L'hiver s'annonce froid pour certains
par Tian Ren Chu
Le 24 février 2022, l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie a propagé une onde de choc dans le monde entier, laissant planer une atmosphère d’incertitude. Depuis, neuf longs mois de conflit se sont écoulés, avec un bilan de plusieurs centaines de milliers de morts. Le quotidien d’innombrables familles a basculé subitement dans le chaos, tant du côté ukrainien que du côté russe. Les répercussions économiques, ressenties partout en Occident mais particulièrement en Europe, font frissonner plusieurs, surtout à l’approche d’un temps des fêtes où les lumières de Noël et les foyers bien réchauffés risquent de ne pas être au rendez-vous…
Suite à l’attaque initiale des troupes russes en Ukraine, les pays occidentaux furent nombreux à imposer des sanctions économiques au gouvernement russe dans l’espoir de persuader celui-ci de retirer ses troupes et de mettre fin à une guerre que nul ne souhaitait. Entre autres, plusieurs banques russes furent exclues de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), une composante du système financier international jouant un rôle crucial dans la médiation des transactions bancaires internationales. Ainsi, l’État russe (et ses citoyens) n’avait plus accès à plusieurs centaines de milliards de dollars qui se retrouvaient alors dans des banques étrangères. De plus, l’Union européenne se mit à élaborer sans tarder un plan pour réduire les importations d’énergie fossile russe, soit en pétrole, en gaz naturel et en charbon. En effet, avant le début des hostilités, près de 45% des importations de l’Europe en gaz naturel provenaient de la Russie.
En guise de riposte, le président russe Vladimir Putin exigea en mars 2022 que tous les paiements pour le gaz russe soient effectués en roubles, afin de remédier à la chute inévitable de la monnaie russe suite aux sanctions internationales. Plusieurs pays européens, dont la Pologne, la Bulgarie et la Finlande, refusèrent cette demande. En conséquence, leur approvisionnement en gaz naturel russe fut brusquement interrompu. Ainsi débuta une course contre la montre entre l’Union Européenne (UE) et la Russie; le premier se pressant de dénicher des sources énergétiques alternatives afin de diminuer sa dépendance envers le gaz russe, et le second essayant de sécuriser de nouveaux contrats (avec la Chine, entre autres) qui permettraient à la Russie d’exporter ailleurs les centaines de mètres cubes d’hydrocarbures fournis à l’Europe chaque jour, et ainsi fermer le gazoduc au nez des Européens.
Le 11 juillet 2022, le flux de gaz naturel via le pipeline Nord Stream 1, un des gazoducs majeurs qui permettait d’exporter le gaz russe jusqu’en Allemagne en traversant la mer Baltique, fut subitement
coupé, supposément pour des raisons de réparations. Puis, quelques mois plus tard, le 26 septembre, s’ensuivirent des explosions qui endommagèrent gravement les pipelines Nord Stream 1 et 2, envoyant des torrents de méthane dans la mer Baltique. Au sein de l’UE ainsi qu’à l’international, les suspicions d’un sabotage russe étaient fortes, mais la Russie nia toute implication. Pourtant, des investigations menées par les gouvernements suisse et danois ont bien démontré que l’étendue des dommages n’aurait pu être causée que par la détonation d’explosifs…
Crise énergétique en Europe
L’interruption soudaine du transit de gaz naturel russe vers l’Europe sema une nouvelle vague de panique sur le continent européen, en particulier avec l’hiver qui se pointait à l’horizon – l’utilisation principale du gaz naturel étant le chauffage. Le coût de l’électricité connut alors une montée exorbitante, si bien que de nombreux pays plus pauvres de l’Europe de l’Est commencèrent à stocker d’énormes quantités de bois de chauffage en vue de la crise énergétique qui semblait aussi inévitable qu’imminente. Les propriétaires de petits commerces (restaurants, boulangeries, etc.) étaient parmi les plus inquiets : certains restaurants ont connu une augmentation de 750% de leur facture d’électricité depuis le début de l’année. De nombreuses entreprises avaient déjà mis en place plusieurs mesures pour réduire leur consommation énergétique : systèmes d’éclairage automatisés avec détection de mouvement, baisse du thermostat, augmentation des prix au détail pour pallier l’inflation du coût de l’énergie.
En Allemagne, le gouvernement prit récemment la décision de garder actifs ses trois derniers réacteurs nucléaires, même si leur fermeture avait été planifiée en fin décembre 2022, dans le cadre d’un long projet de transition vers des sources d’énergie sécuritaires et renouvelables. Selon les experts, l’énergie nucléaire serait essentielle afin d’assurer une certaine stabilité énergétique en Allemagne cet hiver, l’alternative étant de réactiver d’anciennes centrales au charbon…
Catastrophe évitée… pour le moment
Malgré la panique initiale, l’Union européenne trouva au cours des derniers mois les moyens de remplir ses réserves en gaz naturel jusqu' à 93.8% de la capacité de stockage, en vue du temps froid. Par conséquent, le prix de l’énergie a finalement connu une chute et les commerçants ont pu reprendre leur souffle, surtout suite à la prévision d’une saison hivernale plus douce qu’à l’habitude cette année. Cependant, malgré les réserves actuelles abondantes, l’Europe court tout de même le risque de se retrouver dans une situation énergétique précaire cet hiver et sera contrainte de puiser dans ses réserves beaucoup plus que les années antérieures. Les experts s’attendent également à ce que le prix du gaz naturel en Europe demeure sept fois plus élevé comparativement aux hivers précédents. Sans compter le fait que traverser cette saison froide ne constitue que le premier pas : une fois les réserves épuisées, la quête de sources d’énergie abordables devra reprendre à nouveau.
Somme toute, la perte du ravitaillement en gaz naturel russe demeure un défi de taille auquel l’Europe devra faire face au cours des prochains mois, et au-delà.
Sources :
(1) Loveday Morris et Evan Halper, « Prices are down. Supplies are good. Europe’s gas crisis gets a reprieve », The Washington Post, 28 octobre 2022
(2) « Sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2 », Wikipédia, 21 novembre 2022, [https://en.wikipedia.org]
(3) The Associated Press, «Germany to postpone nuclear plant closures as Russia’s war in Ukraine fuels energy crisis fear», CBC News, 17 octobre 2022
(4) The Associated Press, « Lights out, heaters off: Europeans prepare for winter energy crisis after Russia turns off gas », CBC News, 26 septembre 2022
(5) « 2022 Russia–European Union gas dispute », Wikipédia, 21 novembre 2022, [https://en.wikipedia.org]
(6) « Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication », Wikipédia, 21 novembre 2022, [https://en.wikipedia.org]
(7) Arthur Sullivan, « Where can Moscow sell its oil and gas? », DW News, 4 juillet 2022
(7) Yusuf Khan, « Where can Moscow sell its oil and gas? », Wall Street Journal, 14 novembre 2022