Chantons notre Qulture !
Le décès tragique de Karl Tremblay à la mi-novembre a profondément ébranlé le Québec. Une vague de sympathie, de nostalgie et d’amour a déferlé dans toutes les régions de la province. Entretiens, rassemblements, reportages, hommages : chacun a ressenti l'impact de cette immense perte. Les plus grands succès des Cowboys Fringants résonnaient partout : à la radio, lors d’un match des Canadiens, à la finale de la Coupe Grey, et bien plus encore.
Félicia Harvey
Depuis 25 ans, les Cowboys Fringants bercent les oreilles des Québécois avec des textes touchants qui racontent l’histoire d’ici, notre histoire ! Tout le monde peut se reconnaitre dans leurs chansons qui abordent notre réalité et nos enjeux. C’est tout un héritage qu’ils laissent à la culture québécoise.
Je crois qu’en tant que Québécois, en tant que nation, nous devons tirer des leçons de l’exemple des dernières semaines. Nous devons apprendre à valoriser notre culture. Nous ne devrions pas attendre d’avoir l’âme en peine pour écouter de la musique québécoise, pour en jouer entre deux buts des Canadiens, pour la fredonner en entrevue, pour que la radio en diffuse à toute heure.
D’ailleurs, lors du dernier Gala de l’ADISQ, Louis-Josée Houde a conclu la soirée sur une note similaire en citant Jim Corcoran : « Une langue qui n’est plus chantée est une langue morte, une langue vivante est une langue qui est chantée. Continuez de chanter chers amis, continuez de chanter. » (3)
Depuis l’avènement des plateformes d’écoute en continu, la musique québécoise coule d’année en année. Inondée par une offre infinie de chansons du monde entier, mais particulièrement submergée par la culture américaine, elle peine à faire surface dans cet océan de mélodies, pour la plupart anglophones. Et pourtant, ce n’est pas l’offre qui manque, selon Ève Paré, directrice générale de l’ADISQ, « À l’époque du disque physique, il se produisait bon an mal an 350 albums par année. Depuis la pandémie, on frôle les 1000 albums par année. » (1) Malheureusement, selon un nouveau rapport de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) : « En 2022, 23,9 milliards d’écoutes ont été faites sur les services de diffusion en continu (streaming) au Québec. De ce nombre, 8 % sont des écoutes d’œuvres interprétées par des artistes du Québec. » (2) Mais ça n’a pas toujours été le cas. À l’époque des marchands de disques locaux, la réalité était bien différente. Les gens devaient se rendre en boutique pour écouter de la musique ou acheter des disques. Ainsi, les albums qu’on présentait aux consommateurs à l’entrée ou dans la vitrine étaient à la discrétion du marchand local. Selon l’ADISQ, à cette époque, la musique francophone représentait 40 à 50 % des habitudes d’écoute des Québécois. De nos jours, nous faisons confiance aux grandes entreprises comme Spotify ou Apple Music pour nous proposer des chansons. À notre grande surprise, nous nous retrouvons avec une très forte majorité de contenus américains.
Évidemment, les deux paliers de gouvernement peuvent intervenir, comme c’est déjà le cas avec l’actuel projet de loi C11, qui vise à encourager la promotion du contenu culturel canadien (musique, série, film, vidéo, etc.) sur différentes plateformes (4) Reste à voir l’impact réel qu’auront ces lois sur ces grandes entreprises qui contrôlent le marché.
En attendant que notre algorithme nous propose du Charlotte Cardin à la place de Taylor Swift, c’est à nous en tant que peuple de choisir d’écouter de la musique québécoise, de choisir d’encourager nos artistes d’ici, de choisir de télécharger la musique qui parle de nous, de nous choisir. Évidemment, le but n’est pas de renier les chansons et les artistes que nous aimons et de nous obliger à n’écouter que de la musique québécoise. Ce serait un souhait irréaliste pour plusieurs et inutile. La musique d’ailleurs a son lot de richesse aussi pour de nombreuses autres raisons et l’excès n’amène jamais rien de bon. L’idée serait d’ajouter quelques mélodies québécoises à sa liste de lecture, d’être curieux de découvrir de nouveaux artistes d’ici, d’encourager les gens autour de soi à jouer des chansons québécoises lors de rassemblements, de soupers, de party ! Qui n’aime pas chanter à gorge déployée la « Marine marchande » en karaoké ? Et il ne faut pas oublier nos tout-petits. À eux aussi, nous devons leur transmettre la richesse et notre amour pour la culture québécoise. Jouer des chansons québécoises dans l’auto vers la garderie, amener les enfants à des concerts d’artistes québécois, jouer de la musique d’ici dans les écoles, l’analyser dans les cours de musique pour qu’eux aussi apprécient et transportent avec eux nos chansons.
Alors dans le temps des fêtes, continuez d’écouter l’incontournable ver d’oreille « All I Want for Christmas Is You », mais pourquoi ne pas alterner avec « 23 Décembre » de Beau dommage ? Sur ce, « on se reverra, le sept janvier ».
Élise Jetté, « Les Québécois n’ont écouté que 8 % de musique d’ici en 2022 », Radio-Canada, 17 octobre 2023, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2018840/quebec-musique-ecoute-continu-streaming
Institut de la statistique du Québec, «Musique en continu au Québec : 24 milliards d’écoutes en 2022, mais peu d’écoutes d’interprètes d’ici», 17 octobre 2023, https://statistique.quebec.ca/fr/communique/musique-continu-24-milliards-pistes-ecoutees-quebec-2022
Élise Jetté, « Alexandra Stréliski, Daniel Bélanger et Kanen marquent le 45e Gala de l’ADISQ », Radio-Canada, 6 novembre 2023, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2024351/alexandra-streliski-daniel-belanger-kanen-45e-gala-adisq
La Presse canadienne, «Le projet de loi C-11 pourrait créer un système à deux niveaux, selon des producteurs indépendants », Le Devoir, 28 avril 2023, https://www.ledevoir.com/politique/canada/790039/le-projet-de-loi-c-11-pourrait-creer-un-systeme-a-deux-niveaux-selon-des-producteurs-independants