Bouton vert

par Pharel Njessi

« Bouton rouge !»

« HAHAHHAHAHAHHA »

L’infirmière derrière Dr N., toute confuse, demande : « Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Dr N. lui explique que le bouton rouge est un outil pour lutter contre l’intimidation. Les étudiants peuvent rapporter des expériences choquantes à la faculté pour que des mesures soient prises. 

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Initialement, ce texte devait s’intituler : « Tous les héros ne portent pas des sarraus ». (Pour ceux qui sont intéressés, j’ai toujours le brouillon du texte initial). Il devait parler d’un externe 1 qui se rend compte que les médecins et résidents qu’il idolâtrait inconsciemment sont en fait des humains comme les autres. Qu’ils ont les mêmes défauts et les mêmes qualités, et donc les mêmes raisons d’être admirés et de pas ne l’être, que n’importe quelle personne. Même si le titre du texte a changé, le thème reste le même et la conclusion reste la même. Étant donné que le but de ce texte n’est pas d’être high yield, je vais laisser la conclusion à la fin. Pour ceux qui veulent rester, bonne lecture !

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Ça m’a pris quelques semaines pour réaliser pourquoi cette anecdote (je ne me souviens même plus de la blague initiale) m’a autant marqué. Pour m’aider à vous expliquer (ou plutôt pour m’aider à mieux m’exprimer), je vais vous raconter deux expériences que j’ai vécues au début de mon externat.

Durant un de mes stages, j’ai travaillé avec un résident qui ne nous laissait pas faire la tournée des patients tout seul. Je me souviens d’une journée en particulier où je suis arrivé 15 minutes à l’avance (mais quel gunner !) et j’ai texté le résident pour lui demander si je pouvais voir un patient. Il m’a répondu que non. Je me suis dit qu’il y avait sûrement une bonne explication derrière ce refus. À son arrivé, le résident s’est empressé de nous dire : « Il y a beaucoup trop de patients à tourner et on n’a pas beaucoup de temps. Je vais aller voir chacun de vos patients avec vous, et vous écrirez la note après. » Quand mon tour est arrivé, on est allés tourner ma patiente ensemble. Il l’a questionnée et a fait l’examen physique pendant que je l’observais. Au retour, dans la salle de réunion, il m’a demandé d’écrire la note parce qu’il devait aller tourner le patient d’un autre externe. Pas besoin de vous expliquer à quel point je me suis senti comme un f****** scribe durant toute cette semaine. À quel point j’avais l’impression de ne rien apprendre. De perdre mon temps !

Plus tard, durant un autre stage, lors de la première journée, j’ai demandé à la résidente comment fonctionnait la tournée. Elle m’a expliqué que la tournée du service se faisait en groupe. On se divisait en deux groupes et chacun des groupes allait ensuite en groupe dans la chambre de chaque patient. Ici aussi, mon rôle consistait principalement à observer le questionnaire et l’examen physique de la résidente (les 2-3 premiers jours je ne n’avais même le droit d’écrire la note). Malgré cela, je n’ai jamais eu autant de plaisir à tourner avec d’autres personnes. 

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Comme tout bon étudiant en médecine, j’ai surligné* les points clés des anecdotes précédentes pour vous aider à vous en souvenir (n’oubliez pas que le active recall et le space repetition sont des méthodes beaucoup plus high yield).

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En repensant à ces deux expériences, je réalise que le résident du premier stage était probablement juste très stressé de devoir faire la tournée tout seul. Son comportement n’avait rien à voir avec mon niveau de compétence ni la confiance qu’il m’accordait (sans être méchant, c’était probablement plus un reflet d’une incertitude face à sa capacité à tourner tous les patients). Je n’écris pas ça pour le défendre. Je pense qu’il aurait pu nous expliquer dès le premier jour pourquoi il souhaitait tourner chaque patient lui-même (du moins, c’est ce que je compte faire si je suis dans la même situation que lui).

La raison pour laquelle j’ai également mis de l’emphase sur les mots j’ai demandé est parce que je pense que la situation aurait été différente si je lui avais clairement demandé pourquoi il ne me laissait pas voir les patients tout seul. Il aurait certainement pris le temps de m’expliquer que c’est parce qu’il avait beaucoup de patients à tourner et qu’il voulait s’assurer que tout soit fait à temps. (Tout bon gunner qui se respecte aurait probablement renchéri avec : « Est-ce que tu veux que je vienne plus tôt? », mais vu qu’on n’est pas tous des gunners …). Cela m’aurait probablement évité les sentiments d’incompétence et d’incompréhension qui ont marqué ma semaine avec ce résident. Je tiens aussi à mentionner que même si le but premier de l’externat n’est pas l’observation, on apprend énormément simplement en regardant les résidents naviguer le système de santé.

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L’objectif de ce texte n’est pas de vous dissuader d’utiliser le bouton rouge. Bien au contraire. Il y a des situations qui nécessitent clairement l’utilisation du bouton rouge, comme se faire lancer un scalpel par un chirurgien en salle d’opération. En revanche, je vous encourage à accorder la même empathie que vous avez envers vos patients à vos résidents, patrons et co-externes. Sans vraiment en être conscients, en médecine, nous tendons parfois à avoir des standards qui nous déshumanisent les uns les autres. Je pense qu’en se mettant à la place de nos collègues, on devient plus aptes à comprendre certains de leurs comportements. De plus, j’aimerais vous rappeler que l’attitude des gens à notre égard n’est pas toujours un reflet de   qui nous sommes réellement. Pour finir, dans certains cas, il vaut mieux demander des explications plutôt que de se taire. Cela vous permettra, une fois de plus, de mieux comprendre l’attitude de vos collègues.

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Pour la petite histoire, la conversation avec laquelle j’ai débuté ce texte s’était déroulé dans la salle d’opération du Dr N. Durant la chirurgie, j’ai remarqué qu’un vaisseau saignait et, sans vraiment réfléchir, je me suis exclamé: « Ça saigne ! » Le chirurgien m’a regardé, pas très heureux, et a répondu : « Si tu vois que ça saigne et qu’on regarde dans la même direction, ben moi aussi je vois que ça saigne ». Je me la suis fermée après ça. En repensant à la remarque de Dr N., je souris parce que je me vois répondre la même chose à un externe dans le futur (cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une meilleure  façon de répondre à un externe énervant).

P.S: Conclusion high yield pour gunners

  • Soyez indulgent et bienveillant envers vos co-externes, résidents et patrons.

  • Ne prenez pas toutes les remarques et comportements personnellement.

  • Demandez gentiment et poliment des explications lorsque vous êtes face à une situation qui vous rend mal à l’aise.

  • Utilisez le bouton rouge si vous vous faites lancer un scalpel (même si le chirurgien a promis de vous écrire une lettre de recommandation).

 

 

* Les mots surlignés dans le texte original ont été mis en caractères gras et en italic