Escapade nordique

Escapade nordique

par Louise Acheraiou


Attachez vos tuques, chers lecteurs, car je m’apprête à vous transporter dans un univers polaire. En mars 2019, j’ai eu la chance d’être chaleureusement accueillie, avec quelques amis, par la communauté inuite de Kangiqsujuaq, dans le cadre d’un voyage scolaire. En cette période annonciatrice de grands froids, je souhaitais partager avec vous une petite anecdote cocasse survenue lors de ce magnifique voyage au Nunavik, qui, je l’espère, saura vous faire sourire.

Laissez-moi tout d’abord placer cette anecdote dans son contexte. Mon périple débute en mars 2019, à bord d’un avion Air Inuit, qui ressemblait d’ailleurs plutôt à un minibus volant – somme toute très chaleureux. Je me rappelle la fébrilité et la joie qui m’emplissaient à l’idée de découvrir une région du Québec qui m’était alors inconnue. Je me figurais déjà les aurores boréales grandioses et les paysages déserts et enneigés. J’étais loin de me douter que le voyage que j’entamais et que les rencontres que j’allais y faire me marqueraient à ce point.



1792 km séparent Montréal de la communauté inuite de Kangiqsujuaq. Après 10 heures de voyage, 5 escales (Québec / Shefferville / Kuujjaq /Tasiujaq / Kangirsuk), 6 décollages et autant d’atterrissages, nous étions arrivés à Kangiqsujuaq, au-delà du 55e parallèle. Je n’ai cependant pas eu le temps de m’ennuyer. Je ne cessais de regarder à travers le hublot avec émerveillement pour contempler les arbres qui disparaissaient peu à peu du paysage et qui laissaient place à un océan de glace. J’étais à la fois émue par la vue et excitée par notre arrivée imminente. 

Nous avons atterri en fin d’après-midi, au moment du coucher du soleil; les couleurs violacées et bleutées s’entremêlaient avec splendeur et l’atmosphère était d’un calme envahissant. Une fois à l’extérieur, mes thermorécepteurs centraux de l’hypothalamus ont dû être suractivés par la température glaciale, car, malgré mes quatre couches de vêtements chauds, j’ai été parcourue d’un frisson qui a fait vibrer tout mon corps.


Ce soir-là, deux femmes inuites nous ont fait découvrir leur village en nous indiquant les différents lieux (l’école Arsaniq, l’église, le centre sportif, la coopérative, etc.) et en nous renseignant sur l’histoire de la municipalité, qui compte aujourd’hui autour de 800 habitants. Elles nous ont d’abord fait visiter le centre d’interprétation du « Parc des Pingualuit » qui, d’un côté, met en lumière les coutumes et évènements qui ont marqué les populations habitant le territoire depuis plusieurs milliers d’années et de l’autre, offre des renseignements sur les transformations géomorphologiques de la région. Cette première visite a marqué le début de ma découverte d’une culture et d’un art de vivre dont je sous-estimais la richesse – du rythme de la langue Inuktitut aux extraordinaires chants de gorges ; des arômes de la bannique au goût inoubliable de la graisse de béluga ; de la pêche sur glace à la pêche aux moules sous glace. 


Alors que nous étions dans le parc national de Pingualuit – nom donné à un immense cratère de la région formé par une météorite, nos guides nous ont proposé de construire un igloo, puis d’y dormir.


Une activité a priori bien stéréotypée, qui pourrait sembler n’être destinée qu’à des touristes ignorants. Cependant, la façon dont l’activité a été menée par nos guides inuits m’a permis de déconstruire mes idées préconçues. Certains aînés nous ont expliqué qu’ils avaient vu leurs grands-parents construire des igloos lorsqu’ils étaient jeunes, surtout lorsqu’ils partaient chasser. Nous avons passé la journée à construire ensemble l’igloo et à couper des prismes rectangulaires dans la glace. Le travail était long et fastidieux, surtout pour nous, les touristes, qui n’avions aucune compétence préalable. Néanmoins, je garde un excellent souvenir de cette initiative, non pas pour l’expérience en soi, mais pour la coopération et l’entraide que cela favorisait. En effet, c’est lors de cette activité que j’ai le plus eu l’occasion de discuter avec les jeunes et les aînés. Ces derniers ont toujours fait preuve d’une grande patience et de sincérité et ont excusé ma naïveté lorsque nous abordions des sujets sensibles. Ils m’ont appris des blagues et des termes en Inuktitut (comme le fait que « Kangiqsujuaq » signifiait « Grande Baie »), mais m’ont surtout renseignée sur des enjeux qui les touchaient particulièrement, comme le fait que le centre hospitalier le plus proche se situe à Kuujjuaq, soit à environ 400km de chez eux, ce qui rend l’accès aux soins très difficile, surtout en cas d’urgence. 


Ce long contexte étant maintenant bien placé, j’en viens à l’anecdote promise. Aussi loufoque qu’elle puisse paraître, je tiens à spécifier qu’elle est entièrement véridique.


Le 6 mars 2019 marque le jour où j’ai passé la nuit dans un igloo, accompagnée de mes amis et de notre guide inuit. À mon très humble avis, l’igloo avait été construit de manière impeccable grâce au savoir-faire des aînés. À l’intérieur, nous avions étalé des peaux d’animaux et de nombreuses couvertures de manière traditionnelle pour pouvoir bien nous tenir au chaud. Nous avions évidemment apporté nos sacs de couchage en complément, pour éviter de succomber au froid et de mourir d’hypothermie, ce qui aurait constitué une fin plutôt tragique.

En bonne touriste que j’étais, j’avais omis d’apporter mes gants. En moins de 15 minutes, mes doigts étaient glacés; je les remuais sans arrêt pour tenter de les réchauffer un peu, sans grand succès. J’avais cependant pensé à apporter un thermos rempli de chocolat chaud (si jamais l’envie me prenait de déguster un bon breuvage), qui m’a finalement servi de bouillotte à main. Ce soir-là, j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir en raison du froid. Dehors, le mercure s’abaissait à -35 degrés.


Au beau milieu de la nuit, je me suis réveillée en sursaut. J’avais entendu des sons étranges à l’extérieur de l’igloo. J’avais d’abord cru qu’il s’agissait du vent, mais en étant attentive, je m’étais aperçue que des bruits de pas se rapprochaient de nous. Je sentais ma pression artérielle augmenter et ma respiration s’accélérer frénétiquement. Les pas devenaient de plus en plus lourds et je commençais à paniquer. Dans le plus profond silence de la nuit arctique (qu’un citadin aurait du mal à concevoir), j’arrivais à discerner un grondement sourd qui semblait venir d’assez loin. Cela ressemblait étrangement à un grognement d’ours. Ma première réaction avait été de me dire que je ne craignais rien, que j’étais en sécurité dans l’igloo et qu’il n’y avait pas… d’ours polaire. Un ours polaire rodait autour de notre igloo. J’allais mourir, c’était certain.


Je ne suis pas croyante, mais je vous jure que je m’étais soudainement convertie. J’implorais tous les Dieux, Prophètes, Saints et Esprits imaginables d’avoir pitié de mon âme. 


Prise de panique et incapable de réfléchir clairement, j’avais essayé de réveiller notre guide en le tapotant sur la tête. Il ne s’était pas réveillé et, au contraire, semblait ronfler de plus belle. J’avais alors été secouée d’un élan de frayeur, puisque le grognement de l’ours s’intensifiait. J’étais au bord des larmes. Je me rappelle avoir imaginé la course que je devrais faire pour échapper à l’ours, si jamais il détruisait l’igloo. Je tentais de calculer, à l’aide d’équations physiques, la vitesse que je devrais atteindre pour m’en sortir. Je me souviens distinctement de m’être demandé si je courais plus rapidement que les autres personnes qui étaient avec moi dans l’igloo. J’étais possédée par un désir de survie et un sentiment d’impuissance. Je tapotai une fois de plus notre guide et celui-ci me répondit, à moitié endormi, qu’il n’y avait rien dehors et qu’il fallait que je me rendorme. J’ai refusé de le croire. Je n’ai pas dormi de la nuit; je n’en ai en tout cas pas le souvenir. Au lever du soleil, la glace de l’igloo avait une teinte bleutée. L’atmosphère semblait divine.


En sortant, je vis un magnifique renard arctique devant l’igloo. Je me sentis d’abord extrêmement choyée par la présence d’un tel animal, si petit, si subtil et si inoffensif, jusqu’à ce que je croise le regard de notre guide, qui me souriait d’un air légèrement moqueur. Autour de l’igloo, de minuscules traces de pas étaient dessinées dans la neige.


J’avais donc certainement tout imaginé, amplifié les sons qui m’étaient inconnus et laissé libre court à une imagination débordante. Quoi qu’il en soit, le lendemain, personne ne put profiter d’une nuitée dans l’igloo. Des ours polaires avaient été aperçus à une trentaine de kilomètres…

Images: photographies de voyage par Louise Acheraiou