Le Pouls

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Écœurantite (déf. inflammation de la pensée)

par Pascal Grégoire-Gélinas

À la cohorte 2021, 1er avril 2019

 

L’évènement « de crise » qui s’est déroulé hier matin lors du cours d’endocrinologie a suscité ma réflexion. Je suis sorti de là, mêlé, angoissé. J’ai témoigné du reflet d’une discordance profonde de mentalités; une discordance entre des étudiants et un corps professoral; un écart de perception sur ce que c'est que d’être un « étudiant en médecine » aujourd’hui.

 

Certains disent qu’il s’agit du reflet d’une avidité de performance, encore; comme si l’apprentissage se réduisait encore à un simple pourcentage. La prémisse se justifie, mais j’aimerais déroger de celle-ci, j’aimerais sortir des sentiers battus. Selon moi, cette crise était l’expression des symptômes d’une écœurantite (déf. inflammation de la pensée). Des étudiants écœurés de ne pas se faire comprendre. Écœurés de répéter que trois livres de référence, ce n’est pas viable. Écœurés d’être dédié et, malgré tout, avoir l’impression d’être passé à côté. Écœurés d’attendre un dialogue.  Écœurés de se faire dire « les notes sont bonnes, vous avez compris » et ne pas avoir de réponses à leurs questions.  Fuck les notes. Écœurés de se faire pitcher de la matière pis devoir tourner les coins ronds. Écœurés d’être essoufflés. Écœurés d’oublier. Écœurés de se faire rappeler qu’on a oublié. Écœurés d’entendre que c’est correct, que tout ça c’est normal.

Je réfléchis à ça depuis hier, et je me dis : ça va peut-être trop vite. Hier en cours, on avait l’air d’une gang unie et dévouée, mais exaspérée. Fatiguée. Une gang d’étudiants, un peu endormis comme chaque lundi matin, mais pour les bonnes raisons. Mais hier ça allait vite, trop vite. Une classe, des étudiants, une odeur de café, deux professeurs, la tension était palpable. Ce qui est palpable, c’est l’écœurantite, l’essoufflement, le désir viscéral d’un groupe d’étudiant de dire time out.

Le désir de s’asseoir cinq minutes, café en main, puis jaser; cinq minutes, où on aurait pu se canter dans le dossier de notre chaise, pénard, puis jaser de follicules tranquillement pas vite.

Le désir de virer le cap de bord, laisser faire la quantité, cinq minutes

Le désir de comprendre l’incompris.

Le désir que nos questions soient interprétées comme une soif d’apprentissage, et non une anxiété de performance.

Le désir de scander « Fuck ce que dit le résumé, j’veux comprendre ».

Le désir de contredire les faits, de contredire la bonne réponse.

Le désir de discuter, de débattre, de persévérer.

Le désir de crier ben fort, « Hey m’sieur, j’pense ça va un peu trop vite là ».

Le désir d’exprimer la vraie raison pourquoi AUCUN étudiant n’a eu la bonne réponse.

Le désir, là maintenant, d’exprimer que c’est trop, qu’il y en a trop.

Le désir d’avoir plus de fun.

Le désir d’avoir un peu de temps, de prendre le temps.

 

Y’a tu juste moi qui a de la difficulté à freiner depuis un bout? C’est weird, je suis cloisonné, étouffé dans une sorte d’ambiguïté psychologique, d’amour-haine, être ou ne pas être. Médecine ou pas médecine? Écœuré pour vrai ou non?

Le corps humain me fascine. La membrane cellulaire me fascine. Le cancer me fascine, la façon qu’il croit, qu’il communique, qu’il résiste. Ceux qui me connaissent savent qu’il me prend des envies de lire le Robbins. Juste pour le plaisir. C’est le fun. J’ai du fun.

Le corps humain me fascine, dans sa physiologie, son anatomie, sa complexité. J’ai intégré le cursus en médecine pour assouvir cette fascination. Je suis heureux où je suis et j’ai la conviction profonde d’être à la bonne place. Le problème c’est que, malgré tout, jt’écœuré! Écœuré d’être un étudiant. Écœuré de la roue qui tourne. Écœuré du Z-110. Écœuré des APPs. On a tu le droit de dire qu’on est écœurés? Peut-on l’exprimer poliment? Ou encore moins poliment comme hier matin? S’tu possible d’avoir une discussion en plein milieu du cours pour dire qu’on est écœurés?

On joue à un jeu. Pour chaque APP, la faculté s’attend à ce qu’on y investisse une dizaine d’heures (lol). La tâche se résume à lire les textes de référence, rédiger nos résumés individuels, faire une carte conceptuelle, puis assimiler la matière et la vulgariser au retour, sans regarder nos notes. « Fermez vos ordis tout le monde s’il-vous-plait, c’est la règle » : ce que j’ai entendu, dans un passé très rapproché. Continuons le jeu un peu plus loin. Rajoutons l’avant-midi à l’hôpital, un CAACH, puis un à deux cours d’IDC (FYI, 9h d’IDC cette semaine). Poursuivons le jeu encore, on commence à avoir du fun. Additionnons deux séances de sport et une soirée au théâtre à l’équation hebdomadaire. Spa trop demandé. Certains en rajoutent et ont une job. Summum de la chose, certains d’entre nous vont même jusqu’à entretenir une relation amoureuse, certains sont mariés, d’autres élèvent des enfants. On nous encourage continuellement à adopter un mode de vie équilibré. Bon point. Toutefois, un équilibre de vie sur fondement de performance, c’est ramer dans le vide. Moins l’fun. Pas mal moins l’fun. J’suis essoufflé. J’suis écœuré. Tout le monde est équilibré, tout le monde est capable de décrocher, à sa façon. Moi le premier, je prétends être équilibré. Mais à force de le répéter, je réalise que c’est utopique. On a inventé une expression pour apaiser notre conscience. Pour éviter de critiquer le statu quo. Pour éviter de se poser des questions. L’équilibre pour justifier la performance. L’équilibre pour pitcher de l’eau sur le feu qui brûle en dedans. Ma blonde, mes chums, ce n’est pas mon équilibre de vie. Ces choses sont mutuellement exclusives. L’amour est une émotion, un désir, une passion. L’amour n’est pas l’échappatoire de l’équilibre. L’équilibre de vie en est un psychologique, il ne se cache pas dans un Google calendar, il se ressent dans les tripes. L’équilibre de vie c’est du fun noir à l’intérieur, comme à l’extérieur de la boîte. L’équilibre de vie traite l’écœurantite.

J’suis pas écœuré de la médecine, le contenu me passionne. J’suis écœuré du contenant, de la façon dont je l’apprends. Quand est-ce que la qualité aura préséance sur la quantité? Quand est-ce que le dialogue aura préséance sur le jugement?

La fameuse phrase, « c’est normal, vous n’allez pas vous souvenir de tout, s’correct… ». Et pis si ce n’était pas « correct »? Qu’arrive-t-il si demain matin, on se lève et qu’on décide que non, s’pu correct. Changer de vitesse, ralentir, prendre son temps, apprécier le processus, avoir du fun à apprendre. Le dogme de performance, pu capable. Ralentir, est-ce que c’est perdre la conviction de réussir? Pour moi, aller moins vite, c’est couper les coins ronds moins souvent, pis crisser les résumés aux poubelles. C’est comprendre l’incompris. C’est étudier et avoir du fun. C’est oublier la finalité. C’est remplacer le « quoi » par le comment. C’est prendre son temps, y mettre du cœur, et non du souffle.

Alors, qui blâmer pour cette écœurantite? Personne. La médecine de 1990 n’est pas la médecine de 2019. Nos professeurs sont nés avec la radiographie, nous sommes nés avec une application iPhone d’échographie. Un tuteur m’a dit un jour et je cite : « 50% de ce que vous apprenez, on n’apprenait pas ça dans mon temps au N-515 ». C’est un constat, noir sur blanc, la médecine a changé. Mais en sommes-nous réellement conscients? Nos professeurs, eux, en sont-ils réellement conscients? Nos professeurs, la faculté, sont-ils conscients de la réalité d’un « étudiant en médecine »?

Évidemment, ce texte n’est qu’une opinion à travers le filtre de ma personnalité et de ma pensée. Il est possible que je divague. Possible que d’autres partagent mon opinion. Peut-être me suis-je levé du pied gauche. Peut-être pas. Quoi qu’il en soit, discutons-en. Prenons goût à défendre notre point de vue, notre opinion, qu’importe les pierres d’assisse de nos valeurs. Débattons, parlons-nous, comprenons-nous, aidons-nous. L’humain est un être émotionnel doté d’une intelligence intrinsèque et d’une capacité de communication. Servons-nous-en. Parlons de nos émotions, de nos fantasmes, de nos peurs, de nos échecs, de nos réussites, de nos amours, de nos haines. Nous ne sommes pas des robots, permettez-moi de le rappeler. L’intelligence artificielle ne gagnera pas.

Mon opinion c’est une opinion isolée. Elle ne vaut rien sans l’opinion des autres. C’est pourquoi j’encourage fortement les gens qui liront cette lettre à écrire des textes d’opinion et à discuter avec moi. De la vie, de la médecine, de votre santé, de la santé des gens, de politique, d’économie. Parlons. Tous ensemble.

Il existe un magnifique médium internet mis sur pied par Laurent Saint-Pierre, « Le pouls ». Utilisons cette plateforme pour diffuser notre savoir, notre opinion, nos émotions, nos pensées. (N.B. Le pouls offre l’anonymat).

Il n’est pas nécessaire d’avoir un rôle officiel au sein d’une instance facultaire pour avoir une voix. Tous peuvent adopter un leadership informel en s’exprimant et encourager les autres à le faire.

Parce que discuter et s’exprimer de vive voix tous ensemble, c’est nous procurer une voie commune qui s’entend beaucoup mieux qu’une liste de rétroaction sur un fichier .xlsx. Tous ensemble contre l’individualisme, pour la communauté.