Le Pouls

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Capsule temporelle

par Linh Pham

Il y a 2 ans, un moment réel ancré dans ma mémoire

Je suis étudiante en pré-med, et dans ma main bat un cœur humain. 

Pré-med. Ce n’est même pas encore med. Pourtant, il s’agit d’une année empreinte de possibilités, et parfois, si l’on ose s’y lancer avec l’esprit grand ouvert tout en restant enraciné par l’humilité, on peut se retrouver dans une salle d’op à côté d’un chirurgien cardiaque, tenant un vrai cœur tout puissant dans la paume de sa main. 

Le cœur est assez gros; hypertrophié est le terme exact. Il est magnétique, et je reste envoûtée à chacune de ses pulsations. Il est affaibli par l’athérosclérose, mais je ne peux ni voir ni sentir sa faiblesse. Tout ce que je sens, c’est du muscle pur et rouge, qui martèle contre mes doigts.  

« Quand je suis dans la salle d’op, avec un scalpel dans ma main et un patient sur la table, tous les détails de la biologie cellulaire, la pharmaco ou la patho, pratiquement tout ce que j’ai appris sur les bancs de l’école, partent au vent, » révèle le chirurgien. « Ici, c’est une question de textures, de couleurs, d’adrénaline, d’années de pratique et d’expérience, avec peut-être un peu d’anatomie et de physiologie. »

Je retire ma main du cœur, le cœur paradoxalement fort, mais souffrant. Je me trouve à peine au début de mon parcours médical, mais voici un aperçu d’un futur potentiel. Je viens de goûter à l’adrénaline et c’est une force puissante et mobilisatrice, sachant ce qui se trouve au bout de mes cinq ans d’études médicales, sachant vers où je me dirige, sachant qu’il s’agit de la bonne voie.

Un moment ancré dans notre réalité

J’allais quitter la salle alourdie, visualisant dans mon esprit la cabine de la salle de bain où je pourrai me ressaisir en privé, lorsque j’entends sa voix derrière moi.

« Reste, s’il te plaît. »

Un murmure, aussi fin que du papier. À peine audible parmi les bips et les vrombissements des appareils accrochés à son corps, mais nettement le sien. 

Ma gorge se serre, mais je me force à garder mon sang-froid et je me tourne vers lui. Ses yeux restent clos, tel que je le soupçonnais, ses lèvres scellées par le masque d’oxygène. Ai-je imaginé sa voix? Est-il réveillé?

Je me racle la gorge. « Bien sûr. » Sa main droite chevrote un peu, et je parviens à discerner l’esquisse de son geste. Il me fait signe de m’approcher. Son visage est creusé par la douleur, son corps me parle, et je n’ai pas besoin de croiser son regard pour deviner sa souffrance, la souffrance de se retrouver seul dans un tel moment de vulnérabilité. Je pose délicatement ma main sur la sienne, pour qu’il puisse au moins sentir une présence humaine.

Mon souffle se coupe quand sous mes yeux, il semble fondre dans sa civière, détendu. Il est serein, paradoxalement malade, mais fort. Son diagnostic surplombe la salle; le même diagnostic chez les autres patients qui submergeront bientôt les soins intensifs. Or, il ne cède plus au deuil. Il l’accueille

Ses enfants devraient être ici. Sa conjointe devrait être ici. 

Ils n’étaient pas là quand il a quitté ce monde deux heures plus tard.

Dernières réflexions de ce 10 novembre 2020 

Je ne suis qu’une étudiante au préclinique qui interagit avec ses pairs à travers un écran, qui apprend à travers un écran, qui est évaluée à travers un écran, portant des projections dans sa tête et de l’anticipation dans son cœur. Quand je tente de me projeter dans le futur, l’esprit grand ouvert tout en restant enraciné par l’humilité, pour être franche, je n’ai aucune idée où je me retrouverai. Un mirage se trouve à l’horizon, où l’approche méthodique de la chirurgie contraste avec l’humanité d’une approche holistique, où passion et compassion dansent ensemble. Le champ de la médecine comporte une myriade de spécialités, de valeurs, de subtilités. Et je sais que le terrain n’est pas toujours merveilleux. Des défauts se glissent dans le système, et il y a encore du chemin à faire, mais quand je naviguerai à travers les pessimistes, les blocs administratifs et le manque de ressources, entre autres, j’espère que passion et compassion, peu importe la spécialité, me serviront de boussole, et je l’espère à vous aussi.     

Ceci met fin à ma capsule temporelle, le 10 novembre 2020, au milieu d’un semestre virtuel en pleine pandémie, mais sur le bord de l’externat où débutera le vrai terrain.