Le Pouls

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Mes instruments [Texte coup de coeur]

par Coralie Michaud

Des bancs d’école, j’entrevois mon moi futur. Dans mon esprit, l’image des circonstances de mon quotidien professionnel est voilée, tandis que les valeurs phares sont limpides. Je connais la médecin que j’espère devenir. 

Tous les jours, j’enfilerai mes gants, cette protection de latex qui aura pour fonction de me protéger de la contamination émotive. Cette sympathie trop souvent dévastatrice fera parfois de moi une voleuse des larmes de mes patients qui ont besoin de cette eau pour s’éloigner à la nage des sentiments qui les asphyxient. Je prendrai garde que cette barrière gantée n’entrave mon contact altruiste avec la peau patiente palpée. Je m’efforcerai de rejoindre mon humanité à celle du malade pour qu’un lien thérapeutique bilatéral guide ma logique.

J’écouterai avec mon stéthoscope les battements qui mènent le cœur de mes patients. Je décèlerai les souffles qui les emportent et les régurgitations émotives qui les tourmentent. À travers ces sons étouffés, je devinerai l’autre et sa vérité. L’irrégularité du rythme, je le saurai, traduira leur anxiété, leur appréhension et cette envie d’être ailleurs, n’importe où sauf devant moi. Cette musique organique devra s’intégrer à ma perception du soigné; elle éclairera mes décisions thérapeutiques à la lumière de cette vérité mélodique traduisant des besoins dissimulés.

Je testerai, avec de petits coups martelés empreints de violence bienveillante, les réflexes médullaires. Cette automaticité rassurante se révèlera parfois traître. Ma pratique ne devra pas devenir réflexe; ma conscience accompagnera chacun de mes gestes. Mes neurones s’acharneront à ne pas se transformer en des travailleurs à la chaine paresseux effectuant des tâches répétitives dénuées de sens. Mes méninges feront preuve de rigueur intellectuelle. Je resterai humble dans mes connaissances, tout en ayant le devoir de m’informer pour enrichir et renouveler les tomes de mes encyclopédies médicales mentales. Peut-être à force de recherches et de remises en question, une nouvelle réponse scientifique se fera découvrir. J’ai le rêve de pouvoir transmettre à un autre, qui prendra ma place d’aujourd’hui, les savoirs qui m’allument.

Je revêtirai le sarrau qui n’est aujourd’hui pour moi qu’un déguisement, mais qui deviendra symbole de mon alter ego. Cette blouse blanc immaculé sera l’habit de la femme professionnelle que je serai : Docteure, quelqu’un que je ne connais pas, dont les traits sont encore flous, que j’imagine parfois avec angoisse, mais aussi parfois avec plaisir introversif je l’avoue. Je souhaite à cette médecin une carrière humaine, experte et honnête.

Mais je lui souhaite aussi de quotidiennement désenfiler cet uniforme pour replonger dans la vraie vie, celle en dehors des murs blancs stériles hospitaliers. Je cultiverai chez moi un équilibre acrobate priorisant ma santé, à laquelle je devrai porter aussi attention que celle de mes patients. Je prendrai plaisir aux grandes et aux petites choses que je percevrai sans mes verres médicaux avec un œil ouvert, amusé et amoureux de la vie.