Le Pouls

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Optimisme démesuré

par Félicia Harvey

Depuis que j’ai déménagé à Montréal, j’ai droit au titre de « fille de ville » lorsque je reviens chez moi à Chicoutimi. Comble du bonheur pour ceux qui croient que je vis sur une autre planète : j’habite à Outremont et j’étudie en médecine ! Quand je donne mon opinion sur un sujet politique autour de la table, mes ainés m’accusent d’être trop optimiste en raison de ma jeunesse. Suis-je réellement trop confiante en l’avenir ? Ou mes interlocuteurs sont-ils dans l’erreur ?

Mat Napo | Unsplash

 

Les désaccords atteignent un paroxysme quand j’affirme que des actions individuelles peuvent faire une différence. Certes, les interventions collectives soutenues par un gouvernement ont des impacts plus considérables. Cela veut-il dire que nos gestes individuels soient inutiles ? Ces remarques m’amènent à réfléchir à la place qu’il reste dans le monde politique pour les jeunes adultes et à la meilleure manière de prendre cette position afin d’obtenir la même considération que nos ainés.  

 

Voter ? À quoi bon

Qui plus est, l’idée que les jeunes sont trop optimistes ne possède-t-elle pas le pouvoir de nous décourager de participer à la vie politique ? Les ainés véhiculent un sentiment d’impuissance qui s’ajoute ainsi aux nombreux défis auxquels fait face la jeunesse qui s’implique. Sous prétexte qu’ils ont plus d’expérience, des adultes plus âgés se permettent de traiter les jeunes de wokes, d’idéalistes et d’inconscients. Même si cela en motive certains en leur offrant une occasion de contredire leurs ainés, cela peut aussi en décourager d’autres de s’engager en politique. Je me permets de rappeler à quelques-uns que l’expérience n’est pas toujours gage de sagesse. Ces mêmes personnes qui se jugent plus compétentes ou avisées pourraient être surprises si elles restaient ouvertes à l’apport des jeunes en politique.

Un autre écueil fréquemment abordé lors d’élection est le sentiment de la jeunesse de ne pas être écoutée par les gouvernements. En raison de notre poids démographique plus faible que celui des autres strates d’âge, les programmes électoraux sont généralement plus alignés sur les enjeux qui concernent les personnes plus âgées.Nous ne sommes pas impuissants face à cet état des choses. Même si nous ne pouvons pas inverser la pyramide démographique de la majorité des sociétés occidentales, nous pouvons augmenter notre poids politique en votant davantage. En effet, les 18 à 24 ans ont le plus bas taux de participation aux élections (1). Si nous voulons être écoutés, nous devons montrer notre intérêt pour la vie politique et notre désir de s’impliquer. Les jeunes adultes qui n’exercent pas leur droit de vote en affirmant que c’est inutile, car les structures gouvernementales sont dépassées ou démodées, ne font pas avancer les choses. Sans prétendre que le système est parfait, s’en exclure ne permettra certainement pas que nos préoccupations deviennent le cœur des débats.

Jeunes contre jeunes

Parfois, des jeunes agissent aussi contre les intérêts de leur génération. À l’instar des mouvements de solidarité féminine incitant les filles à se soutenir plutôt qu’à se rabaisser entre elles, les jeunes qui s’impliquent en politique devraient être encouragés par leurs pairs. En cheminant dans mon parcours académique, je constate que l’intérêt pour la politique au sein de mes camarades s’accroît. Cela me réjouit, car je trouvais désolant qu’au secondaire, ceux qui affichaient un appétit pour l’activisme politique étaient parfois tournés en dérision. La politique, ce n’était pas cool. Nous pouvons influencer cette perception en stimulant l’intérêt politique des adolescents le plus tôt possible, en organisant différentes activités comme des rencontres avec des élus et des acteurs de ce milieu ou des séances d’informations pour les sensibiliser à différents enjeux de société. Ainsi, ils prendraient conscience des impacts directs et indirects que les décisions politiques ont sur leur quotidien présent et futur. Notre société a tout à gagner à avoir des jeunes prêts à la vie civique. Ainsi informés, les jeunes seraient davantage portés à exercer leur droit de vote de manière éclairée à leur majorité. 

Vision tunnel

Je remarque régulièrement des jeunes qui prennent un ou deux enjeux à cœur et en font leur cheval de bataille. En adoptant des causes comme l’environnement, la diversité, la santé mentale, la communauté LGBTQ+, le féminisme ou les droits des populations vulnérables, ils sont prêts à prendre position publiquement, manifester, boycotter des produits, signer des pétitions, organiser des groupes d’intérêt, etc. Cette forte mobilisation personnelle ou collective est tout à leur honneur. Par contre, si les jeunes aspirent à être pris au sérieux, ils ne devraient pas présenter une vision tunnel de la société, mais montrer une compréhension adéquate de la complexité de la société et de ses multiples enjeux. De cette manière, nous éviterions peut-être la critique des groupes plus âgés qui déplorent une vision utopique ou irréaliste du fonctionnement de la société. Question de diminuer les divergences pour mieux travailler ensemble. 

Or, ces causes précises qui mobilisent une grande partie de la jeunesse comportent aussi des conséquences positives. Elles permettent à plusieurs de faire leur entrée dans le monde de la politique. Des jeunes convainquent leurs pairs à s’engager dans le mouvement de contestation d’une de ces causes. Ils sèment ainsi la graine nécessaire pour faire fleurir leur intérêt sur plusieurs autres enjeux politiques.

Les réseaux sociaux : un nouveau véhicule de la politique

L’avènement des réseaux sociaux a sans aucun doute bouleversé bon nombre de systèmes et la politique n’y a certainement pas échappé. Maintenant plus que jamais, il est facile de rejoindre des personnes qui partagent nos opinions, peu importe leur localisation géographique, ou d’organiser une manifestation éclair en profitant de la portée et de la rapidité de communication. De plus, un engagement politique ne nécessite plus de se déplacer, de participer à des rencontres en personnes, de s’impliquer activement, ni même de s’inscrire de manière formelle à quoi que ce soit. Un simple clic dans le confort de son chez-soi suffit pour faire partie d’un groupe ou signer une pétition. Tous les citoyens peuvent contribuer de façon spontanée sans aucune obligation future. Les conséquences réelles positives ou négatives des réseaux sociaux sur l’engagement politique ne sont pas encore toutes connues ni documentées. C’est certainement un outil précieux pour ceux et celles qui veulent s’informer, partager leurs idées ou mobiliser une partie de la population. Mais l’envers de la médaille est moins reluisant… La bulle informatique donne aussi une fausse impression d’uniformité d’opinion. En effet, les algorithmes des différents réseaux sociaux filtrent l’information et promeuvent seulement les publications et les groupes qui reflètent déjà nos positions. Au contraire, une société est composée d’un éventail d’opinions qui nécessite un dialogue ouvert et il est souvent nécessaire de faire appel au compromis. Nonobstant, les réseaux sociaux fournissent un porte-voix à tout type de discours. C’est une plateforme autant pour les opinions informées et nuancées que pour celles éclatantes, spontanées et fausses.

 

Bien évidemment, les jeunes adultes ont, comme toutes les cohortes générationnelles, des opinions et des priorités qui diffèrent d’un individu à l’autre. L’objectif ici n’est pas de généraliser, mais de décrire la situation dans laquelle nous nous trouvons face au monde parfois intimidant de la politique. La meilleure façon pour nous d’être pris en compte n’est pas de crier plus fort, mais de parler ensemble ! Les citoyens d’une même société démocratique ne devraient pas se sentir en compétition entre eux pour promouvoir leurs intérêts avant ceux des autres. Ah non ! Moi aussi je suis idéaliste en fin de compte… c’est probablement parce que j’ai 20 ans !

Sources:

(1) Élections Canada, Estimation du taux de participation selon le groupe d’âge et le sexe à l’élection générale de 2019

(2) Élections Canada, Participation électorale des jeunes au Canada

(3)Milan A., « Volonté de participer : l’engagement politique chez les jeunes adultes », Statistique Canada

(4) Pilon-Larose H., « Que veulent les jeunes ?  », La Presse, 2018

(5) Observatoire Jeunes et Société, Bulletin d’information Vol.11, no 1