Éditorial - volume 2, édition 2
Cultiver son jardin
Par Clara Coderre
Début 2023, la neige ayant à peine commencé à fondre, mais réfléchissant déjà à son potager chéri, ma mère a coupé une seule tomate cerise du commerce pour en récolter les graines. Enfouies une à une dans de vieux contenants de plastique, arrosées délicatement, nourries, rempotées puis finalement plantées au jardin, les semences ont produit une douzaine d’énormes plants de tomates, nous offrant chacun de généreuses grappes. Quelle abondance de la nature, nous sommes-nous exclamés tout l’été, devant les moissons toujours plus nourricières, et commençant à manquer d’idées de recettes pour les apprêter!
Il serait convenu et même cliché d’affirmer que notre société en est une d’abondance. Nous jouissons d’une abondance de biens, d’argent, d’infrastructures, d’idées et de points de vue, mais nous faisons également face à d’innombrables problèmes sociaux et conflits, dont on ne mesure pas toujours l’impact. En préparant cet article, je réfléchissais à ce que ce mot signifiait pour moi, et comment il s’inscrivait dans des exemples actuels.
J’ai pensé à ces 10 000 personnes, qui, selon des chiffres conservateurs, seraient aux prises avec des problèmes d’itinérance au Québec. Alors que la crise du logement touche un nombre grandissant de ménages, les actions pour la contrer doivent être concertées, intelligentes, et surtout rapides pour éviter que la situation ne devienne hors de contrôle.
J’ai pensé à Hydro-Québec, qui annonce ses intentions de doubler la production d’électricité au Québec, avec tout ce que cela comporte en termes de destructions de milieux naturels. Alors même que j’avais naïvement imaginé que l’hydro-électricité de nos centrales était infinie, et que nos systèmes subviendraient éternellement à la demande, j’ai été confronté à cette possible pénurie, à moins d’agir pour la prévenir.
J’ai également songé à la guerre entre le Hamas et Israël, qui fait tous les jours plus de victimes. Une multitude d’informations nous parviennent, sans qu’elle soit toujours fiable, nuancée ou crédible. Des amalgames dangereux sont parfois créés, des idées racistes sont propagées de part et d’autre, et je me retrouve souvent désemparée devant cette multitude d'opinions ou déclarations, affirmées puis rétractées.
Qui croire? À qui me fier? Ces repères sont d’autant plus difficiles à établir que les médias tels que nous les connaissons subissent une transformation radicale, comme l’ont démontré les coupes importantes chez TVA récemment, et chez d’autres groupes dans la dernière année. Devant la perte de revenus publicitaires et les coûts croissants de la production d’informations de qualité, les modèles d’affaires ne sont plus viables. J’anticipe, peut-être à tort, qui comblera la place de ces réseaux reconnus. Chose certaine, ces médias ne vivent actuellement pas de période d’abondance, étant plutôt tenus à un strict régime minceur.
J’ai aussi pensé à tout ce que le mot abondance évoquait de positif chez moi. L’abondance des plats préparés en famille avant de s’attabler, enivrés par les rires et le bon vin. L’abondance de connaissances qu’il nous est offert d’apprendre, tous les jours, grâce à un accès toujours plus facile au savoir. À l’abondance de musique qui parvient à mes oreilles et me fait voyager sans soulever un orteil. Bref, à cette abondance qui peut aussi réjouir, divertir, je lève mon verre, et je vous souhaite à tous un temps des fêtes reposant, plein de folies et surtout, d’amour !