L'amour comme dans les romans

L'amour comme dans les romans

Dessin par Béatrice Drolet-Sénéchal

par Tian Ren Chu

En l’honneur de la Saint-Valentin, j’aimerais partager avec vous trois romans que j’ai eu la chance de lire dernièrement, dont les récits sont unis par un élément commun :  leur exploration profonde et perspicace du thème de l’amour, sous ses multiples facettes. Je vous ferai  également part de mon analyse et de mes réflexions, inspirées par chacun de ces ouvrages, sur ce thème universel qui ne laisse personne indifférent. 

En espérant ne pas trop vous dévoiler l’intrigue, mais tout juste assez pour que vous soyez tentés de feuilleter les premières pages (et peut-être davantage) si un jour, par hasard, un de ces romans vous tombe entre les mains… 

L'Ombre du vent, par Carlos Ruiz Zafon

Daniel Sempere a perdu sa mère à l’âge de quatre ans. Depuis, il vit avec son père, un libraire doux et mélancolique qui n’arrive pas à se détacher du passé, dans la Barcelone de l’après-guerre civile où règne la répression du régime de Franco. 

Un matin à l’aube, alors que le garçon est âgé de 10 ans, son père l’emmène dans une excursion initiatique au Cimetière des livres oubliés, un sanctuaire caché où reposent des milliers d’ouvrages qui, avec le temps, ont disparu de la mémoire des vivants. Comme le veut la tradition, Daniel y choisit un seul livre – un roman écrit par un certain Julian Carax, dont l’identité est enveloppée d’un épais voile de mystère. Fasciné par cet individu, Daniel consacrera les dix prochaines années de sa vie à élucider les secrets entourant la vie et la mort de l’auteur de L’Ombre du vent.  


Il faut dire que dans ce roman, l’amour que vivent les personnages est l’Amour avec un grand A, celui qui foudroie à première vue et qui fait vivre des émotions en montagnes russes. Daniel et Julian vivent tous les deux leur premier amour avec une intensité qui est difficile, voire impossible à entretenir. Quoique ces personnages connaissent des moments de pure joie et d’extase que l’auteur arrive si bien à nous faire ressentir à travers les lignes, un tel bonheur a toujours un prix. Pour chacun de ces moments précieux et sacrés, les personnages passent des chapitres entiers tourmentés par le désir, l’incertitude, puis le chagrin et le désespoir. Bref, l’amour est présenté comme cette force imprévisible et incontrôlable, une passion violente dont les hauts sont inévitablement accompagnés de descentes abyssales. Nous ne pouvons que ressentir de la compassion envers Daniel, dont les émotions et les pensées sont décrites avec une candeur que l’on ne peut retrouver que dans les romans. Celles-ci agissent comme des miroirs qui nous renvoient les reflets des turbulences émotionnelles par lesquelles nous sommes tous passés, tel le supplice d’attendre pendant des jours un appel (ou un message) qui ne viendra pas. Finalement, L’Ombre du vent met à l’avant les subtilités et complexités du jeu de séduction avec une franchise unique qui fascinera sans aucun doute ceux et celles ayant un intérêt envers la psychologie des relations humaines.

L'Alchimiste, par Paolo Coelho

Santiago est un jeune berger andalou, dont la vie simple et tranquille est bouleversée par un rêve qui lui révèle l’existence d’un trésor enfoui au pied des pyramides de Gizeh. Interpellé par cette vision, le jeune homme décide de laisser derrière lui sa vie de berger et de se lancer dans un long périple qui le mènera jusqu’en Égypte, à la recherche du trésor caché. 

Au cours de son voyage, Santiago fait de nombreuses rencontres, tirant une leçon précieuse de chacune de celles-ci. Il comprend ainsi que son rêve était en fait un appel du destin l’interpellant à vivre sa « Légende Personnelle » – la grande aventure qui fera de lui, s’il en vient à bout, un héros et un homme. Le jeune berger fait éventuellement la connaissance d’un Alchimiste, qui lui apprendra à écouter son cœur et à reconnaître les signes du destin inscrits partout autour de lui afin de retrouver son chemin ainsi que le courage et la foi de suivre son rêve jusqu’au bout. 

Quoique le récit se centre sur la quête personnelle et spirituelle de Santiago, celle-ci sera grandement chamboulée par la rencontre d’une jeune fille du nom de Fatima, dans une oasis au cœur du désert. Notre héros se sent attiré corps et âme par cette femme et songe à abandonner sa quête afin de rester auprès d’elle, dans l’oasis. Mais celle-ci l’encourage plutôt à continuer son voyage en affirmant que l’amour, le vrai, ne devrait jamais empêcher une personne de vivre sa Légende Personnelle. 

L’amour qui unit Santiago et Fatima est tout aussi fort que celui qui transparaît dans L’Ombre du vent, cependant, il est plus simple et serein, sans drame ni cachotteries. Peut-être parce que les deux personnages ne ressentent aucun doute quant à l’amour qu’ils partagent, même si leur futur ensemble demeure incertain. Malgré l’incertitude, Fatima a la profonde conviction que, si leur destin est d’être ensemble, l’univers lui ramènera un jour l’homme qu’elle aime. C’est dans cette foi qu’elle trouve le courage de laisser partir Santiago et d’attendre son retour. Il s’agit donc d’un amour enraciné dans l’acceptation du destin et de l’ordre naturel des choses, qui ne cherche pas à posséder ou mettre en cage l’être de ses désirs, mais lui redonne plutôt sa liberté en gage ultime de confiance. 

Du côté de Santiago, son amour pour Fatima donne un sens nouveau à sa vie et à son périple. Alors qu’auparavant, il errait d’un pays à l’autre tel un vagabond déraciné à la recherche d’un trésor mythique, désormais, il souhaite de tout son cœur réussir sa quête afin de pouvoir retourner auprès de la femme qui l’attend et enfin, l’épouser.

A Long Petal of the Sea, par Isabel Allende 

Nous revoilà en Espagne, au cœur de la guerre civile qui fit plus d’un million de morts et marqua le début de nombreuses années de violente dictature et de répression. 

Victor et Guillem sont deux frères combattant, du côté républicain, le front nationaliste du général Franco. Lorsque Guillem meurt sur le champ de bataille, Victor se promet de protéger la femme de celui-ci, Roser, nouvellement enceinte, et de l’emmener quelque part où elle n’aura pas à craindre pour sa vie ou celle de l’enfant qu’elle attend. 

Victor et Roser décident de fuir au Chili à bord du Winnipeg, un navire emportant des centaines de réfugiés de guerre comme eux. Afin de pouvoir embarquer ensemble à bord, ils n’ont pas le choix que de s’unir dans le mariage. 

Toutefois, au fur et à mesure que Victor et Roser s’adaptent à leur nouvelle vie d’exilés, veillant l’un sur l’autre tels de vrais partenaires, ils découvrent que l’estime profonde et l’affection qu’ils ressentaient l’un envers l’autre se sont métamorphosées petit à petit en amour véritable. Cet amour pur et inébranlable leur servira de refuge tandis qu’ils affrontent les  défis qui ne cessent de se présenter à eux sur le nouveau continent. 

De toutes les représentations de l’amour abordées jusqu’ici, celle-ci a une place particulière dans mon cœur. Avant de devenir amants, Roser et Victor ont été compagnons et meilleurs amis, et n’ont d’ailleurs jamais cessé de l’être. Contrairement à un coup de foudre flamboyant qui éblouit quelques instants mais se consume aussitôt, l’amour qu’ils partagent s’apparente plutôt à une petite flamme, discrète mais constante, une source de chaleur et de réconfort qui ne s’épuisera jamais. 


Bien sûr, la relation entre nos deux protagonistes n’est pas toujours parfaite et connaît des moments de jalousie et d’incompréhension ; après tout, ils ne sont qu’humains. Mais, grâce à leur engagement renouvelé et à leur promesse de toujours se dire la vérité, la force du lien et de l’intimité qu’ils partageaient ne s’est que renforcée à travers ces épreuves traversées ensembles. 

Allende nous offre donc une esquisse de l’amour en tant que choix, une œuvre que l’on bâtit à deux, et non quelque chose qui nous tombe dessus tout simplement (et qui serait alors entièrement hors de notre contrôle). À mon avis, il s’agit d’un portrait plus doux, réaliste et accessible, mais tout aussi puissant, de cette expérience unique au monde que nous espérons tous vivre. Ce récit envoie également un message d’espoir à ceux et celles qui ont le cœur brisé : tout comme Roser qui, après avoir fait le deuil de son premier amour pendant des années, a réussi à rebâtir une vie avec Victor et s’y épanouir, il est toujours possible d’aimer et d’être heureux à nouveau.