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Pavillon Roger Gaudry : son histoire, sa tour et son futur

Par Catherine Mellon

Siège de la Faculté de médecine depuis 80 ans, le pavillon Roger Gaudry s’apprête à être délaissé par ses étudiants. C’est le temps de lui dire au revoir, et d’en apprendre un peu plus sur sa riche histoire… et les secrets de sa tour.

Mystérieux symbole

Sur le flanc nord du Mont Royal se dresse le pavillon Roger Gaudry, emblème de l'Université de Montréal et symbole du premier pôle intellectuel francophone à l'Ouest de Québec. Sa haute tour beige surplombant Côte-des-Neiges est visible jusqu'au loin et sait piquer la curiosité du public: plusieurs ont tenté d'y pénétrer, en vain. Il y a plusieurs hypothèses sur son contenu: le rectorat, les archives, des trésors précieux de l’Université de Montréal, et j’en passe. Faute de pouvoir y monter, j’ai passé au peigne fin l’Internet et discuté avec le personnel des Archives et de la bibliothèque afin de confirmer une fois pour toutes l’essence de cette tour et vous partager la riche histoire de notre quartier général. 

Le cerveau

Notre pavillon a été conçu par Ernest Cormier, ingénieur et architecte Montréalais. Diplômé de Polytechnique Montréal et deuxième Canadien-Français à avoir été admis à l'École des Beaux-Arts de Paris, son portfolio s'étend à bien plus que le Pavillon Principal. Il était notamment le concepteur de la maison Cormier (le logis familial des Trudeau), l’ancienne École des Beaux-Arts de Montréal, la Cour Suprême du Canada et il était un des dix architectes à avoir élaboré le siège de l'ONU à New York. À en regarder la décoration actuelle, il est dur d’imaginer que notre pavillon naquit de la plume d’un pionnier comme Cormier. Quel malheur que son génie n’ait pas été conservé en ce qui concerne l’aménagement intérieur. 

Le rêve et les cauchemars du Pavillon Principal

En 1923, l’Université de Montréal achète des terrains sur une ancienne mine de calcaire, après avoir envisagé de l’installer à l’emplacement actuel du Stade Olympique ou au Parc Lafontaine. Le choix fut influencé par la mode des campus américains de l’époque: loin du brouhaha de la ville et dans un endroit aéré. L’année suivante, le mandat du Pavillon Principal est octroyé à Ernest Cormier, sans appel d’offre. Puis, c’est en 1928 que débute le chantier, alors le plus important de l’Île de Montréal. Le gigantesque édifice devait avoir plusieurs vocations à l’origine. On voulait y établir un hôpital universitaire de 500 lits (l’équivalent approximatif de l’Hôpital Sacré-Cœur aujourd’hui), héberger 6 000 étudiants, tout en y accueillant toutes les facultés de l’Université. 

Malheureusement, le tout est tombé à l’eau en 1931: après 3 ans de construction, la Grande Dépression a eu raison des finances de l’Université et a forcé une cessation des activités. Pendant près de 10 ans, la complétion du pavillon inachevé fut remise en question. Entre-temps, pendant la Seconde Guerre Mondiale, son squelette fut utilisé comme site d'entraînement pour l'armée. De plus, son aile Ouest a été le seul site à l’extérieur des États-Unis à avoir contribué au Projet Manhattan, portant sur l’énergie nucléaire et la bombe atomique. 

Renaître de ses cendres, en toute beauté

Grâce au financement accordé par le Gouvernement et plusieurs mécènes Montréalais et étrangers, la construction reprit en juillet 1941. Ses éléments, comme la structure exposée, le béton armé, les proportions utilisées et la mise en valeur de la lumière le rendirent un des premiers bâtiments d’architecture moderne au Québec. Contrastant avec l’utilitaire brique chamois, habituellement réservée aux bâtiments institutionnels québécois, le marbre a aussi joué un rôle important dans ce projet emblématique du mouvement Art déco: des colonnes massives furent érigées dans le hall d’honneur, l’amphithéâtre et, anciennement, dans la bibliothèque de la santé. 

En 1942, l’Université de Montréal déménage enfin de la rue Saint-Denis au Mont-Royal. En 1943, la construction est terminée: l’élite universitaire francophone a maintenant son propre domaine. Avec 10.5 km de couloirs, 2 500 portes, 5 millions de briques, près de 4 000 fenêtres et sa tour de 80 mètres de hauteur, le nouveau centre de l’Université n’a rien à envier à ceux des rivaux installés du côté opposé du Mont-Royal.

La tour

Malheureusement, la tour n’a jamais eu la vocation officielle d’y accueillir le public même si Cormier souhaitait construire un observatoire à son sommet. Cependant, le projet d’observatoire dans le dôme a dû être abandonné, faute de fonds. Il en est de même pour le projet hospitalier qui fut reporté maintes fois avant d’être délaissé définitivement en 1965. 

Contrairement à la légende, la tour ne renferme ni le rectorat ni de précieuses archives, comme le livre d’Or signé par la Reine Elizabeth ou des fleurs séchées par le père Marie-Victorin lui-même. Dans les faits, la tour est partagée par les Archives et la Bibliothèque. Aux étages 12, 14 et 18, on y trouve des vieux livres de la bibliothèque de la santé ainsi que des copies de toutes les thèses et mémoires papier écrites à l'Université de Montréal. Personne n’y travaille à temps plein, on y monte pour aller chercher certains documents au besoin. On m’a dit que la circulation d’air et les difficultés d’en sortir en cas d’urgence rendraient l’utilisation fréquente difficile. En raison de la vétusté de la tour et des assurances, une équipe d'une dizaine de personnes travaille à temps plein sur la numérisation des documents classés dans la tour, pour éventuellement parvenir à la vider. 

Comment s’y rendre ?

Même en demandant gentiment, je n’ai pas eu de réponse à cette question. Au contraire, on m’a dit que les directions pour y entrer étaient “ des informations qu’on ne divulgue pas et que l’on n’a pas intérêt à divulguer”. Dommage. Question d’éviter les intrus, plusieurs ascenseurs différents sont impliqués, il y a plusieurs clés à tourner et l’accord préalable des agents de sécurité est nécessaire pour y accéder. Son accès est aussi restreint pour quelques raisons: les assurances font pression pour vider la tour, qui a été victime de quelques dégâts d’eau dommageables et les assurances ne veulent pas que n’importe qui s’y promène. Il n’est donc pas question d’amiante dangereuse ou de précieux trésors qu’on souhaite protéger de mains malveillantes. 

Les archives et ses trésors

Certes, tous les documents historiques de notre université ont une valeur considérable et devraient être protégés, mais les items les plus précieux ne sont plus conservés dans la tour. On y garde plutôt des médias anciens, des inscriptions, des dossiers, des budgets, bref, de la paperasse de l’Université encore utilisée dans des travaux de chercheurs et professeurs. Entre 2011 et 2013, on y évalua 10 383 boîtes avant d’y faire des rénovations. Pour vous donner une idée, c’est le contenu de 46 camions, ou 2 km linéaires d’archives textuelles. 

L’Herbier Marie-Victorin et le Livre d’or, signé par pratiquement tous les visiteurs importants entre 1920 et 1970, n’y sont plus. Quand j’en ai parlé avec Mme Éléonore Aubut Robitaille, Archiviste à l’Université, elle m’a gentiment offert de sortir ledit Livre d’or du coffre-fort sécurisé et résistant au feu, situé aux bureaux des Archives. J’ai donc eu le privilège de voir de mes propres yeux les signatures de leurs Altesses Royales, d’Ernest Cormier, Roger Gaudry (premier recteur laïc de l’Université de Montréal), Édouard-Montpetit, Jean Brillant et bien d’autres. J’ai aussi pu zieuter l’ancien budget de la faculté de Médecine. Saviez-vous qu’en 1925, pour 10$, vous pouviez acheter un cerveau ? Et pour 50$, un bel ensemble de foie, rate, reins et pancréas. 

Le futur du Roger Gaudry

Comme vous le savez, la Faculté de médecine déménage ses activités académiques à Place Dupuis, notre nouveau pavillon au centre-ville. Selon mes sources, nous y serons locataires pendant au moins 5 ans, le temps de potentiellement trouver un nouveau pavillon dans le secteur du Vieux Port. Certaines rumeurs mentionnaient que l’Université de Montréal songeait à acquérir l’ancien Hôtel Dieu de Montréal, proche du Parc du Mont-Royal. Bien sûr, ces informations n’ont pas été confirmées officiellement, ce ne sont que les ragots que j’ai récoltés. 

En ce qui concerne le Roger Gaudry, il sera en travaux pour les prochaines années, le temps de lui refaire une beauté. On estime que 40 000 m², soit l’équivalent de six terrains de football, seront rénovés, pour la modique somme de 390 000 000 $, potentiellement achevés en 2026. L’Université cherche à obtenir une certification LEED et y déménager le Secrétariat Général, la Division des Affaires Juridiques et le bureau des communications et relations publiques. Pour les étudiants, l’objectif est de rendre l’espace plus convivial, avec des espaces de vie plus intéressants et rassembler toutes les écoles de la Faculté de Médecine. On essaie d’y rapatrier l’École de Réadaptation, l’École d’orthophonie et d’audiologie, la Faculté de Médecine et les bureaux administratifs. Comme tout projet de la dernière décennie, on misera sur le décloisonnement de l’espace et la mise en valeur de la lumière naturelle. 

Bien que nous ne connaissions pas encore l’avenir du pavillon Roger Gaudry, son héritage et son histoire resteront gravés dans la mémoire collective de l’Université de Montréal. Il est temps de lui dire au revoir, tout en espérant qu’il deviendra un lieu semant la fierté dans le cœur de ses étudiants, employés et gradués. 

Remerciements

J’aimerais remercier infiniment Madame Éléonore Aubut-Robitaille et l’équipe de la DAGI, qui ont contribué à la section archives de cet article. Je souhaite aussi remercier Madame Nancy Primeau d’avoir contribué à la section bibliothèque de cet article.


source de l’image: UdeMNouvelles