir plus bas pour une liste non-exhaustive de ce que je suis capable de comprendre). Bien évidemment, il faut choisir judicieusement le type d’expériences qu’on souhaite partager non seulement selon notre niveau de confort, mais aussi selon l’impact potentiel que cela peut avoir sur la relation patient-médecin. N’est-ce pas ce genre de subtilités qui font de la médecine un art et non pas simplement une science? En tout cas, pour ma part, c’est de là que vient la beauté dans la médecine : la capacité d’échanger avec les autres et de s’adapter à leurs besoins et à leur personne.

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Ce que je suis capable de comprendre :

  • ORL :

o   Avoir les oreilles bouchées par du cérumen et être incapable de dormir pendant plusieurs nuits à cause d’acouphènes, et donc être moins concentré durant le jour (celui-là en particulier, je le comprends parfaitement et c’est pour ça que pour moi, les ORLs sont des dieux).

o   Souffrir d’une pharyngite à Strep.

  • Hémato : être hospitalisé pour malaria avec anémie sévère et devoir manquer la finale de la première coupe du monde de soccer qui se joue en Afrique.

  • Infectio ? : s’être rentré (par inadvertance) une pointe rouillée dans l’hallux D

  • Uro : recevoir un ballon de soccer dans les c***lles lors d’une partie de soccer