Le Pouls

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F*ck l'amour

par Clara Coderre

Si on dit du printemps qu’il est la saison des amours, le début d’été fut, pour bien des gens de mon entourage, la saison des ruptures. En l’espace de quelques semaines, plusieurs couples que je croyais soudés à vie ont éclaté comme du popcorn au micro-ondes. 

Ta-ta-ta-taaaa. Ta-ta-ta-taaaa. Je suis certaine que vous l’entendez, l’ouverture dramatique de la cinquième de Beethoven. Peut-être les plus célèbres quatre notes de la musique classique. Sinon, une petite visite sur YouTube vous éclairera.   

Si les séparations sont parfois nécessaires, celles dont j’ai été témoin ont surtout provoqué de la tristesse et du désemparement. Des amis, généralement si souriants et festifs, devenaient soudainement silencieux dans les soirées, comme pris dans leur tête plutôt qu’ancrés dans leurs corps dansants. 

C’est au théâtre de Verdure, au cœur du parc Lafontaine, que j’ai entendu pour la première fois l’entièreté de cette symphonie, par une belle soirée de juillet. De manière générale, les pièces classiques « trop connues » me font un peu sourciller, comme galvaudées à force d’être écoutées. Mais là, il y avait quelque chose… Je ne sais pas si c’était la puissance de l’Orchestre Métropolitain ou le fait de découvrir les richesses des autres mouvements au-delà de ce début célèbre. 

Dans ces moments où les verres se vident et les langues se relâchent, j’ai vu poindre chez eux une vulnérabilité jamais observée auparavant, comme si les fondations de leur corps qui semblaient si solides reposaient maintenant sur un sol instable, à un coup de vent de l’effondrement.

Ainsi, assise au milieu de deux mille inconnus, j’ai été bouleversée. Le bambin allaité par sa mère à côté de moi et les petits insectes qui rôdaient autour des musiciens ajoutaient certainement au charme de l’instant. Les archets glissant élégamment sur les violons, le hautbois qui nous transporte vers le ciel, et les cuivres qui prennent au ventre m’ont fait réaliser à quel point l’unité orchestrale adoucit les mœurs.     

Mais le temps passe et emporte avec lui les larmes et les boules dans la gorge. Heureusement, il garde intactes et plus fortes encore les amitiés qui ont permis de résister au glissement de terrain. Car si les couples se cousent et se décousent, les vrais chums sont tissés d’une maille bien plus robuste. D'une corde finement tressée qui lie les cœurs avec simplicité, jusque dans l’adversité. Des copains qui se tiennent, s’aiment sans compromis, s’admirent et se font rire, c’est précieux, et ça m’émeut. 

Commençant en do mineur, symbole de tristesse et de nostalgie, la symphonie bascule à la fin vers la tonalité majeure, redonnant espoir aux êtres éprouvés.   

Et la beauté de tout ça, c’est qu’on en a tous, des amis. Certains plus que d’autres, mais c’est rarement la quantité qui compte. C’est la présence d’un être cher dans un moment de découragement qui illustre la force de l’union et du sentiment. Et quand la tempête a laissé place au sourire retrouvé, le plaisir d’être ensemble n’en est que décuplé, déhanchements et chansons à tue-tête inclus. 

Par un dernier mouvement de la fabuleuse cheffe montréalaise, le silence s’est fait dans le parc, hormis peut-être le chant des criquets. Au milieu des applaudissements tonitruants, j’ai apprécié le fait d’écouter une pièce qui a ému tant de personnes depuis qu’elle a été composée, il y a de cela plus de deux cents ans. Parce que l’universalité d’une mélodie qui traverse les générations est comme l’universalité des sentiments humains, d’amour ou d’amitié. Elle abaisse, en un coup de baguette, la distance qui nous sépare : si tous connaissent cette séquence de quatre notes, tous ont aussi éprouvé la tristesse, suivie du réconfort d’un câlin. 

Ainsi, ce n’est pas tant « f*ck l’amour », que « vive l’amitié ». Le titre que j’ai choisi, c’était seulement pour vous happer, chers lecteurs. Car bien sûr, il ne faut pas renoncer à l’amour. Il fait grandir, fait sourire et fait apparaître des papillons jusqu’au bout des doigts. Mais en ces temps de jeunesse et de soleil, où les corps sont beaux, les peaux bronzées et les pulsions éblouissantes, n’oublions pas de dire à nos amis combien ils comptent pour nous et combien on est chanceux de les avoir dans nos vies.