Le Pouls

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Se diriger au palier d’une médecine humaniste [Texte gagnant]

par Catherine Kim-Anh Nguyen

“Hey Cath, comment ça va? Tu dois graduer bientôt! » 

Effectivement. Dans moins de cinq mois, j’aurai fini ma dernière journée d’externat. 131 petits jours qui me restent avant de ne plus jamais me décrire comme externe en médecine et devoir faire face aux regards perplexes de personnes qui n’ont aucune idée de la signification d’un tel mot. 

Je n’oublierai jamais les nuits précédant ma première journée d’externat, teintées d’un sommeil fragmenté en raison de l’excitation et de l’anticipation qui envahissaient tout mon corps. On me dit souvent que je dors comme un bébé (c’est vrai, je m’endors partout, surtout dans des automobiles qui roulent), mais cette nouvelle étape que j’allais entamer venait me tourmenter d’une façon que je n’ai jamais vécue auparavant.  J’avais si hâte de finalement commencer mon externat, de côtoyer de vraies personnes après l’hiver et le printemps passés en hibernation en raison de la pandémie, d’établir des liens avec les connaissances acquises lors des APPs. 

Lorsqu’on commence notre externat avec le stage de chirurgie à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, on se sent « invincibles » pour le reste de notre parcours, comme si aucun obstacle ou défi ne pouvait nous arrêter. Je ne peux l’expliquer en mots ; il faudrait que vous le viviez pour le comprendre. Puis, après ce qui semble durer le même temps que quelques clignements des yeux, le stage est terminé. Allez hop! Le prochain commence. On a une fin de semaine pour digérer la quantité astronomique de matière qu’on a avalée et qui sera bientôt reléguée aux « petites oubliettes », le temps de refaire de la place dans notre cerveau pour qu’on puisse commencer notre prochain stage en force. 

Ah, les fameux premiers jours de chaque stage, pendant lesquels on essaie de se retrouver parmi les pavillons bizarrement interconnectés d’un nouvel hôpital, de s’adapter aux styles des patron.nes et résident.es que nous côtoyons, d’assimiler de la nouvelle matière rapidement et de la mettre en pratique aussitôt apprise. Je suis toujours surprise par la rapidité et la fluidité avec laquelle nous, humbles êtres humains, puissions nous adapter à une situation inconnue. 

Il y a un stage en particulier qui me faisait vivre une anticipation et une fébrilité inconfortables. Le stage de soins palliatifs. Étant une personne de nature très sensible et avec une mère qui a un cancer métastatique, je redoutais le début de ce stage, en sachant que j’allais y vivre une panoplie d’émotions qui pourraient venir me toucher particulièrement en tant qu’aidante naturelle.

Malgré ces émotions qui tourbillonnaient au fond de moi, j’essayais d’être optimiste et de m’attarder aux points positifs de cette expérience qui s’approchait de plus en plus. Je tentais de la percevoir comme une nouvelle aventure qui allait marquer mon externat. De fait, je n’avais entendu que de superbes commentaires venant de plusieurs membres de mon entourage, dont mon cher ami et ancien colocataire Guillaume Lavoie qui y a été bénévole pendant quatre années. Pendant son expérience comme bénévole en cuisine et aux soins, il m’a raconté avoir été témoin d’un endroit où la nature humaine est célébrée dans tous ses sens, là où débordaient les émotions et les réactions qui font de nous des êtres humains.

C’est en me rappelant ses paroles et en les rejouant dans ma tête comme une musique réconfortante que j’ai ouvert, après avoir pris quelques grandes respirations, la porte de la Maison Source Bleue à Boucherville, soit un établissement de soins palliatifs. 

Dès le franchissement des portes de l’entrée, je me rendais rapidement compte que je rentrais dans un environnement que je ne pourrais décrire autrement qu’étant « ironiquement zen ».  Alors que plusieurs ont des idées préconçues d’une maison de soins palliatifs comme étant un endroit plutôt macabre, j’y voyais plutôt les photos des patients et de leurs familles rappelant leurs beaux souvenirs ainsi que les œuvres d’art qui longeaient les murs, j’appréciais la musique du piano qui détendait l’atmosphère, j’étais émerveillée par les multiples oiseaux qui venaient saluer les patients par la fenêtre, et bien sûr, je me sentais proche des êtres humains résilients, forts et inspirants qui traversaient courageusement ces corridors. J’inclus dans cette description autant les patients que leurs proches (amis, familles) ainsi que tout le personnel soignant et administratif : les médecins, les infirmières, les préposées, la musicothérapeute, les travailleurs sociaux, les bénévoles et les gestionnaires. 

Rarement ai-je vécu un accueil aussi chaleureux à un stage. Salutations joviales, sourires rayonnants trahis par les plis des yeux malgré le port des masques, conversations naturelles et fluides qui en découlent. Finalement, le sentiment de réconfort qui venait me réchauffer. 

Je crois sincèrement que toute personne qui entre dans une maison de soins palliatifs, que ce soit pour y vivre leurs derniers moments, accompagner un proche ou y travailler, fait preuve d’un courage incommensurable. Soit celui de participer activement à célébrer la vie d’un être humain, tout en respectant sa dignité, son intégrité et sa volonté. Durant ces derniers jours, j’ai été témoin du rôle de médecin dans l’approche palliative et je crois que ce travail est admirable. Toute médecine se doit d’être humaine, mais je crois que l’approche palliative est particulièrement intéressante dans le sens où la priorité demeure le confort du patient. La pratique se concentre sur le bien-être du patient, le soulagement et la maîtrise de ses symptômes afin que celui-ci soit le moins souffrant possible. Pour que le patient puisse être en mesure de profiter au maximum de sa fin de vie entourée des personnes importantes pour lui. C’est une médecine qui fait preuve de patience et d’empathie et qui comprend la nécessité d’un travail interdisciplinaire pour bien répondre aux besoins du patient. C’est une médecine à l’écoute des plaintes du patient et qui met de l’emphase sur l’examen physique pour pouvoir orienter sa conduite à tenir, car les bilans de laboratoire sont effectués de façon plutôt parcimonieuse. C’est une médecine qui considère l’importance d’établir un diagnostic différentiel pertinent afin de trouver la cause d’un symptôme et d’ainsi mieux soulager les maux du patient. C’est une médecine qui revient à la base avec le principe du « Primum non nocere ». C’est une médecine qu’on ne connaît que très peu en tant qu’ externe, car elle est uniquement abordée de façon plutôt superficielle à quelques reprises pendant notre doctorat en médecine, mais qui gagne à être connue afin d’être mieux comprise et valorisée. 

C’est aussi une médecine qui m’a permis de témoigner d’un moment de tendresse inégalé entre une patiente et son conjoint qui sont unis par 58 ans de mariage. D’avoir les larmes qui me remontaient aux yeux lorsque j’apercevais le bonheur et la joie qu’elle ressentait lorsque son conjoint lui parlait, qu’il lui caressait les cheveux, qu’il lui apportait à boire. Sa condition l’aurait rendue aphasique, mais son sourire et son rire parlaient plus fort que sa voix n’aurait pu : elle rayonnait d’amour et de bonheur en sa présence. Je me suis sentie sincèrement privilégiée de pouvoir faire partie de ces moments si importants pour la famille. J’éprouvais également beaucoup de compassion pour le conjoint qui était encore sous le choc d'apprendre la détérioration rapide, imprévue et imprévisible de sa conjointe. Auparavant, ils vivaient ensemble sereinement dans une résidence de personnes âgées autonomes et du jour au lendemain, elle avait été amenée à l’hôpital où elle a passé de nombreuses investigations avant d’être transférée à la Maison Source Bleue pour y finir ses jours. Le conjoint nous a fait part de son inquiétude par rapport à l’incertitude de la situation et de son désir d’avoir un pronostic clair, ce qui était malheureusement impossible à fournir. J’ai toujours considéré que l’incertitude était un des obstacles les plus difficiles à gérer, car il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire pour changer quoi que ce soit. Suffit d’attendre et le temps nous dira. Ainsi, je trouvais que c’était assez difficile de rassurer le conjoint qui voulait avoir un pronostic plus précis afin de mieux se préparer pour la suite des choses. Je le comprends. Dans sa position, je me serais posé les mêmes questions. Malheureusement, les boules de cristal n’existent pas en médecine. Toutefois, dans la médecine palliative, il y abonde de la compassion, de l’écoute active, de la patience, de la bonté et de la volonté de soutenir les patients et leurs proches dans tous les défis qu’ils peuvent vivre. Et c’est l’approche qui a été utilisée pour rassurer le conjoint. 

Je comprends pourquoi le stage de soins palliatifs est obligatoire pendant l’externat. Toute personne qui aspire à devenir médecin devrait témoigner et participer à ce type de médecine. Une médecine qui nous permet d’être confrontés à des situations uniques de vulnérabilité, de bienveillance et de respect de l’intégrité et de la dignité des patient.es. 

Le fait d’être témoin de ces expériences extrêmement positives en soins palliatifs me confirme que, lorsque viendra le temps, j’encouragerai et je soutiendrai ma mère dans son cheminement vers l’approche palliative. Je me considère choyée d’avoir fait partie de l’équipe traitante afin de comprendre le raisonnement derrière les plans d’action et de défaire plusieurs stéréotypes sur ce type de soins. Je crois résolument en la beauté d’une médecine palliative qui permet de réduire la souffrance de patient.es qui, en majorité, ont souffert depuis trop longtemps déjà. Je crois en cette médecine qui permet aux patient.es de vivre leurs derniers moments paisiblement, entouré.es de leurs proches dans l’objectif de célébrer leur vie et de rendre hommage à leur juste valeur.

Image de couverture: photographie par Oleg Yu Novikov [Source: Wikimedia Commons]