Annie SylfraComment

Cet appel aux mille visages

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Cet appel aux mille visages

Par Annie Sylfra

L'universalité de cet appel est connue dans notre mémoire collective. Dans les milieux de soins, la résonance de cette interpellation paraît être notre premier signal du devoir. Une obligation d’agir pour se consacrer à cet appel, ce feu dévastateur de l’intérieur, la douleur. Elle n’est étrangère à personne, tous l’ont déjà rencontrée, préférant presque l'oublier. Ses origines se retrouvent dans nos plus anciens souvenirs. Que ce soit à coups de contractions, de lésions ou autres maux, elle se dévoile fréquemment sous sa qualité physique. Pourtant, elle est tout autant psychologique comme sous formes de ruminations ou de réminiscences. Depuis ces dernières années, nous savons que la conversation sur la santé mentale prend davantage sa place. Il existe encore cette difficulté dans nos sociétés à percevoir la douleur psychologique au même pied que la douleur physique. Au-delà de la ressentir, tous les soignants la côtoient en voyant leurs patients. Ils finissent par entendre indéniablement ce cri, cette demande d’assistance, cet appel à l’aide. La récurrence de ces rencontres tend à la transformer en un simple bruit sourd. Un bruit que l’on considère normal ou encore passager, créant une habituation malheureuse dans nos pratiques. 

Et si, cette habituation n’était que la conséquence de sa nature caméléonne. D’un individu à l’autre, elle change. La douleur se retrouve façonnée par l’histoire propre à chacun, tant notre passé et notre présent la modulent. Nos structures sociales, nos cultures dictent la manière dont elle tend à se manifester (Craig & MacKenzie, 2021). Pour certains, la douleur sera d’un silence assourdissant, pour d’autres, elle suscitera des pleurs. Par conséquent, le soignant a cette tâche laborieuse de s’y retrouver. Le danger est qu’il devient facile de se concentrer sur une manifestation verbale de douleur, surtout lorsqu’elle se présente à répétition, en oubliant qu’elle peut être muette. D’une certaine manière, le contexte social et l’historique individuel influencent les manifestations de la douleur. Dès lors, il n’est pas suffisant de constater une plainte de douleur; l’évaluation du contexte social et de déterminants sociaux s’entrelacent dans le contact avec la patientèle pour la prendre en charge (Craig & MacKenzie, 2021). De par ses multiples visages, est-elle perçue de la même façon par tous ? La société ne semble pas considérer la douleur chez tous et chacun également. Tel qu’évoqué précédemment, nous nous fions énormément aux habiletés verbales pour l'identifier. Comment s’y retrouver lorsqu’une personne n’a pas la capacité d’exprimer sa douleur avec des mots? (Audet & Turgeon, 2001) On se fie aveuglément à cela en ignorant de voir le patient dans sa globalité, en esquivant d’autres moyens pour réellement comprendre la douleur vécue. En outre, certains définissent à tort que la douleur chez la personne âgée doit être vue comme normale, routinière (Achterberg, 2019; Godrie & Dos Santos, 2017). Ce manque de considération menace de ne pas offrir des traitements adéquats à ces patients. Dans le même ordre d’idées, nous pouvons aussi évoquer le fait qu’encore aujourd’hui, dans certains milieux, plusieurs personnes noires n'obtiennent pas non plus des soins appropriés pour leur douleur (Chapman et al, 2013). L’existence d’un balancier de considération de la douleur est réelle. L’appartenance à certains groupes semble conditionner les soins reçus. 

Cela passera…De même qu’il est difficile de la définir, s’en débarrasser n’est pas si simple. On tend à oublier, par exemple, la probabilité de l’établissement de sa chronicité chez le patient. Ainsi, la solution à la douleur n’est point unique, elle aussi est multiface. Le premier indice pour la décrypter est le patient lui-même. Traiter n’est pas suffisant, il est question de soulager la douleur. Les soignants sont bien souvent formés à opter pour la première option (Saint-Arnaud, 2005). La prescription n’empêche pas aux patients de se représenter avec le même souci. Afin d’y parvenir, il faut saisir l’individu dans son entièreté, tendre l’oreille au prochain. Elle finit par impacter tant la personne qui la soulage, que celle qui la vie. Autrement dit, on ne connaît que trop bien les échos de ces cris, de ces appels sur nos vies. 

Références: 

Achterberg, W. P. (2019). How can the quality of life of older patients living with chronic pain be improved? Pain Management, 9(5), 431‑433. https://doi.org/10.2217/pmt-2019-0023 

Chapman, E. N., Kaatz, A., & Carnes, M. (2013). Physicians and implicit bias: how doctors may unwittingly perpetuate health care disparities. Journal of general internal medicine, 28(11), 1504–1510. https://doi.org/10.1007/s11606-013-2441-1 

Craig, K. D., & MacKenzie, N. E. (2021). What is pain: Are cognitive and social features core components?. Paediatric & neonatal pain, 3(3), 106–118. https://doi.org/10.1002/pne2.12046. 

Godrie, B., & Dos Santos, M. (2017). Présentation : Inégalités sociales, production des savoirs et de l’ignorance. Sociologie et sociétés, 49(1), 7‑31. https://doi.org/10.7202/1042804ar

Saint-Arnaud, J. (2005). De l’approche biomédicale à l’art du soin : Réflexions éthiques sur le soulagement de la douleur. Frontières, 17(2), 34‑41. https://doi.org/10.7202/1073487ar.