Le Pouls

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La politique de 2024 aux antipodes

Par Jacob Lalonde

On assiste présentement à une polarisation majeure de la politique mondiale menant à l’éloignement du centrisme ayant été populaire ces dernières années. La période de 2020-2023 aura marqué la santé de tous, mais aussi les esprits. Crise du logement, fortes vagues d’immigration, instabilité géopolitique, guerres, réchauffement climatique, ce sont là des enjeux qui poussent les partis politiques à adopter des positions radicales qui divisent la population entre libéraux et conservateurs. Si la tendance se maintient, les partis centristes disparaîtront afin de laisser place aux extrêmes. Est-il souhaitable pour la santé politique ? Devrait-on plutôt nuancer nos valeurs afin de créer un équilibre ? Pour l’instant, ce que nous pouvons remarquer dans le monde, c’est que les habitants ont des craintes quant au futur et à sa nature, et que la droite radicale semble davantage répondre à ces peurs en jouant sur la dangerosité de l’immigration et en dévalorisant la crédibilité du réchauffement de la Terre. Voyons un peu ce qui se passe actuellement chez nos voisins.

Russie 

Il va sans dire que le président Vladimir Poutine est apprécié de ses concitoyens, du moins si l’on se fie aux résultats des dernières élections présidentielles ayant été remportées avec plus de 87% des voix (1). Certains signalent à un dictateur corrompu utilisant son ancien ouvrage d’officier du KGB (service de renseignements de l’URSS) pour forcer la population à voter pour lui, d’autres parlent plutôt d’un politicien brillant descendu du ciel afin de redonner à la Russie sa grandeur pré-1991. Il n’en reste pas moins que Poutine a réussi à convaincre son empire que le retour de la grandeur de l’URSS se ferait par l’annexion de territoires contestés, à commencer par la Crimée en Ukraine. Il utilisa notamment la demande d’adhésion à l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) de l’Ukraine en 2008 pour jouer sur la peur des citoyens d’un envahissement potentiel de leur territoire, et déclara l’indépendance de « deux territoires séparatistes prorusses du Donbass ukrainien » en février 2022 afin de convaincre les habitants de son pays que ces territoires doivent impérativement être libérés (2) (3) . On assiste alors à une population russe qui croit en la libération de territoires leur appartenant et devant être sauvée d’un mouvement occidental pro-LGBTQ / pro-choix qui nuirait à leur santé. La droite radicale aura ici su user de stratagèmes afin de jouer avec la crainte de la régression du territoire actuel de la Russie et de la perte de l’identité socio-politique pour rallier 87% des 144 millions d’habitants du territoire soviétique. 

France 

La France centre-droite de Macron connut plusieurs difficultés au cours de ses deux quinquennats, notamment le mouvement des gilets jaunes en 2018 (Français à revenus modestes manifestant contre la hausse du prix des carburants, l’augmentation de la taxation et les inégalités du système fiscal) ou encore la hausse importante du flux migratoire (plus de 320 000 titres de séjour remis en 2023 en estimé, soit une augmentation de plus de 40 000 par rapport à 2019) (4) (5). Les élections européennes de 2024 montrent une lassitude des Français à l’égard des politiques « macroniennes » via un compte de 31,37% pour le RN (Rassemblement national, parti d’extrême droite) par rapport à 14,60% pour la Coalition Besoin d’Europe comprenant le parti Renaissance du président de la Ve République, un record pour le parti de Marine Le Pen (6). Face à une montée agressive de la droite, Macron ne voyait d’autre choix que de dissoudre l’Assemblée législative française afin de vérifier la confiance de la population en son parti. Le premier tour plaçait le RN devant les autres partis, mais en raison d’une alliance inattendue et historique des partis de gauche afin de lutter contre l’extrême droite, le RN recula pour terminer, malgré le pourcentage exprimé le plus élevé du deuxième tour, derrière l’opposition officielle (7). Malgré une victoire serrée du parti centriste, on assiste à une diminution de la popularité de ce dernier. La population cultive une attitude similaire à celle des Russes, soit une incertitude quant à la venue de migrants et une envie de protectionnisme afin de favoriser le développement économique intérieur. 

Argentine 

Il faut comprendre que le mandat de 2015-2019 avait permis d’élire Mauricio Macri, homme centriste droit, ayant plongé l’Argentine dans la récession économique malgré ses promesses de sortir le pays de la pauvreté et de l’inflation (8) (9). Face à cette incapacité de sortir l’Argentine de la misère, ce fut au tour d’Alberto Fernandez d’entrer au pouvoir, accompagné par Cristina Fernandez de Kirchner, ex-présidente de 2007-2011 accusée à maintes reprises de corruption. Celui-ci dut composer avec la COVID-19, un prêt de 57 milliards de dollars par le Fonds Monétaire International octroyé à son prédécesseur et une inflation supérieure à 50%. Incapable de composer avec la dette, l’Argentine connaît présentement une inflation qui croit jusqu’à 143% avec un seuil de pauvreté de 40%. Fernandez se retira de la vie politique en 2023 afin de laisser place à Javier Milei, un extrémiste de droite ayant réuni 55,6% des voix au deuxième tour électoral (10). Se qualifiant lui-même « d’envoyé de Jésus » afin de devenir président et qualifiant les changements climatiques de « cycles » plutôt que de conséquences humaines, il promet de privatiser l’économie argentine en coupant à la tronçonneuse dans le secteur public qui investit mal l’argent du peuple, de déréglementer le marché des armes à feu, d’avoir des surplus budgétaires, d’inciter à l’exportation massive, de légaliser la vente d’organes afin d’éliminer les listes d’attente, et plus encore (10) (11) (12). Cela vient aussi avec son lot d’idées conservatrices, notamment l’avortement qualifié « d’assassinat aggravé » et la limitation de l’immigration (12). On assiste encore une fois à une « écoeurantite aigüe » de la population, ici argentine, face aux inactions de la gauche, et une montée de la radicale droite qui trouve les bons mots pour rallier une population à court de moyens, mais aussi une population prête à sacrifier des causes humaines ayant été débattues des décennies et ayant engendré des milliers de manifestations, et ce, pour retrouver une vie hors de la précarité. Il s’agit d’une forme de troc qu’on imaginait impossible lorsque ces droits ont été acquis. 

Italie

Ce pays à forte attraction touristique vit une des crises sociales les plus importantes au niveau planétaire avec une diminution importante de son taux de fécondité et une augmentation gargantuesque de l’immigration. Effectivement, on dénombrait 56,5 millions d’habitants en 1981 versus 59,7 millions d’habitants aujourd’hui selon les dernières estimations, une augmentation de plus de 3 millions d’habitants qui serait entièrement due à l’arrivée de migrants (13). On assiste présentement à un vieillissement populationnel accéléré qui pousse à l’augmentation des dépenses pour les retraités et crée un déséquilibre budgétaire majeur noyant les dépenses publiques, empêchant l’accroissement du PIB. Ce point sera le tournant majeur de la coalition politique de Giorgia Meloni d’extrême droite qui lui permettra de récolter 43,82% des voix aux élections du conseil des ministres de 2022 afin de devenir première ministre de l’Italie, créant une pression sur le président centriste Sergio Mattarella (14) . Sa coalition comporte notamment le parti Frères d’Italie, ayant pour slogan « Dieu, famille et patrie », rappelant le fascisme de Mussolini, qui propose de limiter les droits des LGTBQ+ et de freiner l’arrivée des migrants par des blocus navals. Elle veut aussi réformer la constitution afin que le parti élu soit garanti une majorité absolue au Parlement même s’il n’obtient pas 50% des voix, permettant ainsi de faire passer tout amendement (15). Son plan est d’instaurer une allocation familiale afin d’alléger les impôts pour chaque enfant conçu, de faciliter l’accès aux crèches, d’encadrer l’accès à l’avortement, de favoriser un protectionnisme et j’en passe (16) . Meloni souhaite redonner à l’Italie sa grandeur d’antan, une idéologie similaire à celle de Poutine. La population italienne, chez qui on a décelé une perte de sentiment de sécurité en raison de l’immigration, voit en la coalition de Meloni l’unique façon de favoriser une prospérité sans danger.

Il est possible de rapprocher les tendances des pays voisins à notre situation au Québec et au Canada. De fait, au Québec, on joue sur la peur de la perte de l’identité canadienne-française pour restreindre la montée migratoire, notamment par la fermeture du chemin Roxham et par le contrôle renforcé de l’arrivée des migrants, et ce, afin de protéger la langue française. On voit d’ailleurs une montée de popularité du parti de Pierre Poilievre au national dont les projections le placent en majorité aux prochaines élections. Ce parti du « gros bon sens » souhaite abolir la taxe carbone, construire des pipelines, renforcer les lois en matière d’immigration et augmenter la construction de maisons pour vaincre la crise du logement (17). Ces politiques rejoignent davantage nos voisins de l’Ouest ayant produit 4,2 millions de barils de pétrole par jour en novembre 2023 (18). Selon les récents sondages, le PCC (Parti conservateur du Canada) obtiendrait 31% des intentions de vote au Québec, contre 30% pour le Bloc Québécois et 24% pour le Parti Libéral, le plaçant favori dans notre province (19), ce qui diverge des élections de 2021 qui démontraient une domination des bloquistes et des libéraux contre les conservateurs au Québec (20). Il est à se demander si le Canada poursuivra cette inversion des tendances aux prochaines élections nationales en octobre 2025 et si le Québec emboîtera le pas, province qui s’est toujours définie différente des autres.