Le Pouls

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Fenêtre sur des extrêmes

Par Marilie Chalifoux

 

Au courant de l’été 2024, j’ai eu l’occasion d’effectuer un voyage communautaire au Pérou en tant que membre de Medlife – UdeM. Je souhaitais ainsi faire part de quelques-unes de mes réflexions à la communauté étudiante. Sur ce, je ne vous retiens pas plus longtemps et je vous souhaite une bonne lecture, mais surtout une bonne rentrée ! 


Le long de la route vertigineuse, un mince filet d’eau serpente entre les irrégularités dans le sol terreux. Probablement contaminée, cette source provient d’une des nombreuses cabanes nichées au sommet de la falaise. J’évite le contact ; je ne souhaite pas que mes pieds y trempent. Tranquillement, je reporte mon attention sur les paroles de la guide, une habitante locale qui connaît bien les lieux. Sa voix porte loin malgré le bruit du vent et les aboiements des chiens de garde. En effet, seule une quarantaine d’officiers de police sont responsables d’assurer une certaine présence de l’État dans les lieux. En fait, ici, ce sont les chiens errants qui assurent le maintien de l’ordre. 


Après deux semaines intensives d’anatomie à Trois-Rivières, une journée d’observation au bloc opératoire, l’avancement de ma revue narrative et quelques préparatifs réalisés à la va-vite – certes, je dois le reconnaître – la veille du départ, j’arrive à Lima le soir du 7 juin 2024. Ce n’est toutefois que quelques jours plus tard que je découvre les quartiers ruraux aux abords du centre embourgeoisé de la capitale. Nous sommes une vingtaine d’étrangers à suivre à la lettre les recommandations de notre guide. La plupart parlent, d'autres prennent des photos et, enfin, certains observent, comme moi. 


Ce voyage a été pour moi une occasion d’en découvrir un peu plus sur la société péruvienne – du moins, celle de Lima – mais aussi sur ses enjeux socio-économiques. En effet, il suffit d’un simple coup d’œil sur le paysage pour constater les disparités entre les quartiers. Le relief, constitué de collines, de pentes et de plateaux permet d’observer plusieurs portions de la ville et de ses environs. On peut notamment y voir un mur occupant une portion du panorama. Il crée une séparation on ne peut plus distincte entre Las Casuarinas, quartier huppé de la capitale, et les barriadas (bidonvilles) de Pamplona Alta [1]. Surnommée El Muro de la Vergüenza (Mur de la Honte), cette façade fait office de symbole d’une division des classes omniprésente à Lima [1]. 


De prime abord, un certain concept me semble particulièrement important à aborder pour mieux comprendre une partie de la mosaïque sociétale de Lima. Cette fameuse notion concerne les adresses. En effet, afin qu’une habitation puisse bénéficier d’une adresse postale, il est nécessaire, aux yeux de l’État péruvien, que celle-ci soit rattachée à une rue. Les personnes ayant une adresse sont reconnues par le gouvernement et peuvent donc exercer un emploi déclaré. Cela leur impose le paiement d’impôts, mais, en contrepartie, ils ont droit à divers services et assurances grâce à leur statut d’employé déclaré.  


L’un des constats qui m’ont frappée est le lien qu’on peut faire entre les institutions péruviennes et québécoises. Prenons notamment les secteurs de la santé et de l’éducation. Comme au Québec, le Pérou est fondé sur un système social mixte. On y retrouve la présence d’établissements publics, mais un service privé est aussi offert aux contribuables. Pourtant, me direz-vous avec raison, les services de soins et l’accès au savoir et à la diplomation sont loin d’être les mêmes entre ces deux régions du monde ! La différence réside dans le fait qu’au Pérou, une plus grande marge de manœuvre est accordée au libéralisme économique. En d’autres mots, peu de barrières légales sont établies pour contrer l’avancement du secteur privé. Plusieurs communautés éloignées doivent notamment payer une facture de 20 soles par habitation pour avoir 1 m3 d’eau transporté par camion (contre 1,3 soles/m3 pour les habitations ayant accès à l’eau courante) [2]. Rappelez-vous que, pour avoir accès aux services publics comme l’eau courante, on doit avoir une adresse. L'eau, cette denrée rare, mais essentielle, est donc vendue par des particuliers qui peuvent ainsi profiter des moyens limités de ces communautés pour s’enrichir. 


En outre, autant par manque d’effectif adéquatement formé pour prodiguer des soins que de ressources matérielles, les instances publiques comme les hôpitaux se heurtent à une demande relativement trop grande pour les services qu’elles peuvent se permettre d’offrir. De ce fait, même pour une famille ayant droit aux services publics, l’accès à ces derniers reste un enjeu problématique. De surcroît, les routes escarpées et souvent dangereuses rendent infernal le trajet vers l’un des rares hôpitaux publics dans la zone rurale de Lima. À titre d’exemple, l’autobus me conduisant du centre de Miraflores pouvait prendre deux heures pour m’amener aux bidonvilles. Oui oui, on parle bien d’un autobus efficace pour ce type de déplacement dont l’accès est généralement limité aux touristes et aux habitants aisés. Ainsi, les heures pour se déplacer vers l’hôpital et pour attendre dans une salle d’attente représentent en fait des heures de travail perdues. Pour faire le point, on peut résumer la situation en une seule citation : « Le temps, c’est de l’argent. » 


Bien évidemment, on revient d’une telle expérience avec une myriade de questions. On pourrait en finir là assez rapidement et conclure d’une note assez simpliste : « On a de la chance, ici, au Québec. On vit dans l’abondance ! » Néanmoins, pour ma part, j’en ai surtout tiré comme leçon que la « providence » d’un État est fragile si on baisse la garde et qu’on finit par négliger nos institutions publiques. C’est pourquoi, à mes yeux, il n’en devient que plus primordial de protéger et de revaloriser nos institutions publiques.

 

Enfin, j’aimerais terminer sur un sujet assez différent : notre perception des individus en milieu précaire. En effet, au retour de mon voyage, après que j’eus décrit mes observations à plusieurs de mes proches, certains ont clamé que ces communautés suscitaient de la pitié chez eux. Pour ma part, j’ai rencontré bien des individus lors de cette aventure, mais je n’ai vu aucune personne suscitant un sentiment de pitié chez moi. Ce que j’ai vu de ma fenêtre, ce sont des communautés et des familles résilientes qui font tout en œuvre pour continuer à se préserver dans un quotidien jonché d’extrêmes, d’instabilité et de dangers.