Le Pouls

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Silence complice

Par Nada Barakat

La fillette devient « jeune femme » en un souffle glacé,

Comme si la vérité, nue, devait être voilée.

Elle n’est plus l’enfant qu’on arrache au berceau,

Mais une ombre effacée, moins digne de nos maux.

« Jeune femme», son petit corps criblé, transpercé de centaines de balles,

Son visage méconnaissable, livide, pâle.

Son sang éclabousse les murs, éclate en silence,

Mais on détourne le regard, on adoucit la violence.

« Jeune femme », les médias l'enrobent de mots anesthésiants,

Comme si sa vie s’effaçait dans le vent.

On cache ses membres brisés, ses os fracassés, On étouffe l’image de ce corps lacéré.

Six ans. Six ans seulement, et on disait « jeune femme. »

Comme si quelques mots pouvaient travestir l’innocence.

La vérité rougit, mais eux, ils blanchissent,

Les récits polis cachent les plaies et les supplices.

Ils étranglent le mot « assassinat » dans le silence,

Habillent l’atrocité d’un voile de transparence.

D’un murmure feutré, ils parlent d’une « vie ôtée »,

Comme si le sang d’une enfant pouvait s’évaporer.

Ils occultent le visage du bourreau, effacent la main coupable,

Laissant l’innocence brisée sous des mots confortables.

Le crime se dissout dans un murmure aseptisé,

Comme si leur silence pouvait effacer la cruauté.

Aurait-elle eu droit à un élan,

À un chœur de chagrin, si son teint avait été d’argent?

Si son visage avait porté les traits familiers de ce pays,

Ce silence aurait-il trouvé tant de raisons de se taire ainsi?

Certains récits s’écrivent avec des encres plus tendres,

Mais pour elle, les mots se figent, glacés et cendres.

Elle n’est qu’une ombre perdue dans un regard aveuglé,

Un murmure effacé, étranger, dissout, oublié.

Dans l'ombre, des enfants brûlent, leurs cris s’éteignent,

Sous un ciel indifférent qui jamais ne saigne.

Leurs corps minuscules, frappés par feu et acier,

Jonchent dans la cendre, silencieux, oubliés.

« Aidez-nous », suppliaient-ils, leurs voix fendues de peur,

Mais le monde, implacable, étouffait leur clameur.

Dans les ruines, les femmes tombent, oubliées, étouffées,

Leurs vies réduites à des chiffres, à des traits effacés.

Elles marchaient hier encore, des rêves plein les yeux,

Elles aimaient, elles criaient, elles étaient deux, elles étaient mille.

« Aidez-nous », imploraient-elles, leurs voix noyées dans le silence,

Mais le monde, impassible, s'enveloppait d'insouciance.

La violence les a trouvées dans l’indifférence cruelle,

Les droits humains, hurlés dans des langues étrangères,

S’effacent dans un silence qui nous protège, nous éclaire,

Où l’horreur n’est qu’une rumeur, distante et artificielle.

Les médias trahissent, nous trompent et nous mentent,

Nous livrent des récits sans âme, des vérités absentes.

Ils ne sont plus veilleurs, mais faiseurs de torpeur,

Prétendus gardiens de vérité, oh, illusion brisée.

Ils nous guident vers l'oubli, vers l'inconscience ancrée.

Sous leurs mots habiles, les faits se dérobent,

Et l'écho de l'injustice doucement se dérobe.

Dans ce théâtre de faux-semblants où tout se confond,

La vérité vacille, et nos voix s'effondrent.

Chaque enfant brûlé, chaque femme anonyme,

Se perd dans le tourbillon des récits infimes.

Des vies volées, des corps sans sépulture,

Ne sont plus que des notes de bas de page dans notre littérature.

Ce n’est plus qu’une question de chiffres, de statistiques,

La brutalité des jours réduite en syntagmes pratiques.

Ils nous privent de la possibilité de pleurer,

De comprendre, de lutter, de faire face à l’atrocité,

Car montrer la vérité telle qu’elle est serait briser

Le doux sommeil d’un monde qui préfère ignorer.

Ils meurent loin de nos yeux, sous des cieux oubliés,

Leurs vies comptées pour rien, balayées sans pitié.

Leurs droits humains se fanent dans des mots indifférents,

Des droits d’étrangers, pour nous moins brûlants, moins saignants.

Leurs souffrances, reléguées aux marges d'un récit sans cœur,

Sont des vies sacrifiées sur l'autel de notre confort, de notre lueur.

On ferme les yeux, on s'enrobe d'ignorance tranquille,

Leurs existences ne valent rien, si ce n’est de rester dociles.

Ces vies massacrées, à qui on refuse même une prière,

Sont des chiffres lointains, des ombres sans lumière.

On éteint leur douleur d’un geste calculé,

Car seuls importent ceux qu'on juge « dignes » d’être pleurés.

Mais à quel prix se paie ce silence feutré ?

À quel prix vendent-ils nos âmes endormies ?

Chaque vérité oubliée, chaque injustice voilée,

Fait de nous des complices d’un monde tronqué.

Ils sont là, leurs voix brisées par des flammes impitoyables,

Des yeux éteints fixant un monde qui les a trahis.

Ils n’ont plus de noms, plus de voix, plus d’espoir,

Car les mots des médias les ont laissés mourir sans mémoire.

Ils sont des cendres sur le sol, des corps ensevelis,

Des vies fauchées par le mépris des récits.

Des souffrances diluées, lissées, éclipsées,

Dans la grande mascarade de l’information biaisée.

Vous qui vous dites défenseurs de la paix, de la vérité,

Que faites-vous des droits humains que vous brandissez avec fierté ?

Vous proclamez justice, compassion, et amour,

Mais ne voyez-vous pas que vos mots fanent à la lumière du jour ?

Vous, hypocrites éclairés, drapés de vertus morales,

Pourquoi détournez-vous les yeux quand la réalité vous fait mal ?

Que valent vos discours lisses, vos promesses creuses ?

Sont-ils autre chose qu’un simulacre, des valeurs pieuses ?

Vous vous drapez dans l'illusion d'un monde plus juste,

Mais n’entendez-vous pas le grincement de la rouille dans vos silences complices ?

Vos principes éclatent dès que l’image se fissure,

Et votre soutien s’évapore quand l’horreur devient trop pure.

Car défendre la vérité, c’est affronter l’abîme,

C’est avoir le courage de nommer les victimes, de dénoncer les crimes.

Pourquoi choisissez-vous le confort d’une vertu sans heurt ?

Est-ce que vous aimez la justice seulement quand elle ne trouble pas vos cœurs ?

Alors, dites-moi, jusqu’où étirerez-vous vos silences ?

Combien de vérités enterrerez-vous pour sauver vos apparences ?

À force de détourner le regard et fuir l’injustice,

Ne craignez-vous pas de vous noyer dans vos propres artifices ?

Car l’histoire n’oublie ni les mots, ni les silences feints,

Elle retiendra vos choix, vos omissions, vos refrains.

Et quand viendra l’heure de la vérité dévoilée,

Qui vous croira encore, vous qui avez choisi de la piétiner ?