Le Pouls

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Les bons souvenirs

Ma grand-mère

À l’été 2019, j’ai perdu ma grand-mère. Dernière attache restante à cette génération silencieuse, elle a maintenant rejoint mon arbre généalogique et m’a laissé en héritage une somme considérable de souvenirs, pour lesquels je suis très reconnaissant, mais je reste malgré tout triste de ne pouvoir parler d’elle qu’au passé.   

En regardant de vielles photos et en se rappelant des souvenirs en famille, je me disais : quelle chance elle a eu de bien vivre. Récemment, c’est autre chose qui m’a touché : 

Quelle chance elle a eu de bien mourir.

Je n’ai jamais vécu de drame, aucune film tragique ou héroïque ne sera écrit sur ma vie et c’est pourquoi cette lettre ne sera pas signée. Je tenais tout de même à mettre sur papier les sentiments qui m’habitent depuis un certain temps, et je serais heureux s’ils n’atteignent même qu’une seule personne. 

L’année difficile 

À travers cette année difficile, j’ai ressenti un malaise, un « spleen » difficile à décrire, mais en voici l’essentiel : 

« Pour des raisons hors de notre contrôle, nombreux sont ceux qui ont perdu des êtres chers dans des conditions difficiles, voire inhumaines sans pouvoir faire leurs adieux »

Je ressens le besoin de dire à celles et ceux qui ont été moins chanceux que je suis profondément désolé et que j’éprouve beaucoup d’empathie et de sympathie à leur endroit. 

Ne pouvant m’imaginer la souffrance qu’ils ont vécus, je ne peux qu’être un témoin malhabile de leur peine et de l’injustice profonde qui les accable. Face à un ennemi invisible, comment évacuer sa frustration?

Je me surprends souvent à penser à mes grands-parents récemment, de la vie qu’ils ont vécue et de l’inquiétude que j’aurais vécu si j’avais pu les appeler pour prendre des nouvelles.

Il n’est pas encore l’heure de poser des questions sur l’année que nous avons traversé, mais comme société nous devons nous assurer que les gens puissent partir dans la dignité qui leur est due et que les familles de ceux-ci puissent profiter de ces derniers moments avec eux. Il ne faut pas qu’un casse-tête logistique soit à nouveau la cause de drames humains et d’adieux qui ne pourront jamais se faire. Une faille dans l’humanité de fin de vie a empêché une cohorte de bien mourir.

Vivre et mourir dans la dignité  

On a beaucoup entendu parler des ainés cette année, de centres de soins et de personnes recevant des traitements de longue durée, et pas nécessairement pour les bonnes raisons, ça n’a pas toujours bien été.

Le sort réservé aux personnes âgées me touche davantage qu’il y a quelques années. Loin d’être sage, j’ai peut-être tranquillement compris que la dignité est essentielle à toutes les étapes de la vie, et ce jusqu’à son stade ultime, inévitable. 

N’ayant jamais été auparavant placé face aux soins palliatifs, je n’avais jamais saisi toute la différence qu’ils peuvent faire. 

J’ai pu voir toute la définition de la palliation dans les soins que ma grand-mère a reçu dans ses moments de souffrance. J’ai vu un jour dans son visage un rictus douloureux que je n’aurais pu imaginer, et le lendemain un visage calme, détendu, souriant et affectueux, qui avait bercé mon enfance et dans lequel je retrouvais certains de mes traits. 

« Je veux partir, ça fait trop mal »

C’était son temps, et après une vie à penser aux autres le plus beau geste d’amour était de comprendre qu’il était temps qu’elle pense à elle. Au-delà de mots comme curatif et palliatif, c’est l’humanité de la médecine qui émergeait. 

Il est temps de redonner ses lettres de noblesse aux soins de fin de vie, afin de soulager au meilleur de notre pouvoir à la douleur que vivent malades et familles, la dignité ne peut plus être une considération secondaire. 


Les bons souvenirs

Je ne peux pas me mettre à la place de ceux et celles qui ont perdu un être cher sans pouvoir leur dire au-revoir. Un nuage sombre a empêché votre soleil de briller, un ciel voilé qu’aucun arc-en-ciel ne pourra venir éclairer. Ce deuil laissera des traces pour plusieurs, le deuil d’une personne mais aussi le deuil d’un souvenir. Je souhaite de tout cœur que vos souvenirs ne seront pas entachés par une finalité malheureuse, un aléas du destin. 

Le but de cette lettre n’est pas de causer l’émoi ou la tristesse, mais de vous partager un peu d’humanité et de soutien, si le cœur vous en dit d’en recevoir.   

Je me souviendrai que ma grand-mère a bien vécu, et je souhaite de tout cœur que vous vous souviendrez en souriant de ceux qui ont bien vécu. 

Anonyme

Image de couverture : La Seine à Giverny, Monet, 1897