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La psychiatrie à l’étranger : obstacles, tabous et conseils

par Coralie Roy, Rédactrice pour le regroupement Amis de MSF UdeM

C’est dans les pays à faible et à moyen revenu que vivent plus de 85% de la population mondiale. De ce chiffre, près de 75% de la population qui pourrait bénéficier d’aide en santé mentale n’y a pas accès. Dans ces pays, les troubles de dépression, la schizophrénie, la bipolarité et les troubles de consommation d'alcool font partie des dix principales causes d’invalidité dues à un état de santé. De plus, les populations les plus pauvres sont plus à risque ; un membre de la société ayant un faible statut économique est huit fois plus à risque de développer une schizophrénie [1]. C’est dans ce contexte que le travail de Médecins Sans Frontières s’articule.

Par contre, ce travail s’avère truffé de défis: se retrouver dans un pays étranger, avoir à se débrouiller avec un minimum de ressources, communiquer sans comprendre la langue locale et faire face aux différences culturelles sont quelques défis auxquels font face les expatriés de Médecins Sans Frontières.

La Dre Nyassa Navidzadeh, tout en travaillant à l’hôpital Jean-Talon à Montréal, a fait des missions dans des pays comme la Libye, le Malawi, la Guinée et l’Afghanistan. Elle pratique la médecine en tant que psychiatre pour les victimes de torture, de stress post-traumatique, de violences sexuelles ou encore en soins psychiatriques pour les prisonniers. 

Cet article aborde trois points centraux : ce qu’il faut pour travailler avec Médecins Sans Frontières, les défis de la pratique psychiatrique dans des pays étrangers et la santé mentale de façon générale.

Travailler pour MSF 

Premièrement, il faut savoir que Médecins Sans Frontières, c’est pour tout le monde. L’organisme cherche toujours des professionnels de la santé, mais aussi du personnel de soutien des domaines de la finance, du marketing ou des ressources humaines.

Selon Dre Navidzadeh, les qualités principales à avoir pour s’engager avec Médecins Sans Frontières sont, entre autres, la capacité d’adaptation et l’autonomie. Travailler à l’étranger aura toujours sa part de déstabilisation, peu importe la nature du travail : une nouvelle langue, une culture différente, des moyens techniques différents, etc. L’imprévu étant toujours au rendez-vous, l’adaptabilité est d’une importance primordiale.

Un psychologue social donne des renseignements sur les services psychologiques offerts par les cliniques mobiles de MSF au Salvador. En partenariat avec le Ministère de la Santé, MSF crée des groupes de soins psychologiques avec les habitants et les leaders locaux. (Source: Alejandra Sandoval/MSF, 2019)

Il faut aussi savoir travailler avec des moyens réduits. Les membres de MSF opèrent à travers une structure parfois temporaire, comme c’est le cas dans les pays en crise où l’organisation n’est que récemment établie. Les professionnels de MSF n’ont pas le choix de faire plus avec moins. Avec un personnel limité, un psychiatre, un logisticien informatique ou un coordinateur financier devient souvent le seul expert de son domaine lors d’une mission. Travailler pour MSF, c’est donc être très autonome dans sa prise de décision et dans sa façon d’atteindre ses objectifs. Il est important de mentionner que Médecins Sans Frontières ne peut fonctionner sans l’aide de professionnels embauchés sur le terrain. Ainsi, c’est un vrai travail d’équipe : le personnel, formé à la fois de professionnels locaux et internationaux, travaillent ensemble au bon fonctionnement de l’organisme.

Pour pouvoir s’impliquer au sein de MSF, il faut d’abord avoir un amour pour l’humanité. Avoir de l’expérience à l’étranger, lors de voyages ou d’échanges étudiants, permet notamment de se faire une idée sur nos capacités d’adaptation et de réaction face au doute. Parler plusieurs langues est évidemment un atout. La communication est toujours un obstacle aux pratiques de MSF, malgré les nombreux efforts déployés pour avoir des traducteurs sur place.

Défis de la psychiatrie et le tabou de la santé mentale

Après lui avoir demandé un exemple de défi qu’elle a dû confronter lors d’une mission, la Dre Navidzadeh me répond :

« Je me rappelle de ma première mission, j’ai été confrontée au fait que j’étais très sensible à être dans un pays où les femmes peuvent difficilement faire entendre leurs voix et où elles vivent beaucoup d’oppression. Ça m’a pris un certain temps avant de me permettre de refaire une mission dans ce coin du monde. »

La confrontation entre ses valeurs personnelles et celles de la culture dans laquelle on se retrouve peut réellement demander un grand travail sur soi. C’est ce que Dre Navidzadeh a vécu : elle a réalisé qu’elle devait s’adapter à la culture locale et ne pas imposer ses valeurs personnelles aux autres, afin de pouvoir aller aider les populations des autres régions du monde.

Les centre de soins intégraux de MSF offre ici des soins pour les victimes de torture et/ou d’extrême violence. Le centre offre des soins au long terme, avec les soins psychiatriques et psychologiques au cœur du programme. (Source: Melissa Pracht/MSF, 2019)

Qu’ils soient relationnels, professionnels ou culturels, dans presque toutes les sphères se présentent des défis auxquels les expatriés et les professionnels locaux doivent faire face. Pour la psychiatrie en particulier, un défi de taille s’impose : le tabou de la santé mentale. Pour illustrer ses propos, la Dre Navidzadeh me dit : 

« Autour du monde, la santé mentale n’est pas nécessairement vue comme un besoin primaire à adresser. Dans le cadre de la psychiatrie, les diverses populations ont de nombreuses façons d’exprimer la souffrance psychologique, c’est alors difficile de diagnostiquer une personne. Il faut s’immerger dans les différentes cultures pour pouvoir traduire correctement les manifestations de la souffrance. »

Pour Dre Navidzadeh, une priorité dans sa pratique serait d’accroître la sensibilisation quant à la santé psychologique. Par contre, à travers les années de pratique, elle a remarqué une augmentation des embauches de professionnels en santé mentale au sein de l’organisme, ainsi qu’une inclusion grandissante de leurs services lors de missions humanitaires. 

Notre santé mentale : Quelques ressources disponibles

Il existe aussi de nombreuses ressources pour nous aider à prendre soin de notre santé mentale. En voici quelques exemples :

Ressources à l’école :

  • Centre de soutien de consultation psychologique – cscp.umontreal.ca ou sante@sae.umontreal.ca

  • Le programme Mieux-Être (ressources en santé mentale) – aseq.ca ou 1-833-851-1363

Ressources à l’extérieur :

  • Les centres de prévention du suicide – 1-866-277-3553

  • Le centre de crise TRACOM – 514-483-3033

Ressources dédiées aux personnes BIPOC :

  • Filles d’Action – (514) 948-1112

    • Offre des séances de thérapie pour jeunes filles BIPOC

  • Black healing fund – intragram : @black.healing.fund

    • Offre de l’aide financière et des ressources aux personnes noir.es de Montréal pour protéger leur santé mentale

  • Healing in color – healingincolor.com

    • Offre un catalogue de ressources en santé mentale et des coordonnées de psychologues partout au Canada

 Cet article a été créé dans le cadre des activités 2020-2021 du groupe étudiant Amis de MSF – Université de Montréal. Le groupe a pour but de sensibiliser la population étudiante à la cause de l’organisme MSF en encourageant ceux-ci à s’informer et à s’impliquer.

Photo de couverture : Pauline, une psychothérapeute animant une activité de soutien psychosocial pour des enfants dans le camp de réfugiés Adagom (Source: Albert Masias/MSF, 2019).

Référence :

[1] Rathod et al. (2017) Mental Health Service Provision in Low- and Middle-Income Countries. Health Services Insights (Vol 10) p.1-7