En thérapie !

par Clara Coderre

On dit que l’amour rend aveugle, mais il fait aussi jaser, pleurer, douter, perdre la tête… Puisqu’il est parfois difficile d’y voir clair dans les relations, tant amicales qu’amoureuses, une aide extérieure peut être très utile. Afin de stimuler votre réflexion sur ce sujet, et peut-être offrir quelques pistes de solution, la psychologue Suzanne Dufrasne (SD) a généreusement accepté de répondre à mes questions. Mme Dufrasne est psychologue clinicienne et membre de l’Ordre des Psychologues du Québec. Elle exerce en pratique privée depuis 30 ans, et travaille actuellement à la clinique Argyle, à Saint-Lambert. Sa clientèle est adulte, soit de 16 ans et plus.  

Dessin par Xin Yi Fan


CC (Clara Coderre) :  Est-ce que les enjeux de relations amoureuses/amicales occupent une grande place dans vos consultations?

SD : Tout à fait, notre époque valorise énormément l'amour. Auprès de ma clientèle, je constate que divers défis relationnels amènent les gens à consulter, car la sphère amoureuse occupe une place importante dans leur vie. Plusieurs ont de la difficulté à rencontrer quelqu’un, à faire de bons choix, à établir une relation ou à s’engager, à composer avec des difficultés conjugales, à gérer la jalousie ou à quitter une relation insatisfaisante ou toxique. Ils se soucient de leur vie amoureuse et consultent de plus en plus les thérapeutes pour être mieux outillés.

Il faut dire que l’amour a toujours préoccupé et fasciné l’être humain. C’est vraisemblablement le sujet qui fut le plus étudié, analysé, discuté par les psychologues, sociologues, psychiatres, sexologues et biologistes, et c’est parce que chacun ressent le besoin fondamental d’aimer et d’être aimé. Nous cherchons, à travers nos relations amoureuses, à combler ce désir.

Il est prouvé scientifiquement qu’il existe un lien important entre l'amour et la santé physique et mentale des individus. On a observé que le taux de stress diminue et que le système immunitaire se renforce lorsqu'une personne est amoureuse. Il est donc indéniable que l’amour, l’empathie, l’affection et les bons soins sont indispensables à la survie de l’être humain. 

En ce moment, ma plus jeune cliente est au début de la vingtaine. Elle me consulte pour un problème d’anxiété, mais me parle régulièrement de sa vie amoureuse, de ses joies, de ses peines et de ses craintes.  La plus âgée, elle, a presque 80 ans et me confie ses difficultés en lien avec le décès de son mari qui était son meilleur ami et son grand amour.  Elle chemine à travers le deuil. Parallèlement, elle tente peu à peu de s’investir dans de nouveaux projets de vie et des activités en concordance avec ses intérêts et ses valeurs. 


CC : Quels sont les défis les plus souvent évoqués par les jeunes (20-30 ans) en lien avec l’amour, l’amitié, la sexualité?

SD : Je dirais que c’est la difficulté à trouver un partenaire compatible. La relation amoureuse étant au cœur de notre bien-être et de nos projets de vie, il s’avère essentiel de bien se connaître et de prendre le temps qu’il faut afin de faire le bon choix en amour et de repérer la personne avec qui construire une relation amoureuse saine. 

Les jeunes adultes viennent souvent me consulter après des ruptures amoureuses. Ils arrivent dans mon bureau blessés, déprimés, confus, pleins de doute et surtout avec le désir de ne pas répéter les mêmes erreurs dans le choix de partenaire. 


CC : Pour donner suite aux défis mentionnés, auriez-vous des conseils pour les surmonter plus efficacement?

SD :  D'abord, je considère qu’il est important d’avoir des valeurs communes. Les valeurs représentent ce qui est important à nos yeux, que ce soit la fidélité, la vie familiale, les croyances religieuses, la place qu’on accorde aux études et à la carrière, les actions qu’on pose pour être ou rester en santé, l’honnêteté, la gestion de l’argent, etc. Ainsi, quand on choisit un amoureux ou une amoureuse, on doit allouer une grande importance à la similitude des valeurs, car elles sont peu susceptibles de changer au cours d’une vie. En amour, il faut faire confiance au vieux dicton « qui se ressemble s’assemble » et se méfier de son pendant « les contraires s’attirent ». En effet, de nombreuses études ont démontré que les similarités procurent de meilleures bases pour une relation amoureuse satisfaisante et durable.


CC :  En lien avec les relations abusives, à quels signaux devrait-on rester particulièrement attentif pour soi-même ou pour un proche avant qu’il ne soit trop tard?  

SD : On doit être attentif à plusieurs signaux, car les manifestations sont multiples. Une relation abusive ne se limite pas à la violence physique, mais inclut les abus émotionnels et sexuels. Il n’est pas rare que les personnes victimes de violence de la part de leur partenaire aient de la difficulté à réaliser ou à accepter qu’elles soient dans une relation abusive, surtout lorsqu’il n’y a pas d’agression physique. En plus, il arrive fréquemment que les personnes maltraitées soient convaincues d’être responsables de l’abus, ou de l’avoir provoqué d’une manière ou d’une autre. 

Je dirais que les signes sont : 

Le contrôle social 

Il est important de s’encourager l’un l’autre dans les intérêts, les relations et les objectifs que l’on a chacun en dehors du couple. Respecter l’individualité de notre partenaire est essentiel pour toute relation saine.

Quand un ou une partenaire nous texte 25 fois par jour, nous demande de savoir où on est, lit nos conversations et messages personnels, cherche à restreindre les personnes qui pourraient nous offrir du soutien, interdit ou restreint l’accès aux réseaux sociaux, il y a nécessairement du contrôle social.


Les comportements de possession et de jalousie

La jalousie en réponse à une réelle menace au couple n’est pas anormale, pourvu qu’elle soit exprimée de manière respectueuse et constructive. En revanche, les accusations non fondées, les éclats de colère, l’utilisation de moyens technologiques pour maintenir ou amplifier son emprise, le suivi des allées et venues via les fonctions de géolocalisation sont des comportements totalement inacceptables. 


La violence psychologique

La violence psychologique se manifeste quand un ou une partenaire cherche à compromettre notre confiance en nous. Le dénigrement, les commentaires condescendants, les insultes présentées comme des blagues, le chantage, les menaces de séparation, ou encore ridiculiser nos compétences ou imposer sa mauvaise humeur sont des confirmations de violence psychologique. 


La violence sexuelle

Les manifestations de cette violence sont multiples, par exemple: contraindre l’autre à se soumettre à des actes sexuels non désirés ou humiliants, refuser d’utiliser une méthode de contraception ou de protection contre les infections transmissibles sexuellement (ITS), obliger l’autre à regarder du matériel pornographique, etc.


La violence physique

Pousser, agripper, bousculer, pincer, retenir, démontrer de l’agressivité physique en lançant des objets ou en frappant un mur par exemple, représentent tous des éléments de violence physique.

Dans une dynamique de violence conjugale, l’agresseur enlève à la victime son droit de décider pour elle-même et au fil du temps, la violence conjugale fait des ravages sur la santé psychologique, psychique et physique de la personne. 

Il est important de savoir qu’on peut toujours composer le 911 pour recevoir l’aide des services d’urgence lorsque des comportements violents se produisent et pour entrer en contact avec une intervenante spécialisée en violence conjugale. Il existe l’organisme SOS violence conjugale, disponible 24h/24 par téléphone au 1 800 363-9010, par clavardage ou par courriel au sos@sosviolenceconjugale.ca.


CC :  Avez-vous observé une évolution/changement dans les relations de couple chez les jeunes depuis le début de votre pratique? Si oui, laquelle/lesquelles?

SD : Au début de ma carrière, les Tinder, Plenty of Fish, Bumble, Grindr, Instagram et Facebook n’existaient pas, et ces nouveaux moyens de communication ont assurément un impact sur notre vie affective et notre sexualité.

Évidemment, lors des premiers rendez-vous, qu’ils soient virtuels ou réels, on cherche à se montrer sous son meilleur jour pour charmer et capter l’attention de l’autre. Toutefois, au cours d’une rencontre physique, le contact est surtout émotionnel.

Sur internet, l’approche est bien différente. Le jeu de séduction est créé avec des mots et une photo de profil, savamment étudiée. C’est une mise en scène pour se positionner socialement et se faire valoir aux yeux de l’autre.

Si cet abord en ligne mène à une rencontre dans la vie réelle, il y a parfois de grandes déceptions et le constat peut même être déconcertant. Elle ou il ne ressemble pas du tout à ce que l’on s’était imaginé, ou encore, aucune connexion émotionnelle ne s’opère.

Il y a aussi l’impact des réseaux sociaux et des sites de rencontres sur nos comportements amoureux. Je remarque qu’on abandonne beaucoup plus facilement les relations dès les premières embûches. Les gens considèrent les efforts relationnels comme une perte de temps quand l’offre est telle qu’il est si simple de passer à autre chose avec quelqu’un d’autre. 

Il est toutefois important de dire que les nouvelles technologies, lorsqu’elles sont bien utilisées, peuvent être de formidables outils pour rencontrer l’âme sœur, surtout pendant la pandémie. Sans celles-ci, je ne sais pas comment les gens auraient fait pour se rencontrer. 


CC : Quelle est la clé des relations amicales et amoureuses réussies sur le long cours, selon vous? 

SD : Avoir des intérêts en commun est un élément clé d’une relation durable et agréable. Les intérêts communs n’ont pas seulement un impact sur le plan des activités, mais aussi dans les échanges et le mode de vie. Cette composante favorise l’amitié, essentielle à la relation amoureuse.

En amour, il y a aussi l’attirance physique qui compte; en fait, elle est essentielle. Sans elle, il n’y a pas de relation amoureuse. Le choix d’un partenaire amoureux est aussi une question d’odeur que génèrent les phéromones, hormones qui déclenchent des réactions physiologiques et comportementales et jouent un rôle actif dans la sexualité des humains.

Comme vous pouvez le constater, le choix d’un ou d’une partenaire est complexe : ce n’est pas seulement rationnel ou émotionnel, c’est aussi chimique. Comme psychologue, je sais que c’est en apprenant à mieux se connaître que l’on arrive à mieux choisir son partenaire.


CC : Dans quelle mesure les relations amicales saines contribuent au bien-être global d’un individu? 

SD :  Les chercheurs en psychologie se sont intéressés à l’impact des relations amicales sur le bien-être et le niveau de bonheur. Dans une étude, les chercheurs ont fait passer différents questionnaires à 222 étudiants. Ils ont ainsi pu déterminer, parmi ceux-ci, les 22 étudiants les plus heureux. Ces derniers se différenciaient des autres sur plusieurs aspects, notamment la satisfaction globale qu’ils éprouvaient par rapport à la vie et leur humeur quotidienne. Ce groupe d’étudiants était ensuite comparé aux 24 étudiants les moins heureux et aux étudiants moyennement heureux. On a découvert que les étudiants les plus heureux semblaient avoir des relations riches et satisfaisantes et qu’ils passaient, comparativement aux autres, peu de temps seuls (1). 


Toutefois, il est important de rappeler qu’une relation réussie avec autrui commence par une relation saine avec soi-même. Il n’est pas réaliste ni souhaitable de penser qu’une relation amoureuse ou amicale viendra combler tous nos besoins ni pallier toutes nos difficultés personnelles. Des attentes irréalistes envers une relation sont plus souvent source de déception, d’où l’importance d’avoir des buts et des projets par soi-même. 


CC :  Quel impact pensez-vous que le stress des études universitaires peut avoir sur les relations? Comment le surmonter pour vivre plus sainement cette période? 

SD :  Les études universitaires sont gratifiantes, mais peuvent également être difficiles et stressantes, en raison de la quantité importante de demandes. 

Tous les étudiants et étudiantes ne vivent pas des problèmes reliés au stress, mais la majorité en éprouvera les manifestations, à un moment ou un autre de leurs études, car la vie universitaire crée un contexte qui peut le favoriser.  Il y a, dans certains programmes, la présence d’un climat compétitif, de même qu’un rythme effréné d’apprentissage,  qui génère une pression constante. 

Lorsque le niveau de stress devient trop élevé, il risque alors d’entraîner un déséquilibre dans votre vie et de devenir néfaste. Des symptômes peuvent alors se manifester sur les plans physiologiques, psychologiques (émotions et cognitions) et comportementaux. Évidemment, la vie amoureuse peut en être affectée.

Bien qu’il n’existe pas de formule universelle pour réduire le stress, il existe des stratégies qui peuvent aider à y faire face positivement, notamment :

  • Prendre soin de nos relations amicales

  • Bien manger et dormir 

  • Prendre du recul face à vos perceptions et  pensées difficiles

  • Tenter d’être plus indulgents face à l’erreur et l’imperfection

  • Pratiquer des activités physiques


CC :  Depuis l’enfance, plusieurs modèles (au cinéma, dans les livres) nous font rêver au grand amour passionnel. Or, on apprend en vieillissant que 50% des mariages finissent en divorce. Pensez-vous que le coup de foudre et l’amour passionnel peuvent mener à un amour durable? 

SD : Oui, un amour durable peut naître d’un coup de foudre, à condition de se transformer. L’amour passionnel tel que dépeint dans la littérature et les chansons d’amour est en fait un amour narcissique où un des partenaires voit son amour-propre encensé par le fait d’être aimé par celui ou celle qu’il croyait inaccessible ou inatteignable. Cet amour nous fait porter des lunettes déformantes, qui idéalisent l'autre et empêchent de le voir pour ce qu'il est vraiment. Une telle relation est vouée à l’échec, car lorsque les premiers problèmes surviendront (la maladie, les problèmes d’argent, le stress des études) le désenchantement peut être brutal, et la personne tombera de notre piédestal.

Cependant, au moment où elles vivent cet amour passionnel, certaines personnes développent en parallèle des liens d’attachement réels qui sont tissés avec la connaissance de l'autre personne et la mise au jour d'éléments de compatibilité. L'amour-passion va alors faire place à un amour plus complet, surnommé l'amour compagnon, où la passion peut rejaillir de temps en temps, à condition qu'on y ajoute des éléments d'implication et de souci pour l'autre.


CC : Maintenant que nous avons surmonté la phase « aiguë » de la pandémie, et que l’on profite d’un semblant de retour à la normalité, observez-vous des changements marqués dans vos consultations par rapport à cette période? 

SD :  Oui, et heureusement, car ce n’était vraiment pas facile d’être à la recherche de l’âme sœur en pleine pandémie !  Comme première rencontre, les gens allaient prendre des marches au Mont- Royal ou sur le bord du canal de Lachine. C’était pas mal la seule chose qu’ils pouvaient faire. Pas évident l’hiver quand on vit au Québec ! Dieu merci, maintenant qu’il y a un retour à une certaine normalité, ils peuvent se rencontrer pour un café ou un repas, ce qui est plus pratique au mois de février !


Lectures suggérées:

1. Choisir qui on aime - de la dépendance à l’autonomie. Howard M Halpern, Les Éditions de l’Homme, 2021, 316 p. 

2. La dynamique amoureuse. Rose-Marie Charest, Bayard Canada, 2019, 324 p. 

3. Les couples heureux ont leurs secrets. De John M. Gottman, Nan Silver, Pocket, 2001. 


Références:

1. Diener, E., & Seligman, M.E.P » (2002). Very happy people. Psychological Science, 13 (1), 81-84.