Le Pouls

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Combattre la stigmatisation dans les milieux de soins

par Kristine Ma

La stigmatisation est un processus qui implique l’étiquetage, le stéréotypage et la séparation de certains groupes sociaux qui mène à leur discrimination et leur vulnérabilité (Nyblade 2019). La stigmatisation dans les milieux de soins peut avoir des conséquences très concrètes. Le refus de soigner, fournir des soins inférieurs, la violence physique et verbale, faire attendre les gens plus longtemps ou transférer les soins à des collègues moins expérimentés n’en sont que quelques exemples. Il est donc important de trouver des stratégies efficaces pour diminuer la stigmatisation dans les milieux de soins. Pour trouver des stratégies efficaces, il faut d’abord comprendre que la stigmatisation se passe à plusieurs niveaux (intrapersonnel, interpersonnel et institutionnel) et qu’il y a certains facteurs identifiables qui contribuent à la stigmatisation.

La première étape consisterait à fournir de l’information aux travailleurs de la santé par rapport aux conditions stigmatisées, la stigmatisation en tant que tel, comment la reconnaître et son effet sur la santé. Il faut commencer par briser les mythes perpétués. Si nous prenons l’exemple de l’obésité, il peut être facile de blâmer le patient. On peut penser que ces individus n’ont pas la volonté de perdre du poids et qu’ils sont paresseux. Or, on sait aujourd’hui que l’obésité est une maladie complexe avec des influences génétiques et environnementaux. En étant plus informé, on est moins porté à faire des associations fausses et négatives. Pour continuer, la stigmatisation peut se faire d’une manière beaucoup plus subtile et inconsciente. Il est donc important d’augmenter la sensibilité par rapport au phénomène pour qu’on puisse outiller les travailleurs de la santé à faire de l’autoréflexion par rapport à la stigmatisation. Ce n’est qu’en étant conscient de la stigmatisation que l’on peut modifier notre comportement et offrir des meilleurs soins. Le véhicule de l’information peut prendre diverses formes, dont des conférences, l’intégration dans le cursus médical, des formations ou encore des rencontres avec des patients partenaires pour partager leur vécu. Des interventions interactives et avec un contact direct avec les individus stigmatisés ont démontré une plus grande efficacité car ils permettaient d’encourager l’empathie, d’humaniser les individus stigmatisés et de briser les stéréotypes.

Un bon exemple de stigmatisation implicite est le langage. C’est un des véhicules le plus important de la stigmatisation. Un autre moyen de lutter contre la stigmatisation serait donc d’être prudent dans la manière dont les travailleurs en santé s’adressent aux patients. Le fait de désigner quelqu’un comme schizophrénique au lieu d’une personne souffrant de la schizophrénie étiquette l’individu d’une manière négative. Le nom MERS (Middle East Respiratory Syndrome) est un autre exemple où le langage peut amener à la discrimination contre des personnes en provenance de certains pays. Des interventions possibles à ce niveau seraient d’avoir des discussions avec les individus stigmatisés ou le développement d’une checklist des faux-pas dans la communication.

Pour continuer, la crainte du danger des comportements des groupes discriminés et des infections est un autre facteur important contribuant à la stigmatisation dans les milieux de soins. On observe cela surtout avec le VIH, la tuberculose ou encore avec des populations avec lesquelles nous sommes moins habitués à travailler, telles que les personnes avec un trouble de l’usage de substance ou des personnes vivant dans l’itinérance. La meilleure façon d’effacer ses craintes est d’outiller les travailleurs de la santé pour qu’ils se sentent compétents et confortables face à ces situations-là. Des formations sur le port des équipements, la réduction des méfaits et les ressources disponibles pour aider les patients vivant dans la misère sociale ne sont que quelques exemples d’activités qui pourraient aider à diminuer la crainte et la stigmatisation secondairement.

 Les attitudes négatives envers les groupes stigmatisés peuvent comprendre la dévalorisation, le rejet et la déshumanisation. En conséquence, une autre stratégie importante pour diminuer la stigmatisation est de donner du pouvoir aux groupes stigmatisés et de valoriser leurs opinions. Cela peut se faire au niveau individuel en travaillant en partenariat avec les patients. Il ne faut pas oublier que c’est l’individu qu’on traite et non la maladie. Il faut donc inclure le patient dans les décisions au lieu d’adopter une approche paternaliste.  Si on prend l’exemple d’une personne souffrant d’une maladie mentale, il ne faut pas assumer d’emblée qu’ils ne peuvent pas prendre des bonnes décisions concernant leur soins.  À un niveau plus institutionnel, des projets pour impliquer les individus victimes dans les campagnes contre la stigmatisation sont un autre moyen de leur donner du pouvoir.

À un niveau structurel, les institutions de santé peuvent faire des modifications dans leur environnement physique et dans leurs politiques de travail pour contribuer à la lutte contre la stigmatisation. Par exemple, on pourrait penser à construire des salles de bain à genre neutre dans les hôpitaux pour rendre l’environnement plus inclusif. Au niveau des politiques institutionnels, on pourrait rendre obligatoire les formations sur la stigmatisation pour les travailleurs de la santé après leur embauche. Pour renforcer ces politiques, les institutions peuvent encourager de dénoncer les comportements stigmatisants et peuvent mettre en place des conséquences lorsque les politiques antidiscriminatoires ne sont pas respectées. Chaque institution pourrait aussi se doter d’un comité pour faire une révision de politiques qui pourraient contribuer à la stigmatisation.

La restructuration des institutions dans la lutte contre la stigmatisation peut aussi signifier une redistribution des ressources. Effectivement, lorsqu’on ne priorise pas une condition, cela envoie un message que ces problèmes ne sont pas importants pour la société. Lors d’une enquête canadienne publiée en 2020, ils ont trouvé que la santé mentale et les troubles de l’usage de substances étaient sous-financés (Livingston 2020). D’autres moyens plus indirects existent également. Fournir des matériaux cliniques pour la réduction de méfaits peut contribuer à rendre les milieux de soins de santé plus accueillants pour les populations stigmatisées. Par exemple, en distribuant du Naloxone, on espère faire comprendre aux utilisateurs de drogues injectables qu’ils sont aussi des patients importants et qu’ils sont les bienvenus pour obtenir des services dans les milieux de soins.

Pour conclure, afin de combattre la stigmatisation, il faudra que les efforts contre la stigmatisation soient soutenus. Dans une revue d’interventions visant à augmenter l’alphabétisation par rapport à la santé mentale, plusieurs études ont démontré une baisse des résultats lorsque les campagnes n’étaient pas aussi actives. On pourrait croire la même chose dans la lutte contre la stigmatisation. Il est important de garder en tête les facteurs contribuant à la stigmatisation (la peur, la manque de conscience, les attitudes négatifs, des lacunes au niveau de la formation du personnel, etc.) et les niveaux auxquels on peut agir. Je crois que communiquer de l’information juste, faire attention au langage, mieux outiller les travailleurs de la santé, valoriser les individus stigmatisés et, surtout, des interventions structurelles sont des stratégies clés pour réduire la stigmatisation dans les milieux de soins.