Le Pouls

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Étudiants - 3,2,1... Partez !

par Félicia Harvey

À la suite d’une annonce de l’Université Laval et de la réponse de ses étudiants, Joseph Facal écrivit une chronique enflammée intitulée : « Le petit lapin qui se prenait pour un médecin ». Celle-ci manque de nuance et passe à côté du véritable enjeu en question. 

À la mi-janvier, la Faculté de médecine de l’Université Laval communiqua aux étudiants de troisième année qu’elle procéderait à un tirage au sort pour sélectionner ceux qui devront faire une année de leur externat en région. En résumé, après deux ou trois années d’études théoriques à l’université, le programme comprend un externat de deux ans. Différents formats existent, mais le principe reste le même. Les futurs médecins sortent de leurs livres et poursuivent leur formation en apprenant la médecine « pratique », dans le milieu, en essayant diverses spécialités. Depuis quelques années, l’Université Laval offrait la possibilité, aux élèves intéressés, de faire un an de leur externat en région, entre autres, au Bas-Saint-Laurent ou en Gaspésie. Cependant, cette année, quelques places ouvertes sont restées vacantes. Pour remédier à la situation, la Faculté décida de tirer au sort, parmi les étudiants, pour pourvoir ces postes. 


Externat et région font-ils la paire? 

Provenant moi-même d’une région, je n’ai évidemment rien contre les régions du Québec, pas de réticence, pas de préjugés, aucun dédain, au contraire ! En revanche, maintenant que j’étudie à Montréal, ma vie est organisée ici. Bien entendu, si on m’annonçait, à la dernière minute, que je devais déménager un an complet dans une autre région, je voudrais discuter de cette décision avec la faculté, afin de voir s’il existe une meilleure solution.  Étant très consciente des besoins en région, je comprends le désir de la faculté et même de la population en général de combler ces stages. Cependant, l’enjeu est ailleurs. Le problème réside dans l’imposition d’un choix qui comporte plusieurs conséquences, alors que cela n’avait pas été convenu à l’entrée du programme. 

Aussi, notons que l’externat fait partie de la formation universitaire. Il est à différencier de la résidence qui est un stage à plus proprement parler. En effet, ce ne sont pas les externes qui soignent des patients ou qui aideraient à désengorger le système de santé. Au contraire, ils sont en apprentissage, alors ils ne sont pas non plus la clé du problème de pénurie de main-d’œuvre en région. 


La réponse étudiante

Face à cette nouvelle, les étudiants ont critiqué la faculté de les avoir mis au courant trop tard de cette décision. En effet, avant le 12 janvier dernier, l’année d’étude en région était une option, mais du jour au lendemain, elle devient exigée pour ceux qui commencent leur externat dans seulement quelques mois. Comprenez bien ici que les étudiants ne s’opposent pas aux stages en région ! Ils s’opposent à cette décision précipitée, annoncée à la légère. 


Chronique tranchante

M. Facal semble avoir manqué cette subtilité. Il ne mâche pas ses mots dans sa chronique du 26 janvier en traitant les étudiants de médecine de « moumounes » et de « pauvres petits lapins ». Il commence avec une généralisation de la nouvelle génération: « fragilité psychologique », « ultra-sensibilité », « hyper-susceptibilité »… Puis, il poursuit en décrivant les étudiants de médecine comme une  « […] frange particulière de jeunes qui, n’ayant rien accompli dans la vie, exige pourtant d’être traitée comme si tout lui était dû. »  Quand on sait les sacrifices et la charge de travail qu’il faut, ne fut-ce que pour entrer en médecine et ensuite finir tout ce cursus, je m’étonne du jugement sans appel de M. Facal sur l’ensemble des étudiants en médecine d’aujourd’hui. C’est au minimum aussi demandant aujourd’hui que pour les générations précédentes, voire davantage, avec l’explosion des connaissances en santé. La comparaison générationnelle vindicative pour ce seul événement m’apparaît plus que sommaire.


Le vrai problème, c’est qu’il mélange les enjeux. Il affirme que les étudiants ne veulent pas soigner des patients en région. Comme expliqué plus haut, les élèves reprochent le court préavis et le manque d’organisation plutôt que le stage en tant que tel. De plus, l’externat est une période difficile pour les futurs médecins qui doivent conjuguer avec la pression de performance et l’horaire chargé des études médicales. En effet, un sondage de la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ), réalisé en 2022, mit en lumière qu’un externe sur six avait songé au suicide dans la dernière année. C’est une situation alarmante qui ne devrait pas être prise à la légère. Pour pallier ce problème, les futures décisions adoptées par les facultés de médecine devraient tenter de ne pas exacerber le stress des étudiants. C’est pourquoi je trouve cela très inapproprié que M.Facal mit entre guillemets les mots « santé mentale » en réponse à un témoignage d’un étudiant qui abordait cet enjeu. Quel bon timing pour faire du sarcasme… 

Il continue en déclarant que la contestation des étudiants remet en question leur « vocation » et leur « désir d’aider son prochain ». Que des jeunes soient réticents à déménager seuls dans une région pendant un an ne remet certainement pas en doute toutes leurs valeurs… Certains ont déjà un bail en ville avec d’autres colocataires, vivent chez leurs parents et n’ont pas les moyens de déménager ou d’automobile pour rentrer à la maison, ont un travail dans leur ville actuelle, des obligations familiales ou autres, des proches dont ils prennent soin (enfants, grands-parents), etc. Est-ce que la faculté a prévu d'aider les étudiants sélectionnés pour s’organiser dans leur nouvelle ville, trouver un logement à quelques mois de préavis et prévoir les déplacements? Qui plus est, l’externat est un stage non rémunéré. Ainsi, qui devra assumer les coûts reliés à ce déménagement? Probablement les étudiants... 

Je trouve décevant qu’il abuse de formulations telles que « damnation », « camp de concentration », « goulag sibérien » uniquement pour exagérer la situation et attirer l’attention. Il déforme clairement le message des étudiants pour faire réagir. J’aurais aimé croire que les lecteurs auraient un esprit critique assez développé pour comprendre que M. Facal essaie simplement de faire sensation pour qu’on lise sa chronique. C’est sa job ! Il utilise un genre de clickbait comme les influenceurs, un métier que les chroniqueurs aiment critiquer avec véhémence. Malheureusement, les commentaires sous la chronique de M. Facal témoignent que plusieurs lecteurs ont bien mordu à l’appât. 


Solutions réalistes

Je suis convaincue qu’une des meilleures méthodes pour susciter l’intérêt des médecins à établir leur pratique en région est de les exposer à des stages en région. Cependant, le format et l’approche sont importants. Par exemple, une initiative qui porte ses fruits est l’ouverture de campus satellites en région, comme celui de Chicoutimi offert par l’Université de Sherbrooke. Un autre exemple serait les stages en région durant la résidence. En effet, le docteur Christian Campagna, président de la Fédération des médecins résidents du Québec, soulignait que le travail en région est de plus en plus populaire chez les résidents. Il précisait justement qu’il « [voulait] s’attaquer aux préjugés selon lesquels les médecins ne sont pas attirés vers les régions » (3).

Finalement, les étudiants en médecine, conscients que bon an mal an, les régions ont des besoins, ont proposé à la faculté de séparer l’année en région entre plusieurs élèves qui s’alterneraient aux six semaines. Sans donner un argument valide pour supporter son avis, M. Facal retourne du revers de la main avec dédain cette proposition… je n’ai pas encore compris pourquoi. Probablement parce que c’est un membre de la nouvelle génération qui l’a suggéré… Et je trouve normal que des étudiants contestent et souhaitent participer lorsqu’une décision est prise pour eux sans les consulter. Serait-on plus fier s’ils se laissaient manger la laine sur le dos ? Comme de bons petits lapins…


DALL-E


(1) Violette Cantin, « Une annonce surprise de stages en région sème l’anxiété chez des étudiants en médecine », Le Devoir, janvier 2023

(2) Isabelle Damphousse, « Les étudiants en médecine de l’Université Laval boudent les stages dans l’Est-du-Québec », Radio-Canada, janvier 2023

(3) Radio-Canada, « Plus d’intérêt pour les régions chez les médecins résidents », novembre 2019

(4) Florence Morin-Martel, «Un externe en médecine sur six aurait songé au suicide dans la dernière année », Le Devoir, juillet 2022 

(5) Joseph Facal, « Le petit lapin qui se prenait pour un médecin », Le Journal de Montréal, janvier 2023