Le Pouls

View Original

Histoire d'une aide de service en début de pandémie

J’étais chez moi, comme les autres étudiants, à cause du confinement. On dirait que j’étais un peu «déconnectée» de ce qui se passait dans les CHSLD. Après plusieurs jours d’hésitation, j’ai décidé de m’impliquer après avoir reçu un courriel de la Faculté. J’ai donc commencé il y a trois semaines [témoignage recueilli le 11 mai], et je ne travaille que les fins de semaine.

Quand je suis arrivée au CHSLD, c’était la «panique». Il manquait de préposés, la moitié ayant attrapé la COVID. Ça faisait longtemps que plusieurs patients n’avaient pas été lavés. Ils m’ont alors lancée dans le rôle de préposé, même si je n’étais techniquement qu’aide de service, parce qu’il y avait tellement de travail à faire. En plus, j’étais sur un étage dit «tiède». C’était donc difficile de savoir quels résidents avaient la COVID et lesquels ne l’avaient pas :  certains n’avaient pas beaucoup de symptômes, d’autres étaient en isolement préventif…

La fin de semaine suivante, je ne courais plus partout, surprenamment… L’allègement s’expliquait parce que, malheureusement, près de la moitié des résidents de l’étage étaient décédés. En une semaine seulement. Ça m’a fait un gros choc. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment réalisé que c’était dangereux, que ce n’était pas juste «une petite grippe». 

[Est-ce que tu avais peur pour toi?] 

Non, je n’avais pas peur pour ma santé, on ne pense pas à ça quand on est dans le feu de l’action. 

Plusieurs résidents n’ont pas tant peur non plus, mais je crois que plusieurs d’entre eux n’arrivent pas à comprendre la situation actuelle. Certains se promènent encore et vont dans les chambres de patients ayant la COVID, sans vraiment s’en rendre compte.

Mais, à l’autre extrême, il y en a aussi qui sont vraiment stressés. Par exemple, je devais aller parler à une infirmière à propos d’un résident. Souvent, dans le CHSLD, on n’est jamais à deux mètres de distance, car tout est petit et il faut souvent se rapprocher pour changer, laver ou déplacer les résidents. Je me suis donc avancée pour lui parler, un peu trop, à moins de deux mètres. Malgré qu’on avait les deux notre ÉPI, elle n’a vraiment pas aimé ça et s’est choquée. Elle n’a même pas écouté ce que je voulais lui dire à propos de l’état de santé du résident. Je pense que c’était vraiment son stress qui parlait. 

L’arrivée des militaires à ce moment nous a aussi donné un peu de répit. Ça a vraiment réglé le problème du manque de personnel, puisque les soldats font le même travail qu’un aide de service ou un PAB. 

La première fois que je les ai vus, c’était un peu intimidant. Ils se connaissaient tous et étaient vraiment comme une grande «gang» d’amis. Mais, j’ai fini par les connaître et j’ai beaucoup travaillé avec eux. Je les ai trouvés tous vraiment gentils. Ce qui m’impressionne chez eux, c’est qu’ils savent toujours quoi faire, qu’elle est leur prochaine action. Ils se trouvent du travail à faire même quand ils n’en ont plus! J’ai l’impression que quand ils vont devoir partir, le problème de personnel va revenir…

D’ailleurs, j’ai une histoire cocasse de jaquettes! En fait, il fait vraiment chaud en CHSLD. C’est petit et il n’y a pas d’air climatisé. En plus, plusieurs jaquettes de protection ressemblent à des sacs de poubelle! C’est tellement chaud qu’on peut voir des gouttes perler le long de nos jaquettes quand on les porte. Il y avait donc un type spécifique de jaquettes qui était moins chaud, mais tout le monde les voulait et elles sont tombées en rupture de stock. Étant amie avec les militaires, qui ont leur propre stock d’EPI, ils ont pu me ramener en cachette des fameuses jaquettes moins chaudes!  C’est niaiseux, mais juste ça, quand tu passes 8h à travailler à 40ºC, ça fait ta journée!

Cette fin de semaine, il y a des préposés habitués qui sont revenus de leur quarantaine après avoir attrapé la COVID. Ça me rassure de voir des gens qui s’en sont sortis. Il y a aussi de plus en plus de résidents qui commencent à avoir deux tests négatifs. On voit la lumière au bout du tunnel. 

- Témoignage (paraphrasé) et mis au « je » pour le style

- Image de couverture : CHSLD Benjamin-Victor-Rousselot , photo prise par Doug Bull, https://www.flickr.com/photos/caribb/46136642744/in/photostream/, Licence Creative Commons.