Le Pouls

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Le rôle des réseaux sociaux dans la profession médicale

Par Marwa Bouksim

Marwa : Bonjour, Dr. Dahine.  Merci de prendre le temps de discuter avec nous aujourd'hui. Pour cette édition du journal Le Pouls, nous avons souhaité explorer l'influence des réseaux sociaux sur le domaine médical. Votre talent pour vulgariser des sujets complexes et votre présence en ligne nous ont donc inspirés à recueillir vos perspectives. Pour commencer, pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours en médecine et de ce qui vous a poussé à choisir les soins intensifs? 


Dr. Dahine : Merci pour l’invitation! Donc, moi c’est Joseph Dahine, je suis intensiviste à Cité-de-la-Santé. Plusieurs facteurs m'ont orienté vers ce choix de carrière. J'ai eu l'occasion de rencontrer des professionnels, comme Peter Goldberg, dont l'influence m'a fortement inspiré à faire des stages à option en soins intensifs et, par la suite, y faire ma résidence. Ce qui m’a attiré particulièrement, c’était l’adrénaline, le défi intellectuel de traiter des cas graves et parfois mystérieux, les laboratoires de physiologie, le lien privilégié avec les familles, mais surtout le travail d’équipe. On ne peut pas sauver des vies seul; cela nécessite des dizaines, voire des centaines de personnes aux expertises complémentaires. En tant qu’intensiviste, j'ai la responsabilité de coordonner et d’orchestrer toutes ces compétences. 


Marwa : C’est sûr que c’est une spécialité passionnante et remplie d’action! En ce qui concerne votre présence sur les réseaux sociaux, quels en sont, selon vous, les principaux avantages ?


Dr. Dahine : Aujourd'hui, des plateformes comme TikTok sont devenues incontournables pour atteindre le public. Mais, pour moi, cette présence en ligne a d’abord été un accident de parcours. Mon parcours en tant que président de la Fédération des médecins résidents du Québec m'a poussé vers une certaine visibilité médiatique, d’abord dans les médias traditionnels. Puis, lors de mon fellowship en clinical leadership en Écosse, j'ai remarqué une utilisation accrue de Twitter dans le milieu médical, ce qui m'a incité à m’y engager davantage.


Pendant la pandémie, les vidéos que je postais sur Twitter finissaient parfois sur TikTok et recevaient une belle réception. C’est d'ailleurs un collègue, Mathieu Nadeau-Lavallée, lui aussi médecin sur les réseaux, qui m’a encouragé à explorer TikTok. Au départ, je pensais que c'était une plateforme surtout pour des danses et des tendances pour les jeunes, mais j'ai découvert qu'elle pouvait être un puissant outil de dissémination d’informations.


Pourquoi y être présent ? D’abord, pour renforcer les liens entre spécialités, tout en restant professionnel, et pour montrer le côté humain de notre réseau de santé. Souvent, les gens ne voient que les aspects négatifs du système – les délais de chirurgie, les attentes aux urgences – et ont l’impression d'un système anonyme et bureaucratique. En réalité, ce sont des personnes qui forment ce réseau : des gens comme vous, étudiante en médecine, et comme moi, intensiviste, entourés de milliers de collègues engagés. Montrer les coulisses et les aspects positifs du milieu de la santé était essentiel pour moi. Et enfin, j'espère aussi inspirer d'autres personnes à envisager une carrière dans le réseau de la santé, bonus si c’est aux soins intensifs!


Marwa : Oui, je suis d’accord avec vous, ce sont des points très pertinents, notamment en ce qui concerne l’importance de l’humanisation de la santé. Dans l’hôpital où je travaille comme agente administrative à l’urgence, on entend souvent des plaintes concernant les délais de rendez-vous ou les temps d’attente à l’urgence, ce qui contribue parfois à diaboliser le système de santé. De mon côté, je vois les coulisses : l’effort acharné, parfois jusqu’à l’épuisement professionnel, qui est rarement reconnu. Montrer cet aspect pourrait vraiment aider à améliorer la perception du système de santé.


Dr Dahine : Tout à fait! 


Marwa : Par rapport à cela, en tant que professionnel de la santé, quelles responsabilités ressentez-vous lorsque vous partagez du contenu médical en ligne ?


Dr Dahine : C’est important pour moi que, même si on peut s’amuser en ligne, ça reste professionnel. Il faut donc que je fasse attention à ne pas partager de fausses informations et à bien vérifier ce que je publie. Faire des vues peut être pertinent pour toucher un plus large public, mais cela doit rester dans mon domaine d'expertise. C’est une question de jugement, de professionnalisme et de respect du code de déontologie de la médecine.


Marwa : Effectivement ! En parlant de culture et de responsabilités, je me rappelle une vidéo qui m’a particulièrement touchée où vous avez parlé de la culture toxique dans certains milieux de stages,  Selon vous,en quoi le fait d’en discuter sur les réseaux sociaux ou simplement d’en parler avec un maximum de personnes peut-il contribuer à améliorer cette culture ?


Dr Dahine : En brisant les silos. Beaucoup de gens pensent qu’ils sont les seuls à évoluer dans une équipe toxique, à subir de l’intimidation ou à être confrontés à un manque de professionnalisme. Ils finissent par accepter cela, mais il ne faut jamais accepter l’inacceptable. En publiant des vidéos à ce sujet, par exemple, quelqu’un qui travaille dans ton hôpital peut lire les commentaires et réaliser que, en Gaspésie, au Saguenay, en Ontario ou même en France, d’autres vivent une situation similaire. Cela permet de rendre ces problèmes universels et amorce une solution. Ensuite, on commence à se dire : « Si je ne suis pas le seul à penser ainsi face à cette situation, pourquoi l’accepte-t-on encore ? Comment changer la culture ? » 

Marwa : C’est tout à fait vrai ! Et en ce qui concerne le rôle de leadership des médecins, pensez-vous que cela inclut aussi la lutte contre la désinformation médicale en ligne ?


Dr Dahine : On est légitimés à le faire, pour ceux qui s’en sentent capables, mais ce n’est pas quelque chose qui fait partie des outils de tous les médecins. Cela vient aussi avec beaucoup de négatifs, comme le fait que cela prend du temps et que ça expose à la critique, surtout de la part des haters. Cependant, dans notre milieu immédiat, oui, nous avons la responsabilité et le courage de corriger les fausses informations et de dénoncer les mauvais comportements. Nous avons un devoir pédagogique d’enseignement et de sensibilisation. Toutefois, tout le monde n’a pas le confort et le courage de participer à des émissions comme "Tout le monde en parle", à l’image du médecin qui parlait récemment de l’aide médicale à mourir. Mais, la société s’attend à ce que chaque médecin, dans son milieu, prenne un rôle de leadership.


Marwa : Quels conseils donneriez-vous aux étudiants ou médecins qui souhaiteraient se lancer dans l’espace public pour partager leurs connaissances?


Dr Dahine : Je dirais de vraiment attendre avant de le faire… Il y a de gros risques associés à cela et il est facile de tomber du mauvais côté en termes de professionnalisme et d’expertise médicale. Ce serait vraiment triste de voir quelqu’un compromettre sa carrière à un stade où il est étudiant ou résident, simplement parce qu’il a décidé d’ouvrir un compte TikTok et de diffuser des informations inexactes. Pour éviter cela, il faut être un véritable expert médical, donc ce n’est pas nécessairement en début de carrière. Si tu n’es pas encore à l’aise, ne le fais pas ! Et si tu choisis de le faire, fais-le prudemment. 


Marwa : Effectivement, c’est une grande responsabilité. Merci beaucoup de votre participation à notre entrevue! 


Dr. Dahine :  Ça me fait plaisir, merci à vous!