Le Pouls

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Les trois tourtereaux

par Élise Ferguson

Est-ce une mode? Une phase? Un désir d’aller à l’encontre des modèles sociétaux? Une façade pour les « one night stand »? Lorsque je parle du polyamour avec mon entourage, plusieurs questions émergent. Beaucoup jugent : « Tu joues dans le dos de deux personnes en même temps? Agace! ». Peu savent vraiment ce qu’implique ce type de relation. Sans avoir la prétention d’être une experte, j’aimerais vous partager mon expérience en répondant à quelques questions qui me sont fréquemment posées. 

Qu’est-ce que le polyamour?

Le polyamour est un type de relation non-monogame dite éthique, c’est-à-dire une relation dans laquelle les partenaires ne sont pas exclusifs et peuvent rencontrer d’autres personnes afin d’interagir de façon platonique, sexuelle ou romantique avec iels. Les personnes polyamoureuses sont donc ouvertes à entretenir plusieurs relations en même temps et aspirent à s’épanouir pleinement dans chacune d’elles, dans le consentement et la transparence avec tou.te.s les partenaires impliqué.e.s. Toutes les relations sont discutées au préalable. Il ne s’agit pas de tromperie, qui elle n’est pas consentante. Je nuancerais que les personnes polyamoureuses ne sont pas à l’abri de la tromperie, qui se traduit dans ce cas par un bris d’entente. Ne pas utiliser de condom avec un.e autre partenaire lorsque la protection a été discutée et exigée est un exemple de bris d’entente.

Toutes les personnes polyamoureuses ne vivent pas leur polyamour de la même façon et les configurations relationnelles peuvent évoluer. Certain.e.s forment des trouples, c’est-à-dire des couples à trois. D’autres s’identifient comme des anarchistes relationnels, c’est-à-dire qu’iels ne priorisent pas l’un.e ou l’autre de leurs partenaires. Il existe autant de configurations que de constellations dans le ciel. Pour ma part, j’adhère à un modèle relationnel polyhiérarchique, c’est-à-dire que je priorise une relation en particulier, que ce soit pour des considérations logistiques ou d’engagement émotionnel. J’ai donc un « partenaire primaire », comme on dit dans le jargon, et des « partenaires secondaires ». C’est dans cette configuration que je puise mon expérience.

Pourquoi as-tu choisi le polyamour comme mode relationnel?

Dit simplement, j’ai envie de pouvoir m’épanouir dans toutes mes relations et de me permettre de suivre leur évolution naturelle. Je me sens beaucoup plus libre dans ce mode relationnel; je peux mieux suivre mes besoins et mes envies. Je peux me laisser guider fluidement par la relation plutôt que de forcer sa direction, comme je le ferais dans un couple monogame, dans lequel il est souvent attendu que les interactions avec d’autres personnes soient amicales et platoniques. Bien que ma liberté s’arrête là où les limites de mes partenaires sont tracées, les relations polyamoureuses sont, selon mon expérience, moins limitantes et plus épanouies. De plus, la connexion émotionnelle avec mes partenaires m’enrichit beaucoup, qu’elle relève de l’amour ou d’une amitié profonde. Je me sens nourrie et comblée de différentes façons par chaque lien.

Comment as-tu le temps d’entretenir des relations profondes avec plusieurs partenaires? Je n’ai même pas le temps de faire toutes mes lectures d’APP…

Pour être bien franche, je me le demande moi-même… Je réserve des moments précis pour passer du temps de qualité avec mes partenaires; je planifie mes « dates » à l’avance. J’essaie d’optimiser mon temps en améliorant mes techniques d’étude, en faisant du « meal prep », en planifiant mes activités personnelles lorsqu’aucun de mes partenaires n’est disponible… Bref, le même casse-tête logistique que n’importe quel.le autre étudiant.e en médecine! J’ai aussi des activités communes que je planifie avec mes partenaires, notamment les activités sportives, la cuisine et le magasinage en friperie avec maon partenaire secondaire. 

En ce qui concerne la profondeur, comme dans n’importe quelle autre relation, il faut du temps, de l’énergie, de la transparence, de la bienveillance et de la douceur pour l’atteindre et l’entretenir. Cela passe par des discussions, par des câlins… et parfois par une bataille de boules de neige pour évacuer un trop plein d’émotions!

Comment gères-tu la jalousie que peut engendrer le polyamour?

Je dirais que la première étape est la plus confrontante, soit celle de réaliser que la jalousie n’est que le reflet de nos propres blessures et insécurités. Le sentiment de jalousie n’appartient pas à notre partenaire, il nous appartient. Partant de ce constat, il est plus facile d’avoir de l’introspection et de trouver la cause de cette jalousie en nous. Pour ma part, la jalousie se manifeste surtout par la peur d’être laissée pour une personne « meilleure » que moi. Je peux donc trouver dans mes relations passées avec mes amoureux.ses, mes amant.e.s, mes ami.e.s et même mes parents des situations dans lesquelles j’ai eu l’impression d’avoir été laissée pour une personne que je considérais « meilleure ». Je peux trouver la source de ma blessure et tenter de changer ma perception de la situation. Ce processus peut prendre du temps et parfois nécessiter une aide extérieure, mais le sentiment d’apaisement qui s'ensuit perdure; il est libérateur de ne plus agir en fonction de nos blessures, mais plutôt en fonction de nos véritables besoins et désirs.

Un autre élément essentiel afin de naviguer au travers de ce sentiment inconfortable est la communication. Parler de mes émotions avec mes partenaires m’apaise énormément. Iels me rassurent en me démontrant des signes d’affection, en me disant qu’iels m’aiment et que je compte à leurs yeux. Sentir que mes besoins sont comblés et écoutés atténue également mes peurs. Afin qu’ils soient entendus et compris, je tente de communiquer mes besoins en parlant au « je » de mes observations, des émotions qu’elles ont engendrées et d’une demande à faire à maon partenaire, s’il y a lieu. Pour donner un exemple fictif et simple: « Lorsque je sais que Y dort à gauche du lit (observation), je me sens blessée, car j’ai l’impression qu’elle prend ma place (émotion). Lorsque je suis avec toi, je dors toujours à gauche. Pourrait-elle dormir à droite? (demande)». Cette formulation permet à mes partenaires de bien cerner mes émotions et de mieux comprendre ce qui me ferait du bien.

Comprendre l’essence du polyamour me permet de calmer ma jalousie. Je me rappelle que ce n’est pas une compétition, qu’il n’est pas question de prendre la place d’un.e autre partenaire ou de s’accaparer une personne, que les relations de mes partenaires les enrichissent autant que mes relations m’enrichissent… Bref, que l’impact des relations autres de mes partenaires est positif sur leur vie respective. À l’opposé de la jalousie, j’essaie de ressentir de la compersion, c’est-à-dire d’être heureuse lorsqu’un.e de mes partenaires est heureux.se avec une autre personne. Il est difficile pour moi de ressentir de la compersion sans avoir guéri toutes les blessures derrière ma jalousie, mais j’ai confiance qu’avec de la patience, du soutien et de la douceur envers moi-même, j’y arriverai!

Comment les personnes polyamoureuses élèvent-elles leurs enfants?  

Je n’ai pas (encore?) de vécu à ce sujet, je vais donc partager quelques modèles que je vois dans mon entourage. À priori, je dirais qu’iels élèvent leurs enfants comme n’importe quels autres parents : en offrant à leurs enfants un environnement le plus sain possible, sécure, là où iels peuvent s’épanouir. En leur offrant de l’attention et de l’amour!

Logistiquement parlant, certains sont des parents séparés et iels voient leurs partenaires une semaine sur deux, lorsqu’iels n’ont pas la garde de leurs enfants. D’autres passent une semaine chez un.e partenaire, puis la suivante chez l’autre, voyant ainsi deux familles en alternance. Certains parents habitent ensemble et planifient leurs moments avec d’autres partenaires selon un horaire fixe à chaque semaine. Bref, il n’y a pas de « bon » modèle, juste des modèles différents qui fonctionnent pour différentes personnes.

Un autre élément en jeu est le moment souhaitable pour initier les enfants aux nouveaux.elles partenaires. Certain.e.s attendent un certain âge avant de présenter leurs partenaires à leurs enfants, un âge où les enfants seront en mesure de comprendre que « maman a des amoureux.es ». D’autres les présentent toujours en tant qu’ami.e.s. Encore une fois, la façon de faire la plus souhaitable varie selon les personnes impliquées!

J’aimerais en apprendre plus! As-tu des livres à me suggérer?

Les Mots sont des fenêtres (ou des murs) par Marshall B. Rosenberg est une lecture que je suggère à tou.te.s. Ce livre a changé ma façon de communiquer avec les autres et m’a aidée à être plus douce envers moi-même. Il m’a aidée à mieux comprendre et exprimer mes besoins, à me respecter et à être respectée. Cette lecture est incontournable pour en savoir plus sur la communication non violente (CNV), cette approche qui m’a permis d’évoluer autant en tant que personne qu’en tant qu’amoureuse et amante. Je le conseille vivement à toute personne qui souhaite assainir sa communication et ses relations, quelle que soit leur nature.

Polysecure par Jessica Fern est un incontournable pour comprendre les bases du polyamour. Il traine depuis trop longtemps sur ma table de chevet, enseveli sous les livres de neuro, pneumo, néphro, gastro… Il permet de s’affranchir des construits sociaux monogames et de nos réactions émotionnelles, qui puisent souvent leur origine dans ce conditionnement. Il traite principalement des styles d’attachements, suggérant des stratégies quotidiennes afin de développer un attachement plus sécure. Pour ce faire, il explore comment nos blessures passées affectent nos réactions et nos relations, comment nos traumas influencent notre attachement. Les personnes qui ne s’identifient pas comme polyamoureuses bénéficieraient tout autant de cette lecture, car elle permet une introspection à propos des styles d’attachement, entre autres.

Compersion: Transcender la jalousie dans le polyamour par Hypatia from Space est une autre lecture intéressante, également ensevelie par mes livres de médecine. Ce livre a été publié par une autrice montréalaise sous un pseudonyme. Il traite du défi principal des polyamoureux (et je dirais de la plupart des gens en général) : la jalousie. Plus encore, il offre la perspective de la compersion et aide à intégrer ce sentiment. Pour y parvenir, Hypatia from Space fournit des outils pour cerner et travailler nos insécurités afin d’être heureux.ses lorsque nos partenaires sont heureux.ses avec d’autres. Elle propose également de cheminer afin de découvrir nos propres besoins relationnels. Encore une fois, cette introspection peut être bénéfique peu importe le mode relationnel!