Culturellement programmé

Cet été, équipée d’un sac à dos et d’une bonne paire d’espadrilles, j’ai eu la chance de visiter de nombreux pays en l’espace de quelques semaines. Passionnée par les voyages et les découvertes, j’ai été surprise par les différences marquantes entre les pays, malgré leur petite taille et leur proximité géographique. Plutôt inimaginable pour une habitante du nouveau continent, mais en Europe, je changeais plusieurs fois de pays, de langue et de monnaie en quelques heures de train. Ce voyage m’a ouvert les yeux sur l’importance qu’avaient l’histoire, les valeurs et la culture sur la vie quotidienne des habitants. 

Voyageant seule, j’ai eu l’opportunité de réfléchir sur l’influence concrète de ma culture sur mon quotidien. Dans cet ordre d’idée, je vous présente quatre évènements récents qui ont revêtu une importance particulière en raison de leur résonance culturelle. 

Le duo Barbenheimer 

À moins de vivre dans une grotte, vous n’avez certainement pas manqué la sortie conjointe des films Barbie et Oppenheimer. Cette stratégie, bien connue dans l’industrie, consiste à proposer une programmation avec des sujets aux antipodes pour satisfaire un large public. Différentes compagnies ont déjà utilisé cette approche par le passé pour maximiser leurs performances au cinéma, comme ce fut le cas avec The Dark Knight et Mamma Mia. Étant sans l’ombre d’un doute exactement le public cible du film Barbie, une jeune femme ayant joué avec des Barbie durant son enfance, j’ai été complètement bombardée (sans faire de mauvais jeu de mots) de marketing rose fluo durant l’été : annonces sur les réseaux sociaux, produits promotionnels, partenariats, etc. Mon fil d’actualité était inondé d’entrevues avec Margot Robbie durant la tournée promotionnelle et des différentes tenues des fans qui allaient visionner le film au cinéma. J’estime qu’il en fut probablement de même pour d’autres avec le film Oppenheimer. Outre le marketing complètement démesuré pour le film Barbie, le succès de ces deux films découle également de leur timing opportuniste. En effet, les enjeux soulignés sont dans l’air du temps. D’abord, Barbie aborde le féminisme à l’aide d’un cadre intéressant : utiliser des stéréotypes inversés pour mettre en évidence les incohérences de notre propre société. Puis, Oppenheimer traite des conséquences d’une technologie révolutionnaire. On peut faire une comparaison habile avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA) et de son impact grandissant dans notre civilisation. Cela permet aussi de mettre en lumière l’importance que prendront, dans notre société, les questions entourant la régulation de ces outils dans le futur. Bref, ce duo d’enfer qui enflamma le grand écran cet été illustre comment la culture exerce son influence sur nos choix, même au cinéma ! 

Le très populaire Eras tour 

En lice pour devenir la tournée la plus lucrative de l’histoire, le Eras tour de Taylor Swift brise tous les records. L’engouement suscité par ces spectacles dépasse l’entendement. Les fans, aussi connus sous le nom de Swifties, paient des fortunes, planifient leurs tenues des mois à l’avance, bravent des pluies torrentielles et ont même créé un évènement sismique équivalent à un tremblement de terre d’une magnitude de 2.3 lors d’un concert à Seattle. La vente de billet chaotique supportée par Ticketmaster a même entrainé le département de la Justice des États-Unis à ouvrir des enquêtes antitrust contre Live Nation Entertainment, la société mère de Ticketmaster. Ces différents évènements sont des exemples intéressants pour étudier la portée que peut avoir un évènement culturel porté par l’amour de la population pour un artiste. Encore dubitatifs ? Imaginez-vous que la venue de Beyoncé à Stockholm, dans le cadre de son tour Renaissance, a même influencé le cours de l’inflation en Suède ! Complètement inimaginable ! 

L’inauguration du REM 

L’ouverture du REM annonce une ère nouvelle pour les habitants de Montréal, en matière de transport en commun. Avec ces quelques années de retard, les optimistes vous diront qu’il vaut mieux tard que jamais, et qu’avec ses dépassements de budget : que ce qui mérite d’être fait, mérite d’être bien fait. Il sera intéressant d’observer si ce projet pharaonique tiendra ses promesses. À cet égard, mon voyage en Europe fut formateur. J’ai pu analyser différentes villes où le transport en commun est construit intelligemment. La conséquence directe ? Il est utilisé ! Je pourrais citer, entre autres, l’incroyable réseau de trains entre les villes et les pays d’Europe, les lignes de métro qui quadrillent l’entièreté de la ville (et pas uniquement quatre axes) ou la magnifique ville d’Amsterdam réputée pour ses pistes cyclables pratiquement infinies. Mais ce qui m’a particulièrement frappée fut ma discussion avec un guide néerlandais. Voyant qu’il y avait peu de routes dédiées aux voitures et dans le cas échéant, elles étaient très petites et peu pratiques, je lui demandai qui avait ou qui voulait une automobile dans des conditions pareilles. Il me répondit que c’était ceux qui aimaient vraiment leurs voitures, comme les Américains, qui veulent une automobile pour tout ce que cela représente au-delà de l’utilité. À la suite de cette discussion, j’ai réalisé que, dans nos sociétés américaines, la voiture avait, en effet, une importance culturelle. D’abord, elles sont essentielles pour se déplacer dans la majorité des villes, car les distances sont grandes et le transport en commun est sous-développé, sous-financé et inefficace. Ainsi, au fil du temps, l’automobile est devenue un symbole de liberté et d’indépendance dans notre société. Avoir une voiture, c’est pouvoir se déplacer, aller où on le souhaite quand on le souhaite, dans le confort de son propre espace. Pensez seulement aux nombreuses vidéos virales sur les réseaux sociaux montrant la réaction d’un adolescent qui reçoit une automobile en cadeau de ses parents. La voiture n’est plus seulement un outil, elle est ancrée dans notre culture. Ainsi, je me demande comment parvenir à déprogrammer cette envie de posséder une voiture pour convaincre les citoyens d’adopter le transport en commun. Évidemment, je crois qu’il est primordial de le développer au Québec avec de grands projets et non seulement avec des améliorations des infrastructures existantes : le REM, de nouvelles lignes de métro ou d’autres projets en dehors de l’ile. Mais cela sera-t-il suffisant pour motiver les gens à abandonner leur automobile ? J’en doute… Certes, l’inefficacité et l’inaccessibilité de nos réseaux contribuent fortement à la réticence de la population à troquer leur voiture pour une carte OPUS, mais je crois que la culture joue aussi un rôle prépondérant dans cette dynamique. 

L’utilisation problématique d’Ozempic 

Enfin, un médicament devenu extrêmement populaire, même auprès des influenceurs : Ozempic. Initialement utilisé pour traiter le diabète, il s’est révélé particulièrement efficace pour la perte de poids. Dans un contexte marqué par une épidémie aux États-Unis depuis de nombreuses années, cette substance offre une solution de plus pour les cliniciens confrontés aux conséquences du surpoids. Cependant, un revers à la médaille de ce médicament miracle se dessine à l’horizon. Des allégations ont retenti, accusant de nombreux influenceurs, tels que les Kardashian, de faire usage de ce médicament dans un objectif non médical de perte de poids. Même si la culture de la diète bénéficie d’une popularité intemporelle, nous vivons présentement dans une ère où les corps minces, voire excessivement maigres, sont surreprésentés et survalorisés sur les réseaux sociaux. Ce phénomène est certainement corrélé avec l’explosion des troubles alimentaires. Ainsi, bien que ce médicament « perte de poids miracle » puisse paraitre incroyable, il ouvre une boite de Pandore à l’excès. En tant que futurs cliniciens,  il sera important d’adapter notre pratique pour traiter l’obésité tout en demeurant sensibles aux enjeux d’image de soi.  

Bref, même si la culture est souvent pensée et discutée comme un grand concept théorique davantage que pratique, on peut observer son influence dans bon nombre de nos actions quotidiennes. Cette notion permet d’imaginer les embuches à s’adapter à un nouveau pays. Il ne suffit pas de connaitre les lois et la langue, mais de comprendre les gens et les motivations qui les animent. Cela étant dit, mes voyages à travers le monde m’ont surtout montré que nous étions chanceux de vivre chez nous : au Québec !