Popping pills every day / Faire de la drogue tous les jours
par Gabrielle Denault
À prendre avec un grain sel et beaucoup d'ADH
Comme vous le savez probablement, nombreux étudiants en médecine font l'usage de psychostimulants. Moi la première. En vérité, je suis probablement une des pires junkies de la Faculté. Tous les jours sans faute, je ne manque pas une dose (sauf quand j'en oublie une).
Selon mes observations non-randomisées à double insu, on peut distinguer certains junkies modèles de ceux effectuant leurs examens dans un local dit adapté (soit le Z-300, affectueusement baptisé le Z-triso). Ceux-ci ont une caractéristique particulière: ils étaient sans aucun doute doués au secondaire. Ou du moins, pas trop mauvais. Passer leurs cours n'a probablement pas été un problème pour eux.
Mon TDAH dyslexique et moi aimerions remercier la drogue et les compagnies pharmaceutiques. Je ne pense pas que j'aurais passé mon secondaire sans elles, ou du moins, ça n'aurait été aussi agréable. Honnêtement, la drogue, la drogue, ce n’est pas une raison pour se faire mal, mais entre nous, ça change une vie.
Mais toi, étudiant brillant la majorité du temps, pourquoi en prends-tu? Si tu t'es rendu ici vierge de psychostimulants, il me semble hallucinant que tu ressentes le besoin d'en prendre (j'hallucine peut-être aussi, tsé c'est peut-être un effet secondaire des amphétamines. À demander à la pharmacienne dans mon groupe d’APP).
Je t'explique.
De prime abord, lorsqu'une une personne avec des fonctions exécutives du tonnerre comme toi consomme ces sympathicomimétiques-pas-très-sympathiques, ça me désole car je me demande parfois: est-ce que je devrais augmenter ma dose pour keep up avec toi en bon français? Évidemment, ça serait un peu impulsif et saugrenu comme solution : hausser ma dose ne ferait qu'exacerber mes traits d’Asperger, ma xérostomie et ma tachycardie. Et de toute façon, sais-tu à quel point j'aimerais mieux ne pas en prendre? Même si les bénéfices (soit pouvoir rester assis plus de 5 minutes calmement et étudier la maladie pour devenir ironiquement un professionnel de la santé) prévalent encore, il reste que ça te rend morose, étranger à toi-même et ta mère doit te rappeler de ne pas oublier de sourire. (Personnellement, je dirais que je suis née high et que la drogue me débuzze pour me permettre un minimum d'efficacité…Mais bon, je doute de la vraisemblance scientifique de mes propos). Loin de me plaindre (je plains plutôt ma mère), ce n'est pas le Choléra et j'ai la chance d'avoir accè$ à ma dope du Jean-Coutu (eh oui, c'est souvent cher = moins accessible aux populations vulnérables = moins accessible à ceux qui peuvent parfois être les plus enclins à bénéficier de cette médication).
Mais j'aimerais que tu saches que comme plusieurs enfants spéciaux, j’aimerais cesser le plus tôt possible cette cocaïne à longue demi-vie (ne t'inquiète pas pour mes futurs patients, je n'ai pas l'intention de devenir neurochirurgien, ça devrait être correct si je fais de quoi de bien stimulant qui me permet de courir dans les corridors de l’hôpital).
Mais je sais bien que, 3-4 jours avant ton examen, quand tu te prends un p’tit 20 mg de Concerta ou d‘Adderall XR piqué à ton ami, ton but n’est pas d'entretenir un sentiment de malaise auprès de tes compatriotes TDAhiens et dyslexiques.
Ainsi, voici mes conjectures (clairement pas très nuancées) sur tes motivations à pimper de temps en temps ta neurotransmission noradrénergique. Tu me diras ce que tu en penses / « en as-tu vraiment besoin »?
A. Manquerais-tu de confiance en toi?
B. L'organisation, ça ne va pas?
C. C'est la faute au système d'éducation.
D. Aucune de ces réponses!
A. Je ne suis pas psychiatre (donc je dis peut-être de la foutaise), mais si tu penses que les amphets fonctionnent vraiment pour toi, ce peut-il que tu manques de confiance en toi? Plusieurs études mettent en évidence que, si tu n’en as pas besoin, les psychostimulants n’amélioraient pas ta performance, mais plutôt la perception que tu as de celle-ci (par ex : https://doi.org/10.1016/j.addbeh.2016.07.016, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3489818/, abordé aussi dans le documentaire Take Your Pills).
B. Si tu manques d'organisation dans ton étude, parles-en à Gabrielle Landry, tu vas te sentir mieux après promis.
C. Si c'est la faute du système d'éducation? Tu te doutes peut-être que c'est malheureusement souvent faux qu'on tente d'adapter le milieu avant de débuter la médication chez les enfants avec des troubles d'apprentissage. Popping pills every day, c'est souvent plus facile que de changer ses habitudes de vie. Peut-être que beaucoup, avec ou sans diagnostic d'enfant-un-peu-prématuré-pas-capable-d'écouter, pourraient profiter d'une plus grande diversité de moyens d'apprentissage et d'éducation à la santé. Qui sait.
Sinon, il se peut que ça n’aille pas en ce moment. Ça arrive. Dans ce cas, je t'invite à ne pas garder ça pour toi. Il y a toujours le REEM, les pairs aidants, l’AÉÉMUM (ou Gab Landry). Étudier devrait être passionnant, pas angoissant.
Somme toute, étant donné la pléthore de raisons pour consommer, je ne pense pas que faire passer des tests détectant la prise de psychostimulants chez les étudiants en Médecine soit une façon appropriée d'approcher l'enjeu. Consomme si tu veux (la modération a bien meilleur goût bien sûr), tant que tu comprends un peu l'ironie pour tes amis du Z-Triso.
C’est une chance d’étudier la médecine. On est chanceux, ne l’oublions pas. De manière générale, nous n’avons certainement pas besoin de pousser davantage cette chance au détriment d’autrui.
D’ici là, je te souhaite d'en profiter avant que la planète brûle sous le feu du capitalisme. (Évidemment, il faudra changer la fin de ce texte, c'est un peu impulsif comme humour sociopolitique.)