Symptômes (B)onheur [Texte coup de coeur]
Rire jusqu’à quasiment rouler à terre, à avoir mal aux abdos que je n’ai pas, à pleurer au point de morver, à devoir me trouver un petit kleenex rapidement parce qu’une rhinorrhée qui s’accumule derrière un masque, c’est loin d’être recommandé, sanitaire et agréable.
Monter les escaliers de l’hôpital avec des grandes enjambées, sur le bord d’être en détresse respiratoire parce que c’est quasi impossible de respirer comme du monde avec un masque, que ma sudation devient si intense que mes lunettes de protection commencent à buer, mais que je dois dissimuler ma dyspnée et ma tachypnée, parce qu’il faut bien incarner des jeunes externes en santé, pleins d’énergie et de volonté.
Utiliser des mots comme « céphalées », « asthénie » et « myalgie » quand mes amis hors-médecine me demandent comment je vais, mais qu’en apercevant leur regard vide, je réalise que je dois sonner prétentieuse et je me reprends rapidement, parce que le jargon médical, ce n’est pas tout le monde qui comprend ça.
Réaliser que c’est ridicule de devoir qualifier mes amis de médecine ou de non-médecine parce que je les aime autant, mais aussi prendre conscience de la différence de relations que je partage avec eux.
Mes amis médecine, ceux qui comprennent mon horaire occupé et mon quotidien, qui franchissent et célèbrent les mêmes étapes importantes que moi au niveau académique, qui partagent mon dédain pour les APPs en Zoom, qui me soutiennent lorsque je ventile par rapport aux défis rencontrés lors de ma première semaine dans un nouveau stage, qui m’offrent des conseils réfléchis lorsque j’ai l’impression d’être la seule qui peine à flotter dans une mer de responsabilités et d’incertitude, qui partagent mon bonheur lorsque je leur raconte des moments touchants de mes stages.
Mes amis non-médecine, avec qui je peux échanger sur tous les sujets du monde, qui ont constamment quelque chose à m’apprendre sur leurs propres domaines d’expertise ou leurs passions, qui me permettent de me déconnecter de mon statut d’étudiante en médecine, qui me poussent à sortir de ma zone de confort et à développer des facettes autres de ma personnalité, qui m’encouragent à m’épanouir en tant qu’individu, qui interpellent mon désir de devenir une citoyenne plus ouverte d’esprit, consciencieuse et équilibrée.
Ma famille qui endure la tannante que je suis depuis bientôt 25 ans, qui connait profondément autant mes plus belles qualités que mes pires défauts, qui m’encourage dans tous les projets que j’entreprends tant que ça me rend heureuse, qui me fait sentir écoutée, valorisée et importante lorsque je traverse des moments plus difficiles, qui m’aime de façon inconditionnelle.
Les gens que je côtoie, que ce soit de proche ou de loin. Un ami d’un ami qui me demande en quoi j’étudie et qui présume que ça implique que je dois être « ben intelligente, pas mal studieuse, pi pas vraiment avoir de vie. » Un inconnu qui assume que j’entreprends ces études en quête de prestige, d’argent, de luxe et de reconnaissance sociale. Des professeurs qui m’inspirent par leur humilité, leur éventail de connaissances, leur capacité d’aborder des sujets délicats avec leurs patients, leur volonté de nous transmettre des apprentissages de qualité ainsi que des conseils variés pour nous permettre d’être heureux autant dans notre pratique que notre vie personnelle.
C’est impossible de parler de ma vie en médecine sans souligner tous les gens qui m’entourent. Du moins, c’est ce que j’essaie de justifier en ce moment. Cependant, je me demande sincèrement si ce n’est qu’une façon d’éviter d’aborder trop ouvertement mes sentiments à ce sujet. Que je me cache derrière toutes ces interminables explications sur ce que les autres m’apportent. Parce que c’est difficile parler de soi-même.
« Comment te décrirais-tu? »
Une question d’entrevue pour que les employeurs nous découvrent plus personnellement, une question philosophique aux petites heures du matin autour d’un feu de camp, une question pour briser la glace à une première date.
La réalité, c’est qu’en écrivant ces mots, je n’ai aucune idée de ce qui va sortir. J’espère que mes doigts qui pianotent mon clavier sauront créer une mélodie à partir des notes que je n’ai même pas encore identifiées. C’est ainsi que je laisse ma réflexion s’envoler à l’aventure.
Je ne cacherai pas que je m’efforce à m’écrire parce que c’est une façon de laisser mes émotions couler naturellement. C’est rare que je prends le temps de trouver le mot exact qui permet de capturer la précision de mes sentiments quand je discute avec autrui. Toutefois, cela fait quelques mois que j’essaie ce nouvel exercice de rédaction pour mieux me connaitre et me comprendre. Pour essayer de faire le point sur ce qui me dérange, ce qui me préoccupe, ce qui me tient à coeur. Pour ainsi mieux me définir la prochaine fois qu’on me demande de m’introduire. En début de chaque stage, c’est bien normal de sortir la cassette : « Salut, Je m’appelle Catherine, je suis externe 1. J’ai fait un bac en Études internationales avant de rentrer en médecine. »
Toutefois, c’est en faisant cet exercice que je confirme que je ne veux pas être définie uniquement par des mesures objectives. Je ne veux pas que mon identité se limite à mon domaine d’éducation. Mon sexe. Mon genre. Mon identité culturelle. Mon appartenance sociale. Ma profession. Mes intérêts. Je suis plus qu’une simple combinaison de toutes ces mesures.
Ce jour, je choisis de me définir comme une personne qui est constamment à la recherche de petits plaisirs dans la vie et qui profite de tout ce qu’elle a à m’offrir. Que ce soit la découverte d’une nouvelle saveur de crème glacée, l’apprentissage d’un diagnostic rare et méconnu, l’émerveillement devant la beauté d’un coucher de soleil ou la grandiosité d’un ciel étoilé, le privilège d’engager des discussions importantes avec des patients et leurs proches, les soirées karaoké entre amis ou le simple plaisir de dévorer un livre dans le confort de mon lit, je réussis à trouver ma petite source de bonheur.
La médecine en fait partie.
Merci à la vie.
Catherine Kim-Anh Nguyen, fan finie des fous rires