Naïf [Finaliste]
par Alexis Charron
Mardi 25 février 2020, 16h49
« Le coronavirus? J’connais pas cette nouvelle marque de bière là! Haha!»
Comme si c’était hier, je me souviens exactement de la réponse un peu naïve que j’ai largué du tic au tac à mon coloc ce jour-là alors qu’il me questionnait sur ce nouveau virus qui me semblait bien intriguant par son nom. J’ai entendu dire que c’est actif pas mal en Chine mais sans plus. À ce moment, à l’exception de voir une association beaucoup trop facile [et mauvaise] entre « coronavirus » et « lime disease » sur Instagram® pour augmenter le nombre de likes sur ta nouvelle publication, ça ne m’intéresse pas trop et ça m’inquiète encore moins. Disons simplement pour l’instant que je ne sais pas ce qui s’envient, et je ne suis probablement pas le seul. En tant qu’ÉtUdIaNt En MéDeCiNe je devrais pourtant être au courant d’une pandémie mondiale? Non?
Vendredi 28 février 2020, 19h44
Le premier cas de COVID-19 est confirmé au Québec, portant le Canada à 15 cas. Ce jour-là, je ne m’en souviens pas par contre. Un peu comme l’APP 6 de CDV au final, c’est très pertinent mais tout le monde fini par juste laisser cette information-là de côté pour vaquer à ses occupations. Personnellement, c’était la soirée James Bond, un classique inévitable en médecine. J’ai donc décidé [et près de 700 autres personnes aussi d’ailleurs] de profiter de cette soirée, comme d’habitude, pour me débarrasser éphémèrement de mon écœurantite aigue de la 2e année du préclinique en allant danser tranquillement avec Céline Dion, Sydney Crosby, Ginette Renaud et Ricardo (Ça se déroule au musée Grévin de Montréal, évidemment). Après tout c’est la semaine de relâche qui débute à l’instant. Le reste de cette journée demeurera plutôt floue dans les souvenirs de certains. Encore une fois, rien d’alarmant! N’est-ce pas?
Jeudi 12 mars 2020, 11h33
De retour de la semaine de relâche, certains arrivent de voyage tandis que d’autres se réveillent de leur sieste forcée de 7 jours pour récupérer de l’épuisement de la session d’hiver.
2 Cas de COVID-19 détectés dans la ville de St-Hyacinthe. Encore une fois, avec un ton plutôt dérisoire, mes amis me rappellent la virée à St-Hyacinthe du Carnaval 2020 de la FAECUM auquel nous avons participé chaleureusement au mois de janvier, nous faisant réfléchir que ça a probablement incubé là-bas et que ça pourrait vraisemblablement être nous, quelle niaiserie. Pas trop inquiétant honnêtement, on connaît pas encore la COVID-19, mais au moins ça nous a permis de nous remémorer une bonne soirée du mois de janvier.
De toute façon, on a un 5@7 suivis d’un tournoi de « flip cup » en soirée pour nous permettre de se défouler un peu. Semblerait que ce n’est pas recommandé vraiment, mais c’est déjà organisé et personne ne va en mourir de toute façon. Je me souviens encore de ma story Snapchat® montrant près de 150 personnes dans une salle beaucoup trop petite avec mon fameux #PréventionDesInfections comme description. Tout le monde a eu bien du plaisir en tout cas. Pas de panique, personne n’a la COVID de toute façon... Right?
Vendredi 13 [!!!!!!!!!!!!!!] mars 2020, 8h28
Un vendredi 13, bien oui! Cette journée-là je vais m’en souvenir longtemps par contre. Je m’assois tranquillement dans mon local d’APP pour discuter de l’hypothyroïdie avec mon bon vieil amis Mr Flan qui m’accompagne toujours dans les moments plus difficiles. Ma plus grande crainte est de rater mon explication du métabolisme de l’iode dans ma CMAP fraichement sortie du cloud de CMAPTools-Université de Montréal.
Ah oui aussi j’oubliais, pour la première fois depuis l’histoire du pavillon Roger-Gaudry, certains étudiants participent aux APP en mode virtuel sur la plateforme Zoom® car ils sont supposément en quarantaine car leur voyage exotique de semaine de relâche semble être un facteur de risque pour la propagation du virus. Bien comique comme mesure, en plus je ne suis même pas au courant de ce qu’est la « plateforme Zoom® » (Croyez-moi ça va changer).
Vendredi 13 [!!!!!!!!!!!!!!] mars 2020, 8h43
Ma tutrice se présente dans notre local 13 minutes en retard, lingettes Lysol® à la main. « Donc le gouvernement vient de déclarer ce matin l’urgence sanitaire, ce n’est pas compliqué, on NE touche PAS son visage aujourd’hui avec nos mains et on désinfecte les crayons pour le tableau blanc, y’a peut-être du COVID ici, vaut mieux prévenir que guérir. Je vous ai à l’œil! ». À l’exception de me faire avertir 3 fois parce que je suis en train de mâchouiller mon crayon pendant mon APP, rien d’alarmant. Une chance que notre tournoi de « flip cup » était hier soir et non pas aujourd’hui, on aurait probablement dû l’annuler.
Vendredi 13 [!!!!!!!!!!!!!!] mars 2020, 11h31
Semblerait que l’Université ferme ses portes jusqu’à nouvel ordre, et ce dès demain matin. Les évènements rassemblant des centaines de personnes sont annulés. C’est la crise, il faut éviter les regroupements le plus possible, diminuer nos contacts. J’ai décidé instinctivement de quitter Montréal demain matin pour retourner dans mon coin, loin de l’épicentre potentiel de la COVID à Montréal. Après tout, les cours sont annulés pour deux semaines (la solution miracle selon moi à ce moment, ça fait du sens! Non?) pour laisser passer la crise. Je reviendrai quand tout sera revenu à la normale après cette période. Quoi de plus logique? Pour l’instant c’est l’heure du sport suivi d’un souper d’au revoir avec des amis car nous sommes en « pause » pour deux semaines pour régler le problème actuel. « On se revoit dans 2 semaines !! »
Samedi 14 mars 2020, 8h00
Mon cadran sonne, je prépare mon gigantesque sac à dos AMC 2022 pour une ou deux semaines et je quitte vers mon coin perdu loin de la COVID. Ça va probablement juste faire du bien d’avoir une pause, il me semble que ma semaine de relâche n’était pas trop relaxante justement. See you soon Montréal! De toute façon, la plus importante pandémie mondiale depuis des décennies se règlera fort probablement d’ici 14 jours. Non?
Samedi 14 mars 2020, 12h00
J'arrive dans mon chez moi en région. Fidèle à mon habitude, je passe voir mon oncle, ma tente et mes grands-parents pour les saluer. Et bien évidemment à ce moment, pas de masque, pas de désinfectant, pas vraiment de 2m. Sans trop poser de question, je rencontre mes parents avant d’aller voir mon meilleur ami pour notre classique entraînement quotidien lorsque je suis de retour de la grande ville. Ma mère m’avertit sérieusement: « J’espère que tu ne vas pas t’entrainer au gym? S’il y a bien un endroit pour attraper la COVID, c’est bien là! ». Je la rassure égoïstement de ne pas s’inquiéter avant de quitter tout droit vers le gym avec mon ami, après tout il ne faudrait pas manquer notre dernier entrainement avant de sortir au bar ce soir avec des amis, semblerait que ce serait la dernière fois avant la fermeture ici. Évidemment, la vie continue ici comme si de rien n’était. De toute façon, oui j’arrive de Montréal, mais je ne tousse pas et je respire bien, pas comme si j’allais tuer quelqu’un non plus... Non?
Le reste de l’histoire, tout le monde la connaît évidemment;
Explosion des cas au Québec, le lavage des mains, le 2m de distance, le Dr Arruda qui frappe sa courbe imaginaire en point de presse, les drames internationaux liés à la pandémie, les éclosions en CHSLD, la fermeture des régions, la fermeture des commerces, des restaurants, des bars et des services non-essentiels le CONFINEMENT !!
Sans oublier la saga du papier de toilette au Costco®, la pénurie d’EPI et de farine à l’épicerie (ça doit être le même fournisseur?), l’épuisement des travailleurs de la santé, la PCU, la PCUE de notre cher trop-émotif Trudeau national qui semble bien paraître malgré ses décisions lorsqu’on le compare avec son homologue américain psychotique aux cheveux orange.
Suivi du déconfinement pendant l’été, période où tout le monde a mis sa logique sur pause pour profiter de l’été aveuglément avant de se faire frapper en plein front par la 2e vague (Oui une 2e vague, qui l’eût cru *Insérer un ton sarcastique ici*). Le RE-confinement, la RE-fermeture des régions, des commerces, des restaurants, des bars et des services non-essentiels (partie 2 sur...?).
Tout ça en passant par les hôpitaux en crise, les décès en augmentation, les impacts sur le système de santé, mais surtout les impacts psychosociaux (que nous verrons bientôt à l’affiche lorsque la COVID ne sera plus la star médiatique) sur la population qui vit maintenant de Zoom®, de télétravail, de cours à distance et de solitude depuis maintenant près de 7 mois.
La même cassette semble résonner à nos oreilles depuis plusieurs mois maintenant, nous laissant toujours une petite lueur d’espoir que dans « 28 jours » nous pourrons revenir à la [presque] normalité.
Ces exemples ironiques et exagérés par partie représentent plutôt une réflexion personnelle sur notre façon de comprendre et de voir les choses en fonction du temps. La COVID aura changé nos vies de A à Z, sans aucun doute. Cependant, malgré l’avancement de la connaissance liée à cette crise, malgré les politiques gouvernementales, malgré les opinions divergentes et les projections de l’évolution de la pandémie, malgré l’évidence de l’aspect multifactoriel de la crise qui nous entoure et les conséquences que nous subissons, je crois profondément que la source du problème est intrinsèque à la nature qui nous habite lorsque nous somme devant notre écran le lundi soir, en oubliant rapidement nos erreurs involontaires qui nous ont mené la crise ou elle en est présentement, en s’exclamant naïvement « Maudit COVID hein? » comme réponse à toutes nos question de 2020.
Mercredi 28 octobre 2020, 00h41
Je replonge attentivement dans les 7 derniers mois de ma vie qui ont passé si lentement et si rapidement à la fois. Non, le coronavirus n’est pas la nouvelle division de la bière Corona. Non, le « Coronavirus » accompagné du « lime disease » n’est pas une bonne blague, et encore moins une bonne description de ta photo Instagram (Lol)! Non, personne ne se souvient réellement du premier cas de COVID-19 au Québec (Ni de l’APP 6 de CDV en passant, ça c’était vrai), mais nous aurions dû nous en préoccuper. Non le party James Bond n’était pas la solution à ce premier cas justement. Sans oublier notre soirée 5@7 et notre flip cup au J-1 de la déclaration d’urgence sanitaire qui n’étaient apparemment pas une solution non plus. Et finalement non une pandémie ne se règle pas en deux semaines de congé à la maison pour tous. Novembre arrive maintenant dans 4 jours et maintenant, j’ai de la misère à considérer un voyage à l’été 2021, encore moins de voir ma famille pour Noël. Quel scandale. Pourtant j’ai fait tout mon possible depuis le début de la pandémie pour éviter la propagation. N’est-ce pas?
De cette série d’anecdotes, je suis persuadé que n’importe qui pourra en faire ressortir un manque de jugement flagrant en contexte de crise sanitaire mondiale. Mais pourtant, je suis quasi-certain que la majorité peut ressortir du fond de sa mémoire un discours semblable, du moins sur quelques points. Doit-on parler d’une épidémie de manque de jugement de notre société face à ces actions? Ou doit-on plutôt blâmer une désinformation et un manque de connaissances qui aurait causé nos comportements?
Je regarde tous ces événement en me disant qu’on aurait pu casser la pandémie dès le départ si nous avions accepté plus rapidement de considérer l’urgence de la situation. Mais à ce moment, sans le point de vue que nous avons actuellement, il était bien difficile de considérer la situation dans son ampleur comme elle est devenue aujourd’hui. Nous savons tous qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Mais était-ce possible de comprendre et prévoir l’impensable? Sommes-nous alors constamment devant l’impossible?
Mon discours philosophiquo-psychotique d’overthinking de nuit blanche est bien évidemment une présentation rétrospective brève, ironique et exagérée de la situation qui nous entoure chaque jour depuis maintenant plusieurs mois. Cette crise nous aura permis de comprendre qu’une certaine épée de Damoclès règne sur nous en permanence dans notre société ou le confort, la routine et la liberté, qui sont, avec raison, pris pour acquis par tous et chacun, chambranle inévitablement sur cette fine ligne que nous appelons l’incertitude. La validité éphémère de nos connaissances et de nos façons d’agir et d’être que nous considérons bien souvent comme universelles s’arrêtent malheureusement là où l’incertitude du lendemain débute. Est-ce que cela fait de nous une société dépassée par cette incertitude qui nous guette? Ou sommes-nous plutôt tous simplement…
Naifs?
Source de l’image de couverture : https://centredeclic.ca/pourquoi-plus-cas-quebec/